Les psaumes dits imprécatoires ont toujours représenté un problème pour les chrétiens réfléchis. La liturgie moderne de l’Eglise a largement censuré des prières telles que celle-ci :
« O fille de Babylone, la dévastatrice ! Heureux celui qui te rendra le mal que tu nous a fait ! Heureux celui qui prendra tes tout-petits et les fracassera sur les rochers ! » (Psaume 137:8-9)
Briser le crâne des bébés semble être une violation plutôt effrayante de tout code de conduite imaginable. Mais écarter ce texte et les textes similaires, non seulement appauvrit le sens de de juste indignation envers des actes de méchanceté mais menace de fausser la notion même de juste châtiment.
Excepté durant la récitation éclair de l’acte de contrition, la punition a quasiment disparu du discours contemporain – même dans l’Eglise. Les autorités civiles n’envoient plus les criminels en prison pour rééquilibrer la balance de la justice. Elles le font pour protéger la communauté de comportements mauvais et, peut-être, pour réhabiliter les coupables. Le mot « punition » est rarement utilisé pour décrire une incarcération. Dans la pensée moderne, il semble y avoir quelque chose de déshonorant dans la punition et de honteux à être satisfait d’une juste punition.
Quiconque admet se réjouir d’un châtiment sera probablement accusé de manquer de compassion et de miséricorde. (Bien sûr le contentement doit être mesuré, sans la soif de sang des Jacobins.) Mais en refusant de reconnaître les mérites d’un juste châtiment, la « réhabilitation » devient implacablement perpétuelle ou absurdement inadaptée.
Nous entendons rarement ces jours-ci que les prisonniers relâchés ont « payé leur dette à la société » (une phrase maintenant au charme suranné) parce que, sans l’intelligence d’un juste châtiment, réclamer une telle dette serait considéré comme un manque de miséricorde. Et bien trop souvent, nous entendons parler de pratiques « d’arrestation et de libération » qui renvoient prématurément dans les rues des coupables qui poursuivent leur pagaille. La punition devrait être une leçon claire et indiscutable.
A première vue, l’enseignement de Jésus semble s’opposer à la dureté de tels psaumes. Jésus actualise l’enseignement de l’Ancien Testament : « vous avez entendu qu’il a été dit : œil pour œil et dent pour dent. Mais je vous dis : ne résistez pas au méchant. Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui également l’autre. » (Matthieu 5:38-40) Et dans le Jardin, il dit à Pierre : « car tous ceux qui prennent l’épée périront pas l’épée. » (Matthieu 26:52)
Mais Dieu agit tout au long des Ecritures pour imposer Sa justice et défendre Son peuple. Le feu et le soufre de Sodome sont un exemple. De même le triste trépas d’Hérode – dévoré par les vers – tel que rapporté par les Actes des Apôtres. Et la colère de Dieu révélée dans le dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse, ne pourrait pas être plus inquiétante.
Le Seigneur Lui-même a appris les Psaumes sur les genoux de Sa mère. Il a prié les Psaumes sur la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Psaume 22:1) Durant Sa Passion, Jésus prie les Psaumes alors qu’Il prend sur Lui les péchés du monde. Si Jésus et Marie ont prié les Psaumes, en imitation du Christ, nous devrions prier les Psaumes comme ils l’ont fait. Il semble un peu exagéré que Marie – ou Jésus Lui-même – voudraient censurer les Psaumes imprécatoires pour s’adapter aux sensibilités modernes.
Bien plus, un examen approfondi des Psaumes imprécatoires révèle qu’aucun d’entre eux n’ordonne à l’individu d’être un instrument de vengeance. Le psalmiste attend de Dieu seul qu’il tire vengeance de l’injustice. De plus, le psalmiste s’attend à la justification dans cette vie pour démontrer la fidélité de Dieu à Son peuple. En conséquence, en des temps d’autosatisfaction morale, les Psaumes imprécatoires reconnaissent et encouragent une réponse à l’horreur des maux perpétrés par des gens méchants.
De façon similaire, le Catéchisme Romain reconnaît la légitimité de l’indignation dans l’enseignement de l’Eglise sur la peine capitale. Le Catéchisme désigne également le juste instrument humain de la vengeance de Dieu : « de nos jours, les châtiments infligés par l’autorité civile, qui est le vengeur légitime des crimes, tendent naturellement à cette fin, puisqu’ils apportent la sécurité dans la vie en réprimant les scandales et la violence. »
Dieu est également à l’œuvre à travers Ses instruments humains. De ce fait, nous revenons à la question de savoir si comme individus nous pouvons être les instruments de la colère divine, infligeant de justes châtiments.
Une autorité humaine juste – établie pas Dieu et comprise à travers la Révélation et les préceptes de la Loi Naturelle – est l’instrument de la « colère » de Dieu en réponse à la méchanceté. Dans une famille, le père ou la mère imposent aux enfants des châtiments justes et proportionnés.
Durant son procès chez Pilate, Jésus reconnaît le pouvoir juste et donné par Dieu des autorités civiles : « tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne t’avait été donné d’en haut. » (Jean 19:11) Des autorités gouvernementales légitimes instaurent des châtiments justes et on devrait s’attendre à ce qu’elles le fassent.
De fait, la tradition de l’Eglise permet également l’usage de la force en vue de se défendre et dans une juste guerre. Donc la patience dans la souffrance enseignée par Jésus ne doit pas être transformée en pacifisme. Mais Son enseignement ne doit pas non plus permettre des justiciers auto-proclamés.
Il y a une place appropriée pour envisager le besoin de juste châtiment, pas seulement dans la vie à venir mais tout autant dans celle-ci. Nous ne pouvons pas nier le nombre croissant de personnes en vue « s’en tirant impunément pour un meurtre » dans et hors de l’Eglise. C’est folie d’ignorer les cris des Psaumes imprécatoires et de rejeter la compréhension traditionnelle du juste châtiment par les autorités légitimes. Aussi nous avons besoin de remettre l’accent sur le besoin de juste rétribution par l’Eglise et les autorités séculaires.
Peut-être qu’en tant qu’individus, nous n’avons pas le droit d’être les instruments de la colère divine. « La vengeance est mienne ; et la rétribution » a dit le Seigneur (Deutéronome 32:35). Mais certains d’entre nous ont obligation, par charge divine – parentale, ecclésiale ou civile – d’être les ministres de la justice de Dieu. Ou pour le dire sans ménagement, d’être les instruments de la colère divine pour remettre d’aplomb la balance de la justice.
Il est temps de revisiter une théologie orthodoxe de l’indignation morale et du juste châtiment.
Le père Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est prêtre de la paroisse Saint Catherine de Sienne à Great Falls (Virginie).
Illustration : « La punition des rebelles » par Sandro Botticelli , 1480-1481 [chapelle Sixtine]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/02/10/lord-make-me-an-instrument-of-your-wrath/