M’étant abstenu d’évoquer jusqu’ici la mort de Fidel Castro, pensant qu’il était superflu de revenir sur cette formidable désillusion, consécutive à ce que Malraux appelait l’illusion lyrique, je suis rattrapé par la polémique suscitée par les propos de Ségolène Royal. Représentant la France aux obsèques du Lider Maximo, elle a cru devoir exalter l’œuvre du militant révolutionnaire : « Grâce à Fidel Castro, les Cubains ont récupéré leur territoire, leur vie, leur destin. Ils se sont inspirés de la Révolution française sans pour autant connaître la Terreur. » C’est un peu stupéfiant. Ségolène Royal serait-elle atteinte du syndrome Danielle Mitterrand, qui, elle aussi, ne pouvait s’empêcher de garder intacte l’icône qui enflamma toute une génération ? J’ai encore en mémoire les articles de Jean-Paul Sartre sur la fête cubaine publiés, me semble-t-il, par France Soir, le quotidien flamboyant de Pierre Lazareff.
Il faut bien reconnaître que le mythe à la vie dure, notamment à cause de Che Guevara dont le poster a longtemps couvert les murs des chambres d’adolescents. Mon ami Régis Debray explique comment il devint compagnon de route et interlocuteur de Fidel et garde en lui-même « le vibrato d’un moment de fraternité évanoui » qu’expliquent aussi « une certaine ingénuité d’âme, un zeste de messianisme chrétien, la guerre d’Espagne encore dans les têtes et la volonté d’expier nos hontes nationales ». Mais je ne puis m’empêcher en même temps de me souvenir du témoignage d’un autre ami, cubain celui-là, et qui avait participé aux côtés de Fidel Castro à la lutte victorieuse contre le dictateur Batista. Jorge Valls, insoupçonnable d’une quelconque complicité avec l’impérialisme et le désordre établi, n’en avait pas moins payé de vingt ans de prison sa fidélité à son engagement civique et moral, inspiré d’une foi vraiment prophétique. J’entends encore son récit de l’horreur carcérale et de l’exécution de ses compagnons. Alors non, les paroles malheureuses de Ségolène à Cuba ne passent pas, ne passent décidément pas.