Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi, en Occident, beaucoup de gens parmi les laïcs, ont été fascinés par la figure de Fidel Castro. Là où la religion se retire, les crédos politiques tendent à remplir le vide de sens, de projets, d’autorité (oui, les gens recherchent aussi cela). Ajoutez à cela un chef hardi, charismatique qui veut combattre – et même mourir – pour quelque chose. C’était l’Iliade, Robin des Bois, Star Wars, en barbe en broussaille, treillis, fumant de façon provocante des cigares cubains
Mais pourquoi tant de gens religieux pendant des dizaines d’années furent séduits par le maintenant défunt maximo lider, c’est plus difficile à saisir. Le vaticaniste Sandro Magister a observé avec finesse : le pape François a pleuré à sa mort, le patriarche Kirill a versé des larmes, mais chez les gens proches de l’événement – les évêques cubains – les yeux sont restés secs.
En 1998 pendant le pèlerinage de Jean-Paul II à Cuba, George Weigel et moi-même avons visité le Musée de la Révolution de La Havane. Je l’avais convaincu d’y aller parce mon guide américain, qui mentait à peu près autant que les frères Castro, en parlait comme d’« une chose unique à voir pour toute personne qui aime l’histoire – donnez-vous tout le temps nécessaire ».
C’était vraiment une chose unique à voir, mais pas comme on l’annonçait dans le guide. Un morceau de chasseur à réaction abattu lors de l’invasion manquée de la Baie des Cochons. Des objets poussiéreux avec des étiquettes racornies, apparemment négligés depuis des décennies. La foule était minime – en fait, seulement nous deux, malgré la foule des étrangers dans la ville.
On parlait alors beaucoup des changements dans les relations entre « la Révolution » et l’Eglise. Mais comme on le voyait clairement dans le musée, personne – même pas les Cubains- ne s’intéressait à la « Révolution ». La Révolution, c’était Fidel, et vice versa.
On a déjà dit beaucoup de choses pour faire de Fidel une figure de l’histoire universelle. Le Sunday New York Times lui a consacré sept pages – excessives mais en général justes, admettant même que leur propre reporter, Herbert Matthews, avait été complice dans les années 1950 de la fausse représentation de Fidel.
En fait, sauf sa zone d’activité était une île proche du continent US et qu’il est tombé dans la Guerre froide via un accord hâtif acceptant à Cuba les missiles nucléaires soviétiques, Fidel n’était pas au début très différent des autres caudillos latino-américains. Avec le soutien soviétique (5 milliards par an quand l’URSS pouvait les fournir), il créa beaucoup d’ennuis partout dans le monde. Mais quand les subsides disparurent, les illusions le firent également.
Il parlait plus que tous les autres, de manière obsédante, des heures entières de bravade vide et d’absurdité auto-référentes – qui néanmoins conduisaient en prison et à la mort à des centaines de milliers de gens et en força d’autres à l’exil. Mais la Gauche internationale vit en lui son potentiel.
Franco en Espagne et Pinochet au Chili ont été condamnés pour avoir fait une fraction de ce que Castro a fait à son propre peuple. Et ils ont laissé leur pays en meilleur état qu’ils ne l’avaient trouvé. Fidel dirigeait un régime impitoyable, répressif, et il ruina son pays avec des projets absurdes.
Il essaya une fois de croiser les zébus bossus d’Asie avec les Holsteins locales, espérant créer une supervache cubaine qui permettrait pour la production de lait d’atteindre des records socialistes (vous pouvez vérifier). Ses idées révolutionnaires, telles qu’elles étaient, étaient aussi mal conçues. Mais Castro « se dressa » contre les Etats Unis et ce fut assez pour en faire un philosophe et un leader mondial dans certains milieux.
Pour certaines raisons difficiles à pénétrer, certains catholiques ont été longtemps fascinés par son attitude à l’égard de la religion – même les mystères de sa « foi » à la fin. Des salésiens et des jésuites avaient été ses éducateurs et à son arrivée au pouvoir, le New York Times proclama que de chrétien démocrate, sur le modèle de Jacques Maritain, il était devenu révolutionnaire latin.
Il n’y a jamais eu en lui beaucoup de religion, pourtant, excepté, à l’occasion, la tentative de baptiser la révolution – attirante pour certains chrétiens déjà à moitié sécularisés et cherchant un but dans une paix et une justice politisées. (Ils pouvaient d’une certaine façon oublier que Fidel avait amené le monde au bord d’une guerre nucléaire – avait follement pressé des Soviétiques hésitants à user des armes atomiques). Mais d’autres remarquaient que dans le dialogue chrétiens-marxistes, la circulation était toujours à sens unique : les chrétiens devenaient marxistes et jamais les marxistes ne devenaient chrétiens.
Dans les années 1980, Castro fit un certain nombre d’interviews avec Frei Betto un dominicain brésilien, qui furent publiés dans Fidel et la religion, tentative surtout de rattacher la révolution cubaine et la théologie de la libération. Cela se vendit comme des petits pains bien que Fidel continuât à réprimer les églises et les résistants catholiques autant qu’avant. Un grand témoin chrétien, Armando Valladares, passa 22 ans dans le goulag cubain simplement parce qu’il n’avait pas voulu dire : « Je suis avec Fidel ».
Cependant, des compagnons de route chrétiens étaient comme quelqu’un qui achète un bateau parce que le constructeur proclame que son plan, révolutionnaire, marcherait mieux que tout ce qui avait été conçu auparavant. S’il ne marche pas, c’est à cause des vents contraires, des vagues ou d’un équipage (prétendu) déloyal. Mais les bateaux sont supposés capables de résister aux vents et aux vagues, et pouvoir être dirigés par des êtres humains, ordinaires, faillibles. Quand un plan échoue, c’est peut-être la faute du plan.
J’étais un jour à une conférence avec Gustavo Gutierrez, le père de la théologie de la libération. Quelqu’un demanda si, au cas où le capitalisme serait meilleur pour aider les pauvres, il l’accepterait ; Il répondit qu’il doutait que cela fût vrai, mais si c’était le cas, oui. Cela a été aujourd’hui prouvé au-delà de tout doute possible.
Le régime de Castro était un exemple de ce que Friedrich Von Hayek a appelé La Présomption fatale – la croyance aberrante que quelque grand leader ou parti peut diriger les choses via une planification centrale. Fatale parce que cela ignore la liberté humaine et la sagesse de concepts comme la subsidiarité et le fédéralisme. Comme Jean-Paul II l’a un jour remarqué, c’était un système « bâti pour échouer ».
Avant Castro – comme toute l’Amérique latine – Cuba avait beaucoup de pauvres, mais aussi la classe moyenne la plus large des Caraïbes, et un peuple créatif. Après Castro, il y a égalité – dans la misère – et indifférence partout. Vous n’avez jamais vu un endroit où il tout semble être retourné en arrière, sauf peut-être un site archéologique.
Pour beaucoup bien sûr, la faute en est toujours à l’Amérique, à l’embargo économique, à la globalisation, au manque de solidarité chrétienne.
Curieusement, de telles catastrophes s’abattent tôt ou tard sur des sociétés socialistes (témoin le Venezuela). Tout autant que ce pays dont nous pouvons maintenant espérer que c’est le passé : Cuba.
30 novembre 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/11/30/semper-fidel-2/
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Édouard de Castelnau
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?