Soirée cinéma avec Hannah Arendt et veillée chez les Veilleurs - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Soirée cinéma avec Hannah Arendt et veillée chez les Veilleurs

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5 juin – Rude soirée : d’abord, assisté avec Natacha à la projection du film Hanah Arendt (il y a fort longtemps que nous ne sommes allés au « cinoche », ici le cinéma Les 400 coups…), ensuite participé, toujours avec ma femme, à la séance des Veilleurs d’Angers, prévue pour chaque mercredi. Cette fois, ils ont quitté le « parvis », si j’ose dire, de la Mairie pour occuper la place du Ralliement…

D’abord donc, ce film : j’en suis sorti prêt à exploser de réflexions diverses. Le monde des juifs est fascinant par bien des côtés, mais la personnalité de la philosophe disciple d’Heidegger, telle qu’elle se dégage de son interprète, est si forte, sa volonté si extrême que j’ai éprouvé, non pour l’actrice, cependant remarquable, une admiration profonde.

La première de toutes ces réflexions, c’est que bien plus qu’au procès d’Eichmann, il me semblait avoir assisté au procès, à travers Hannah Arendt prise pour cible, de l’émotion, partie civile, contre la raison, ici à défendre. Certes, l’événement se produit à peine dix-sept ans après la fin de la guerre et personne ne peut imaginer que, chez les Juifs, l’impact des violences inouïes que dut supporter leur peuple ait pu, si rapidement, s’atténuer pour laisser place nette à la réflexion voulue impartiale de la philosophe. Que n’avait-il pris, au New Yorker, un de nos journalistes d’un de nos médias de gauche, le problème ne se serait pas posé.

Cette impartialité qu’a désirée si fortement, si « loyalement », Hannah Arendt apparaît aux juifs de New York comme une insulte envers eux tous. Ils sont aux antipodes de la position intellectualisée de celle qu’ils admiraient sans nuances avant ses articles parus dans le New Yorker, média pour lequel elle avait désiré partir à Jérusalem afin de suivre le procès d’Eichmann – ô combien difficile, même aujourd’hui, d’écouter se défendre, installé derrière son pare-balle de verre armé, ce haut responsable de la Shoah1
! – et qu’immédiatement après, sans même chercher à la comprendre, ils se mettent à haïr avec une conviction féroce et paradoxale : je dis paradoxale parce que leur colère s’appuie sur des arguments qui ne relèvent que de l’émotion et ne s’appuie donc pas sur la vérité des faits et des constatations telles que les énonce l’auteur du compte-rendu.

L’erreur commise par eux est immense : ils ne voient pas que, s’installant sur le créneau de la vérité, elle condamne plus profondément encore qu’eux le chef nazi, lui qui organisa automatiquement l’ensemble des transports de juifs vers les camps de la mort. Ce qui frappa si vivement Hannah Arendt ce fut cela : son absence de pensée. Son refus systématique de « penser »… C’eut été réfléchir, et peut-être alors décider de ne pas obéir.

Comment a-t-elle pu résister à une telle vague de reniements, d’insultes, de rejets, de menaces ? Elle était alors en train de perdre, jour après jour, le plus grand nombre de ses amis, notamment l’un d’eux pour qui elle allait refaire, sans hésiter un instant, tout le chemin de New York à Jérusalem ? Sur une route de campagne où elle se promenait et où un haut responsable de l’État juif vint lui intimer l’ordre de ne pas publier son « livre », elle si farouchement attachée à sa liberté, elle avait appris, de sa bouche et comme par hasard, le combat contre la mort de l’ami le plus cher à son cœur… Elle qui n’éprouve pourtant, dit-elle, aucun amour pour quelque peuple que ce soit mais dont le cœur brûle indiciblement en faveur justement de tous ses amis, elle se précipite et prend le premier avion pour recueillir son dernier souffle, croit-elle, alors qu’elle le voit, lui couché dans son lit, faire l’affreux et pénible mouvement de se tourner de l’autre côté…

L’objet de sa recherche est un objet si profond que l’on peut douter qu’il soit atteignable : pourquoi l’homme agit-il ainsi contre l’Homme ? Pourquoi ou comment se révèle-t-il capable d’un crime qui touche à l’universel, un crime nommé à Nuremberg « crime contre l’humanité » ? Cette question est centrale puisqu’elle est au cœur du cœur de l’homme.

Elle part à Jérusalem sans avoir de réponse : c’est cette ignorance qui lui a fait désirer assister à ce procès. Il lui faut voir Eichmann parler, fouiller dans sa mémoire, qui est sans faille, méticuleuse, précise. Il lui faut regarder sans frémir ses mimiques, ses moues, ses regards sans trouble. Qui est-il ?

