En cette saison de sondages en rafales, voici un chiffre qui pourrait bien vous faire réfléchir: 39% des catholiques sondés à Boston se déclaraient prêts à soutenir une Église Catholique Américaine indépendante du Vatican.
Voici dix ans, en plein scandale d’abus sexuels par des prêtres, le Boston Globe lançait ce sondage, après avoir publié des centaines d’articles sur les turpitudes de prêtres et l’indifférence lamentable des évêques; l’intention évidente de ce sondage était d’obtenir précisément ce résultat.
Cependant, Boston continuait à être fortement catholique, et la population de la région est une des plus cultivées d’Amérique. Près de 40% des personnes interrogées déclarant être pour une Église séparée de Rome — même à une période particulièrement sensible — ce n’est pas rien. Pour autant que je sache, personne n’a posé à nouveau la question, mais je ne serais pas surpris par des résultats tout-à-fait comparables, ou même par un chiffre plus élevé.
D’autres tentatives de mesure des croyances des catholiques nous ont montré, c’est effrayant, des résultats du même ordre. Il y a des « pratiquants » — pratiquants, pas tous ceux qui se disent catholiques — pour qui l’Eucharistie n’est qu’un symbole; il y a dans les écoles religieuses des catéchistes qui ne croient pas en Dieu; il y a des Universités catholiques qui éloignent de l’Église plus d’étudiants que ne le font les institutions laïques.
Mais il est un fait sous-jacent, et finalement plus important que la coupure politique chez les catholiques, c’est l’abandon, ou, plus vraisemblablement, l’ignorance de ce que j’aurais tendance à appeler « la base du catholicisme ».
Toutes les autres églises Américaines 1 se rattachent plus ou moins à ce que les sociologues ont appelé « la mentalité de dénomination », ne faisant guère de distinction sur l’enseignement de groupes religieux pourvu qu’il soit conforme aux mœurs de la société.
Une fois tombé là-dedans, vous ne vous accrocherez à rien de plus car, même au sein de votre propre paroisse, vous trouverez des gens décidant de ce qu’ils croiront et de ce qu’ils ne croiront pas. En fait, ils feront du « droit au libre choix » la base de la foi.
La base du catholicisme est tout-à-fait différente. Tous nous jouissons de la liberté accordée par Dieu à ses fils et à ses filles, mais ce n’est pas notre affaire d’énoncer une vérité sur ce qu’est Dieu et ce qu’Il attend de nous. Si vous en avez envie, on ne voit guère au nom de quoi vous voudriez qu’on vous dise Catholiques. Je soupçonne que, pour la prochaine génération, l’actuel attachement sentimental à l’Église disparaîtra tout simplement pour quiconque aura cette « mentalité dénominationnelle; ce qui s’est déjà produit en Europe.
Être catholique, c’est accepter le fait catholique Catholic Thing, si j’ose dire 2. De quoi s’agit-il ? Nul ne l’a si bien exprimé que Hilaire Belloc :
« L’essentiel dans notre opinion [à nous, les croyants] est qu’il y a sur terre un individu à reconnaître comme un être humain, à reconnaître comme nous reconnaissons les êtres humains — la voix, les gestes, le comportement. Le raisonnement tient en une chaîne : Y a-t-il un Dieu ? Oui. Est-ce une personne ? Oui. S’est-Il révélé aux hommes ? Oui. L’a-t-Il fait par l’intermédiaire d’une société — dans les faits, pas en théorie? A-t-Il créé un organisme par lequel Il peut toujours se faire connaître à l’humanité pour la réalisation de l’immense mystère de l’Incarnation ? Oui. Où trouver cet organisme ? Il n’y a qu’une entité sur terre pouvant le revendiquer : l’Église Catholique Romaine Apostolique. Cette revendication pour nous, fidèles, est nôtre. Les conséquences de cette adhésion sont innombrables, satisfaisantes et entières. C’est notre chez-nous. Nul autre humain n’a un tel chez-soi. »
C’est de loin bien plus important que l’écart entre catholiques progressistes et conservateurs. Les « progressistes » — disons, comme Dorothy Day 3 — sont profondément catholiques, quelle que soit l’orientation à gauche de leurs options politiques et économiques. Les « conservateurs » — même le réactionnaire Evelyn Waugh 4 — s’ils sont conscients de ces vérités, ont un cœur, même si on ne peut s’en apercevoir.
Le grand risque, comme C.S. Lewis le voit bien dans « The Screwtape letters » [Tactique du diable] est de considérer la foi comme une vraie croyance plus quelque chose d’autre. Alors le diable travaille à donner de plus en plus d’importance à ce « quelque chose » jusqu’à en faire le sujet majeur qui englobe toute notre existence.
Tout cela peut sembler pure abstraction et simple distraction alors qu’un enjeu majeur se présente en cet automne de campagne électorale. Quelques milliers de voix d’un côté ou de l’autre peuvent entraîner la mise à mort de millions d’enfants à naître — ou leur sauver la vie; le parti majoritaire peut décider si l’Église catholique a le droit d’être catholique dans notre pays ou sera enfermée dans un ghetto; quelle politique économique au cours des quatre prochaines années rendra un emploi à des dizaines de millions de citoyens, ou les jettera dans les rues comme en Grèce, en manifestations contre d’inévitables mesures d’austérité.
Une culture en faveur de la vie est intimement liée aux bases du catholicisme, car le Seigneur de la vie, c’est Dieu. Tous les catholiques authentiques savent bien que ce n’est pas qu’un « sujet » parmi tous les sujets de débat public. Nous sommes interpellés, sommes-nous ou non catholiques ?
Accordez-moi le droit à l’existence et à la liberté religieuse. Pour le reste, je me débrouillerai face aux autres, catholiques ou non.
Mais si les Catholiques eux-mêmes lâchent prise sur les bases du catholicisme, ou acceptent d’en être dépouillés par d’autres, alors notre Église ne tardera pas à devenir toute autre. Et l’Amérique aussi.
Photo : Hilaire Belloc.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-catholic-principle.html
Pour aller plus loin :
- NDT: Protestantes
- NDT: jeu de mots intraduisible, « Catholic Thing » étant le titre du site « thecatholicthing.org » où paraît cet article
- NDT: journaliste catholique militante pour la justice sociale
- NDT: romancier Anglais converti au catholicisme et vigoureusement attaché aux traditions et rites anciens