On connaît Socrate par Platon et Xénophon car, s’il a régné sur la philosophie athénienne et, par elle, sur la philosophie antique, Socrate lui-même n’a rien écrit. Né vers 470 avant J.-C., il était le fils d’une sage-femme qui s’appelait Phénarète. Son père, Sophronisque, était sculpteur. Comme lui, Socrate fut un temps sculpteur jusqu’au jour où son génie intérieur, qui venait souvent lui parler, lui dit : « Pourquoi perds-tu ton temps à essayer de sculpter une pierre qui te résiste et que tu n’arrives pas à maîtriser alors qu’il y a plus important : apprendre à sculpter son âme ? »
Socrate disait qu’il tenait de sa mère sa méthode d’enseignement, la célèbre maïeutique : « Ne sais-tu pas, disait-il à l’un de ses disciples, que je suis le fils d’une accoucheuse habile et de renom et que mon destin est d’accoucher les âmes qui se sentent grosses des fruits de la sagesse ? » Il fut donc un passionné des âmes et c’est par lui que Platon devint non seulement le philosophe mais le poète de l’âme, à tel point que saint Augustin disait que les Anciens, au lieu de bâtir des temples à des idoles qui n’étaient que mensonges, auraient dû élever des temples à Platon où aurait été enseignée sa philosophie.
L’art de la conversation au service de la philosophie
Platon a hérité de Socrate sa méthode qui le fait enseigner toujours par dialogue, voire par conversations à plusieurs, comme c’est le cas dans le Banquet. Cicéron reprendra cette méthode dans ses œuvres philosophiques ou pédagogiques – le De Oratore notamment. Son immense avantage est de ne pas imposer, comme le feront les philosophes modernes, un discours qui n’est qu’un long monologue dans lequel le lecteur se sent enfermé alors que, dans le dialogue ou la conversation, il trouve des échos à ses propres réflexions ou objections. Elle permet aussi de mieux cerner tous les aspects divers du réel et d’approcher une vérité.
Socrate eut deux grandes révélations : l’oracle de Delphes qui lui enseigna le « connais-toi toi-même », et l’intuition d’Anaxagore, philosophe présocratique, pour qui le principe premier du monde n’était ni l’air, ni l’eau, ni le feu mais l’intelligence. Alors, si le cosmos était le fruit d’une intelligence ordonnatrice, l’homme avec son intelligence pouvait connaître la nature des choses. Dans ses pérégrinations et ses banquets avec ses disciples, Socrate ne fit pas autre chose que de les inciter à poursuivre cette recherche des causes.
Un procès obscur
Il mit en pratique dans sa vie ce dont il témoignait dans son enseignement : bon époux, bon père, bon soldat, fidèle observateur des lois de la Cité. Son succès le conduisit cependant à subir un procès dont les raisons restent obscures. Accusé d’impiété, il fut condamné à mort pour ce crime. Il accepta la condamnation et ne voulut pas suivre les conseils de ses disciples qui cherchaient à organiser son évasion.
Comme son supplice était de boire lui-même la ciguë qui devait l’empoisonner, il dut attendre le retour de ses juges pour subir son exécution, lesquels juges étaient retenus à Délos par une tempête qui leur interdisait de prendre la mer. Pendant ce temps, Socrate reçut la visite de ses disciples, ce qui nous est rapporté notamment dans le Phédon de Platon ; il eut aussi la visite de son génie familier qui l’incita à se former à la poésie pour mettre en vers les fables d’Ésope. Il n’eut pas le temps d’obéir à cette injonction intérieure mais, fort heureusement, vingt siècles plus tard, Jean de La Fontaine accomplira dans ses Fables l’ordre donné à Socrate : « Je chante les héros dont Ésope est le père. »