Qui donc aurait pu, sachant ce qu’elle sait – elle a lu nombre de documents sur le martyre de six millions de ses frères juifs – observer ce criminel en éliminant de sa propre émotivité toute propension à l’indignation ? Elle constate ce qui lui apparaît d’abord comme insensé, ou invraisemblable : cet homme est n’importe qui, ou plus exactement encore il n’est personne ou il est tout le monde.

Elle dit à la fin du film qu’elle s’est trompé à propos de ce qu’elle a écrit et qui est déjà publié : non, il ne s’agit pas ici de la banalité du mal, car ce mal dont elle sait qu’il fut extrême et auquel il faut reconnaître un caractère indicible, c’est-à-dire « absolu », il ne peut en aucun cas être dit « banal ».

Me gêne l’emploi du mot absolu, dans la mesure où il devrait être réservé à Dieu : mais la puissance du Prince des Ténèbres est telle qu’elle peut sembler aux faibles humains n’appartenir qu’à un être touchant de près à l’absolu. S’il en était ainsi, le sort de l’Humanité serait réglé depuis longtemps puisqu’alors cette puissance serait invincible. Seule est invincible le Dieu d’Amour : la fin de l’aventure d’Hitler, pour aussi effroyablement difficile à obtenir qu’elle fut par la plus colossale coalition jamais rassemblée en toute l’histoire humaine, le démontre. Dans le même temps est démontrée la misérable faiblesse des hommes, toujours prêts à se prendre pour des dieux tout puissants alors qu’ils ne sont en de tel cas que de téméraires apprentis sorciers.

Oui, elle a découvert une chose qui touche pour elle à une sorte d’impossibilité : ce mal (semi)absolu, il a été commis d’une façon banale, par un fonctionnaire banal croyant organiser une sorte de mission touristique très particulière ; ce fonctionnaire banal a idolâtré son chef, Hitler2, remettant en ses mains sa propre liberté, sa capacité de juger, d’interpréter, renonçant même à toute pensée personnelle afin de mieux le servir, dans une obéissance qui pourrait avoir des points communs avec l’obéissance des grands mystiques, sauf la fin observée par lui, le service du Mal. Si, dans ce film, on avait évoqué le Dieu des Juifs, « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », c’est-à-dire le Dieu des Vivants, aurait alors pu surgir le nom du véritable Ennemi, si présent dans les Psaumes. Et l’on aurait compris à quel point en effet Eichmann avait remis le tout de sa vie à cet Invisible, point étranger au plus profond de l’âme et de l’esprit d’Hitler. On peut deviner combien le Führer avait en effet recherché d’être mis sous l’autorité du maître de l’Enfer… qui devait aboutir en son esprit à la domination totale de notre univers.

Ce fut toute la défense de ce monstre – Hannah Arendt n’hésite pas – mais comment pourrait-elle consentir à affadir son propos ? – à accentuer la gravité de ce crime alors que son auteur prétendait n’avoir tué personne, son seul rôle ayant été de transporter, dit-il, les condamnés « d’un point à un autre »… Elle n’hésite pas non plus à insister sur ce rôle « banal » dont il ne comprenait pas qu’on le lui reproche puisqu’il s’agissait d’un ordre prononcé à jamais : comme dicté par un dieu à une simple créature.

Plusieurs fois au cours de cette projection j’ai ressenti quelque chose de l’effroi qui dut être le sien au fur et à mesure qu’elle percevait la dimension du crime, hors de toute comparaison possible, alors qu’en même temps elle distinguait la petitesse de cet homme : chez qui la pensée avait été rejetée, comme une offrande à son dieu ; à son démon.

Le scénario de ce film3 est logique : pour entrer si peu que ce soit dans l’esprit et donc l’œuvre d’Hannah Arendt, il a été parfaitement compris par sa réalisatrice, Margarethe Von Trotta, qu’il fallait partir de cet événement central, seul susceptible d’ouvrir de multiples percées aussi bien sur l’histoire à travers l’œuvre démoniaque d’Eichamnn 4 que sur la compréhension nécessaire de ce qui dépasse l’événement lui-même, position qui ne pouvait être que celle adoptée par la philosophe. Il lui fallut pour effectuer ce choix un courage hors normes. Son mari lui demande : « Si tu avais su tout ce qui s’ensuivrait, aurais-tu fait ce choix ? » Elle attend quelques secondes avant de répondre simplement « oui ».

