”Soirée d’amateurs”, vous savez bien ce que c’est : dans une boîte, une ”Soirée d’amateurs” consiste à laisser le micro à quiconque souhaite pousser sa chanson ou s’exhiber en faisant le clown. Eh bien, après Vatican II, on a eu une rafale de ”soirées d’amateurs en théologie”. Abondance d’interventions enthousiastes mais sans doute avec des amateurs peu compétents.
La première session du Concile a débuté en octobre 1962, et la dernière s’est achevée en décembre 1965. Avant même les sessions, il y eut des interventions dans les media. Des ”nuées d’experts” disaient et écrivaient ce que le Concile devrait décider pour ”faire entrer l’Église dans le monde actuel.”
En fait, les Pères Conciliaires vivaient dans le monde moderne tout comme n’importe qui, et pourtant, étrangement peut-être, ils n’ont pas fait de l’Église un miroir de la culture moderne comme une chaîne cablée, ou la chaîne ”Disney World”.
Après le Concile, de nombreux prêtres et religieuses se sont emparés de ses documents. Souvent, leur usage de ces textes n’était pas très ”ecclésial”, alors même que « la communion ecclésiale est la clé de notre devoir d’annoncer l’Evangile », et que l’Église en tant que communion est à la base des enseignements du concile. (Benoit XVI)
Une exigence herméneutique incontournable émane de déclarations théologiques : en fait il faudrait les lire en Église, dans l’unité des Écritures et des documents de l’Église. C’est le seul moyen de les appréhender.
Il n’est question ni d’excentricité, ni d’autoritarisme. D’autres domaines complexes, tels la médecine, le droit, ou l’ingénierie, par exemple, sont soumis au même genre d’exigences. Chaque domaine a ses propres principes et ses règles de publications. Aussi, comprendre un article scientifique exige des connaissances dans beaucoup de domaines : termes techniques, mathématiques, logique, articles déjà parus sur le même sujet, etc.
On peut alors se poser la question : pourquoi les exigences en médecine, en droit, et autres disciplines sont-elles encore admises dans notre culture (essayez d’exercer la médecine sans les diplômes !), alors que se conformer à la théologie semble devenu démodé ou incongru.
Si l’unité dans la communion avait été de règle dans a tournure d’esprit des catholiques après Vatican II, personne n’aurait imaginé que les conservateurs (quels qu’ils soient) avaient ”arraisonné le Concile” (”l’absurdité” de Xavier Rynne) ni que ceux d’entre nous qui n’étaient pas au Concile étaient assez compétents pour le corriger.
Les progressistes fondamentalistes (mais oui !, il y a quelque chose de nouveau sous le soleil) n’enlèveraient pas une ligne à un texte du Concile pour en faire l’unique clé de la vie chrétienne (voir l’essentiel du ”mouvement pour la justice sociale”). Tous ces écrits et ces paroles ne pourraient jaillir d’une ligne de l’enseignement pour en faire ”mon opinion”.
L’autre jour, je suis tombé sur quelqu’un ayant cité Benoît XVI de travers, et fait de cette erreur l’objet de son article. Sous un autre climat, il n’y aurait pas eu le moindre dédain pour une présentation théologique raisonnée (ni envers leurs auteurs), preuve d’une compréhension de la théologie par quelqu’un qui a simplement bien appris ses leçons.
Par dessus tout, le solipsisme, dans le domaine de la théologie, fait disparaître la beauté de la théologie et de Theos, Dieu. Sans beauté, il n’y a pas de vérité, ce quii se vérifie aussi dans d’autres domaines. Robert P. Crease remarquait récemment : « le physicien et cosmologue Subrahmanyan Chandrasekar a écrit un livre entier sur l’ouvrage ”Principia” de Newton, où Newton propose sa deuxième loi sur le mouvement, le comparant à la fresque de Michel-Ange sur le plafond de la Chapelle Sixtine ».
Chandrasekar connaissait bien l’histoire dans son domaine et en était un fervent adepte ; il avait reçu le prix Nobel de Physique. Il savait aussi que les cosmologues eux-mêmes risquaient de devenir blasés et de ne plus éprouver la crainte respectueuse que leur inspirait la contemplation de l’univers.
C’est la même crainte qui saisit aussi ceux qui, comme l’Église, sont conscients de traiter des choses sacrées. Sans la beauté que produit l’unité originelle de la pensée (car Dieu et son plan de salut sont un tout originel) il n’y a pas d’amour il n’y a que le vitriol et la perversité d’un débat politique, au lieu d’un discours religieux.
La théologie, forme de pensée la plus importante et la plus rigoureuse au monde, est devenue — fruit des années 1960 — une braderie. Pire, un vulgaire affichage de slogans de tel ou tel groupuscule — ”pour le mariage homosexuel”, ou ”pour l’ordination des femmes”, ou encore ”contre toute autorité sauf la nôtre ”.
Tant pis, tant mieux. Mais cette manière de faire de la théologie la vide de son sens, et on utilise ses termes, et on s’en sert, à tout propors et hors de propos.
Les évêques se sont mis à avoir peur de leur clergé. (”pourvu que je n’aie pas l’air trop tradi”) . Dans les diocèses, la doctrine est ”comme au supermarché” (choisis la paroisse qui enseigne ce qui te convient). Les ordres religieux ont suivi le même schéma. Les Universités sont devenues n’importe quoi (”le magistère alternatif”).
Mais l’Église est la communion de la Vérité et de l’Amour à laquelle nous participons, et à laquelle nous nous soumettons. La Communion implique à la fois la Vérité et l’Amour. L’amateurisme n’est guère outillé pour traiter de telles réalités.
Bevil Bramwell, prêtre des Oblats de Marie Immaculée, enseigne la théologie à l’Université catholique à Distance. Il est titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université de Boston et travaille dans le domaine de l’Ecclésiologie.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/amateur-night.html