André Malraux, romancier français et combattant de la Résistance anti-nazi, raconte une histoire dans les premières pages de ses Anti-Mémoires [je suis à Rome et je dois résumer de mémoire] évoquant une question posée, un soir, après une longue journée d’échanges de coups de feu, à un compagnon d’arme qui était également un prêtre : « Vous entendez des confessions, père, vous devez en apprendre beaucoup sur la nature humaine. » Le prêtre objecta. Non, c’est le Christ, ce n’est pas moi qui pardonne. Mais après quelques verres de vin supplémentaires, il dit : « En vérité, il y a deux choses. D’abord, les gens sont beaucoup moins heureux que vous ne le penseriez. » Malraux répliqua que comme romancier, il avait déjà très bien compris cela. « Et la deuxième chose, mon père ? » « Il n’y a pas de vrais adultes. »
Une vérité qu’il vaut la peine de garder en mémoire si vous avez lu ces derniers jours les articles de presse sur le synode, lesquels contiennent quelques interviews intéressantes. En particulier, je me suis rappelé l’histoire de Malraux en regardant la conférence de presse personnelle de l’archevêque de Chicago, Blaise Cupich, vendredi dernier à Rome. Il a depuis démenti des propos que lui prêtent certains médias à propos de toujours suivre sa conscience et de la communion pour les divorcés remariés et pour les homosexuels actifs. Il soutient que travaillant directement avec les gens, il en est venu à considérer qu’il est mieux de les « accompagner » et de les enseigner à être guidé plus profondément par leur conscience. Il citait un prêtre d’une grande sagesse, maintenant décédé, qui déclarait qu’il espérait que l’on se rappellerait de son ministère pour avoir traité les gens « en adultes ».
Fort bien, aussi longtemps que nous comprenons ce que le prêtre de Malraux avait à dire des adultes et que l’Église ne vient pas de découvrir tout récemment la faiblesse humaine et la nécessité d’y remédier de façon appropriée. Pendant Vatican II, une idée s’est répandue dans l’Église comme quoi l’humanité avait « mûri ». S’il y a une preuve quelque part dans le monde de cette nouvelle maturité humaine, je serais vraiment très, très heureux de la voir. Nous avons beaucoup entendu parler ces jours-ci de gens luttant avec leur conscience — et comme l’a un jour déclaré un ami facétieux, « C’est stupéfiant le nombre de fois où ils gagnent. »
L’archevêque Cupich ne se faisait pas l’avocat d’une chose aussi absurde. D’un autre côté, il a bien raconté l’histoire d’un prêtre qui a donné la communion à une femme divorcée remariée le jour des funérailles de son fils, qui s’était suicidé. Après avoir reçu la communion, elle s’est repentie et s’est réconciliée avec l’Église. Aucun catholique doté d’un cœur ne pourrait rester insensible à l’histoire de cette femme, mais aucun catholique doté d’intelligence ne pourrait rester insensible au fait de donner la communion à une femme engagée dans une union adultérine.
L’archevêque Cupich a affirmé, comme beaucoup d’autres dans ce synode, vouloir réconcilier la miséricorde avec la vérité. Mais il n’a pas semblé ému par ce que beaucoup vont considérer comme mettre les choses sens dessus dessous : la communion avant la repentance et la réconciliation. Après avoir entendu tant d’exemples de « cas difficiles », vous commencez à vous demander : n’y a-t-il vraiment pas de cas où l’enseignement de l’Église fermement affirmé concernant les gens en situations irrégulières a conduit à des conversions similaires ? C’était plutôt habituel autrefois. La vérité a-t-elle perdu son pouvoir d’attirer et de changer des vies ?
On entend dire par la bande que l’archevêque Cupich a fait plusieurs propositions dans son petit groupe de langue anglaise, qui ont toutes été repoussées quasi unanimement. Donc, pendant que les médias prêtent davantage attention à son histoire et à d’autres qui vont encore plus loin en marge du synode, la réalité est que sur ces questions brûlantes, la majorité des Pères synodaux semble se situer là où les catholiques ont toujours été. Et il est raisonnable d’espérer que cela se reflétera dans les décisions finales qu’ils prendront cette semaine.
Au commencement du synode, il aurait été fort rassurant de savoir qu’une importante majorité des Père synodaux n’était pas favorable à la communion pour les divorcés remariés, sans parler des propositions « d’accueillir » les couples homosexuels et les concubins — les trois choses que les médias et « le monde » croient être ce qui déterminera un synode « réussi » pour le pape François. Cela aurait pu éviter aux médias, catholiques ou non, de créer la pagaille en donnant un faux sens au synode. Les synodes remontant aux premiers siècles du christianisme ont été émaillés de controverses, parfois même de violences. Beaucoup de choses pourraient maintenant émerger de ce synode qui déconcerteront les fidèles encore plus qu’actuellement. Mais le pire a probablement été évité — bien que sans nul doute une déclaration finale acceptable puisse, en de mauvaises mains, conduire à pas mal de sottises.