Je n’insisterai pas sur les interprètes : mais impossible de ne pas avouer ma surprise devant l’immense talent de Barba Sukowa. L’intensité de son travail d’actrice est en tout point remarquable. Son visage porte en lui une densité qui va bien plus loin que « celle de la pierre », dont un des anciens amis d’Hannah l’affuble par lettre. C’est la densité d’une volonté prête à tout subir car elle a parfaitement conscience de servir en toute liberté la vérité, celle qui dépeint le possible et l’impossible chez l’être humain. Certains des autres acteurs, dont Axel Milberg son mari, la soutiennent efficacement.

Il ne m’est pas indifférent que ce film ait été produit en 2012 par la France et l’Allemagne et distribué par Madame Sophie Dulac… Toujours rendre à César ce qui lui revient. Hannah Arendt avait adopté la nationalité états-unienne, et les protagonistes s’exprimaient en anglais et en allemand.

Seconde étape de la soirée, passée chez les Veilleurs.

Est-ce que je puis considérer m’être retrouvé très éloigné de ce que nous venions de voir en remontant la rue qui va du cinéma Les 400 Coups jusque la Place du Ralliement ? Non, le Mal est toujours servi et ses serviteurs sont très nombreux. Se tenait sur la place une veillée animée justement par ces Veilleurs qui deviennent emblématique d’une « résistance » dont on ne soupçonne pas toujours : c’était la première fois que leur rendais visite. En marchant, nous nous sommes mutuellement interrogés sur ce que nous venions de voir (en moi le mot sublime n’était pas loin).

Le film était en version originale, et ma femme s’est plainte de la difficulté pour elle de suivre les inscriptions en français, quoique bien lisibles pour moi, même s’il me fallait parfois exécuter une véritable gymnastique oculaire : en effet, les propos atteignaient souvent une profondeur qui aurait été mieux perçue dans notre langue plutôt que d’avoir à les lire à grande vitesse, même si, comme le dit un des amis d’Hannah avant le voyage à Jérusalem, « l’Acropole des Américains est l’anglais, celui d’Hannah l’allemand »…

Mon souci était à ce moment là de noter sans tarder le principal de ce que j’avais vu, l’affrontement entre l’Émotion, aussi justifiée qu’on puisse la ressentir, et la Raison, aussi nécessaire qu’on doive la penser. Natacha eut cette réflexion à méditer : aujourd’hui aussi le Mal touche à l’absolu et se fait banalement. Et c’est bien pour nous opposer au Mal que nous discernons si profond dans l’ensemble de la politique de la vie menée par notre gouvernement – ou contre la vie telle que nous la percevons, si intensément reliée à l’absolu éternel – que nous allions vers cette place qui ne fut pas hélas celle du « ralliement » ce soir-là mais bien plutôt celle d’une césure profonde, d’un irréconciliable aux dimensions d’une faille tellurique…

En effet, les remous d’un de ces vacarmes horribles que je déteste si fort se faisaient plus violent au fur et à mesure que nous nous approchions du but !

Ce que je vis d’abord ce fut comme l’évocation d’une gravure de René-Jean Clot au titre évocateur : Les Violents… Une petite cinquantaine de dos agités en tous sens, des éclats quelque peu hystériques de saxophones, trombones et autres trompettes, soulignés avec force par un énorme tambour noir. Un peu plus tard une pauvre flûte traversière essaya de se faire entendre mais en vain. Oui, une troupe mocharde donnant un spectacle proche de l’infernal… Des êtres humains pourtant, et peut-être chacun d’eux pris séparément eut été parfaitement agréable à fréquenter… L’effet de foule souvent décrit par les psychologues …

Je ne puis donc pas dire que ces musiques, certes entraînantes mais ennuyeusement répétitives, m’aient vraiment enthousiasmé… Il est vrai que le but de ces contre-manifestants n’était pas du tout de nous charmer : au contraire, leurs cris stridents renforçaient leur opposition à ce que se tienne notre veillée, parfois silencieuse, parfois dédiée à des lectures et des chants.

Nos contradictateurs… quel lapsus révélateur que d’avoir écrit ce mot ! Il est certain qu’ils voulaient nous imposer silence, mais le silence était l’un de nos vœux. Qu’ils avaient l’intention manifeste d’être « absolument » insupportables, à la façon de tristes voyous : ils le furent pendant les deux heures prévues de la veillée. Qu’ils n’étaient évidemment pas d’accord avec nous, mais ils n’eurent à nous balancer aucun autres arguments que leurs danses assez minables – mais n’est pas excellent danseur qui veut ! -, leurs criailleries dantesques et leur musique tout juste bonne à faire recaler ses souffleurs de foire à n’importe quel concours de village… (je ne devrais pas ironiser, songeant que le but de ces gens n’était pas de briller sur la scène mais seulement de nous faire prendre la poudre d’escampette, épouvantés. Nous ne le fûmes pas et nous fîmes preuves, étonnamment, de patience.)

Ces voisins encombrants était-ils tous homosexuels ? C’est probable, étant donné qu’ils venaient défendre « leur » mariage d’illusionnistes. J’aurais aimé qu’un dialogue pusse s’instaurer : il y eut deux ou trois personnes qui le tentèrent, mais en vain. La soirée n’était pas à l’échange des arguments, des doctrines, pas à l’éclaircissement de l’idéologie régnante, par à l’octroi par chacun d’une certaine considération envers ceux qui s’engageaient sérieusement à défendre des valeurs elles aussi profondément sérieuses.

Je ne dis pas que nos opposants trouvent leur propre cause non-sérieuse, au contraire, même s’ils l’ont défendue hier soir sans panache et sans respect pour eux-mêmes. (Qu’ils n’en ait eu aucun pour nous n’a aucune importance.) Il est certain qu’ils veulent à tout prix que ce mariage corresponde à ce que les médias majoritaires à 90% nomment hardiment « valeurs d’aujourd’hui » (les nôtres étant évidemment d’hier), sauf que toutes les valeurs ne le sont vraiment que si elles tiennent la route de l’universalité, une universalité se référant à un absolu incontestable, ce que la réforme de Monsieur Hollande ne saurait prétendre.

Ce fut une épreuve, certes, notamment pour nos tympans, secoués même… jusqu’au plus profond de nos neurones ! Tenter d’entendre au moins quelques phrases de textes lus par des jeunes filles à l’évident courage tenait de l’exploit. Textes parfois d’approfondissement de nos thèmes – je perdis, à mon grand regret le recours qu’elles firent deux fois auprès de Chesterton, écrivain anglais de ma paroisse ; parfois poèmes…

La petite sono mise en place par les techniciens des Veilleurs ne jouait pas, si je puis dire, dans la même cour que les souffleurs de cuivres…

Onze heures, dirent ces jeunes filles ; c’était le terme annoncé de la veillée ! Tout le monde se leva et pris calmement le chemin de son chez soi, aux cris délicieux, lancés avec rythme, répétés cent fois par nos « accompagnateurs indésirés : « Au lit les veilleurs »…

  1. La réalisatrice du film a eu l’excellente idée de reprendre les vidéos de 1962 : on voit le vrai « monstre », son visage, ceux des juges, des gardiens… et cela permet de mieux accompagner le cheminement de la pensée d’Hannah Arendt.
  2. Est arrivé en mes mains un livre de Marc Van Mellaert sur l’ogre du Troisième Reich. Le titre de son ouvrage est surprenant : Hitler et la philosophie occulte dans l’histoire européenne. J’ai toujours pensé qu’il fallait chercher du côté des sociétés satanistes et donc de leur « patron » pour comprendre à la fois ce que voulait le tyran et les succès obtenus jusqu’à sa chute qui ressembla à ce qu’ont de plus épouvantable les pires des séismes. Ce livre, à vrai dire incroyable, qui pourrait être dans la lignée du Hitler et la sorcellerie de François Ribadeau-Dumas, est écrit par un homme de foi : je n’ai pas surpris d’hérésies chez lui, quoique je n’ai pas lu son livre en entier, mais constaté sa ferveur. Hitler, pour lui, est habité par une idéologie ésotérique, la foi en les puissances infernales ; il en veut le triomphe et donc l’élimination de tout ce qui est juif, vient des Juifs et donc la fin du christianisme. Notre temps, qui place le chancelier du Reich et führer, c’est-à-dire guide, dans la catégorie des êtres les plus épouvantables qui aient été, ,e se prive pourtant pas de nous donner des « guides » désireux de même que lui de conduire le christianisme à la tombe… et de penser que Jésus est à ranger du côté des criminels, ce que n’hésita pas un instant à affirmer l’ancien président de la chaîne ARTE, que l’on questionnait à son sujet…
  3. Cet ouvrage est sorti sur les écrans le 24 avril 2013.
  4. Il apparaît que ce procès fut l’occasion précieuse de faire valoir toute l’horreur de la Shoah à l’ensemble de l’humanité : comme à la possibilité que de tels événements se reproduisent…