Lors de la conférence de presse de lundi, l’archevêque Mark Coleridge, de Brisbane, qui avait déclaré avec humour qu’un journaliste l’avait harcelé il y a quelques semaines pour qu’il donne 65 % de contre dans son estimation logique concernant la communion aux divorcés remariés, est d’avis que ce sont les bonnes probabilités. Coleridge est considéré comme un libéral modéré par la plupart des vaticanistes, donc quand il dit des choses qui vont dans le sens de décisions suivant davantage la tradition (des choses qu’il ne pense pas idéales ou même préférables), il dit vraiment où en sont les choses.
Son propre groupe de discussion, Anglicus C, par exemple, a choisi vendredi passé de reporter à lundi matin la confrontation à la proposition de Kasper (la réadmission à la communion après « un cheminement pénitentiel ») afin de pouvoir l’examiner l’esprit frais. Ce qu’ils ont fait. Résultat : pas une seule voix en soutien de Kasper. D’ailleurs, une autre question semble avoir surgi parmi eux : « un cheminement pénitentiel — vers quoi ? » Et, à en juger par la façon dont ce groupe a voulu traiter ces questions, le soutien pour Kasper dans l’ensemble du synode est « vraiment très, très modeste. »
Coleridge et d’autres Pères synodaux semblent maintenant vouloir se tourner en partie vers la possibilité que les conférences d’évêques locales aient une juridiction locale. (Nous verrons si ce plan B apparaîtra finalement dans le Document Final, à l’encontre de la majorité qui souhaite garder la clarté doctrinale sur les points cruciaux, comme cela a été le cas depuis 2000 ans. Mais pour une part — dans le cas de Coleridge, c’est plus personnel — des évêques demandent toujours : y a-t-il des façons « d’accompagner » les gens en situations délicates sans vraiment changer de doctrine ? Y a-t-il plusieurs façons de parler des péchés dans le domaine sexuel sans changer la doctrine (ni nier qu’ils soient des péchés) ? Il vaut la peine de garder un œil là-dessus pour voir comment cela tourne. Les « changements dans le langage » sont rarement uniquement des changements de langage.
Malheureusement, le cardinal Donald Wuerl, de Washington, a aussi donné son avis sur ces questions dans une interview accordée à America. Wuerl est un orthodoxe bon teint, un évêque pédagogue, mais souvent critiqué pour sa faiblesse quand on en vient à la façon dont les convictions catholiques sont bafouées dans son archidiocèse (voyez Pelosi, Biden, Kerry et autres). Il se fait l’écho d’un récit plutôt artificiel pour ceux d’entre nous qui ont suivi de près le processus du synode, selon lequel les gens sont davantage opposés aux « changements pastoraux » qu’ils n’aspirent à être miséricordieux (sans censément changer la doctrine) parce que, pour des raisons non spécifiées, ils « n’apprécient pas ce pape ». Et il a suggéré que les treize cardinaux qui ont signé une lettre au Pape, avertissant que le processus, le contenu et le personnel semblaient biaisés aux yeux de certains, ce qui pourrait discréditer l’ensemble du synode, faussaient le dossier et d’une certaine façon, passaient les bornes.
Ils étaient pourtant tout à fait dans le droit fil et on peut dire qu’ils ont rendu service au Saint-Père en l’alertant de dangers pour le déroulement du synode dont il n’était peut-être pas conscient. Des organes de presse séculiers comme le New York Times, le New Yorker et le London Telegraph colportent des histoires comme quoi le Pape a très mal géré ce synode et créé un risque de confusion généralisée, voire même de schisme. Nous qui sommes à Rome, qui sommes au courant des faits publics et même de certains faits privés liés aux événements, sommes absolument sûrs que c’est une dramatisation dans la façon de lire la situation actuelle.
Mais ceux qui dramatisent ont raison sur un point : les voix qui s’élèvent dans ces derniers jours semblent essayer de créer un récit selon lequel la résistance à une Église plus ouverte provient au mieux d’une animosité sans fondement, au pire de quelque chose de plus crûment « conservateur ».
Si nous voyons une solide majorité des Pères synodaux, un groupe divers d’hommes provenant de tous les continents et de cultures largement différentes, rester fidèles à la foi – bien que devenant également plus conscients des cas douloureux qui demandent toujours de plus grands efforts pastoraux – comme cela peut se produire à la fin de cette semaine, il serait bien difficile d’accuser un tel groupe de frères de pure rigidité, pour ne pas parler de conspiration.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/20/separating-the-wheat-from-the-chaff/