Récemment, une collègue m’a invité à rendre visite aux restes d’un saint prêtre, une perspective qui – pour un catholique – semble assez normale. Assurément, la tradition solennelle de vénérer les reliques des saints a des racines profondes et anciennes. Cependant, son invitation a atterri dans ma boîte de réception sous la forme humoristique d’une personne expliquant doctement au monde que les catholiques n’étaient pas du tout étranges mais qu’ils vérifiaient pourtant anxieusement s’il n’y avait pas des reliques spécifiques à visiter à distance raisonnable.
Ironie notée. Localisation enregistrée.
Elle savait que, plusieurs années auparavant, j’avais fait une demande pour une bourse de recherche afin d’étudier pourquoi les gens allaient voir les « Incorruptibles » à Rome. Visitaient-ils toujours les sanctuaires en raison d’une pieuse dévotion ou était-ce maintenant une curiosité macabre ? Le projet a requis bien plus d’explications que prévu simplement parce que le comité n’avait pas idée que de telles choses « existaient toujours ».
Vénérer les restes des saints est vu par beaucoup comme un bizarre retour en arrière, impossible à justifier pour les modernes ? Car pendant que la tradition enjambe les millénaires, les temps et les croyances ont changé. Dans un monde où la science, nous a-t-on dit, a tout expliqué, les corps n’ont ni mystère ni importance. Ils sont modifiés et transformés, changeables et interchangeables, quelque chose à transcender et remplacer.
Pourtant les corps ont de l’importance, dans la vie comme dans la mort. L’Eglise primitive a reconnu cela immédiatement. Ce que vous faites affecte le monde matériel ; cela transforme aussi le corps, en bien ou en mal. Laisser la vie et la puissance de Dieu se répandre à travers une personne charge de sainteté la matière dont elle est faite.
L’Eglise conserve précieusement les restes des saints parce qu’elle sait que cela est vrai. Les Ecritures soulignent que des étoffes ayant touché la peau de Paul chassaient les démons et la maladie (Actes 19:12) et que les gens croyaient que la simple ombre de Pierre pouvait guérir (Actes 5:15). Elles certifient que même les os sans vie d’Elisée ont rendu la vie à un homme enterré à ses côtés (2 Rois 13:21).
Il y a quelque chose d’autre ici cependant : les corps sont importants en communauté. Cela a peu à voir avec les miracles et beaucoup avec le maintien de l’identité et de la relation. Quand les fidèles ont récupéré les os de Polycarpe, « plus précieux que des joyaux » et les ont déposés dans un endroit approprié, c’était dans l’idée de s’y rassembler annuellement pour célébrer son martyre et se préparer à suivre le même chemin. Polycarpe était vivant et agissant même dans la mort.
Et il ne restait pas grand chose d’Ignace d’Antioche après que les bêtes l’aient déchiré, mais l’Eglise a récupéré les restes les plus importants, se réjouissant de ramener à Antioche un véritable trésor donné par la grâce de Dieu. Il est retourné au sein de son peuple, un membre toujours vivant de sa communauté.
Les Ecritures témoignent que Joseph mourant fit jurer aux fils d’Israël que lorsqu’ils quitteraient l’Egypte ils rassembleraient ses os et les emporteraient avec eux (Genèse 50:25). Ils l’ont fait, l’enterrant avec ses pères, certes, mais également au milieu d’eux.
Le corps est vraiment important, et ce que nous faisons avec – dans la vie et dans la mort – a de l’importance. En dépit du présupposé populaire ces temps-ci que certaines religions sont les Gens du Livre, ce n’est pas vrai. Nous ne sommes pas fondés sur un livre : nous avons un livre. Nous sommes construit sur un Corps. Membres de celui-ci. Sauvés par lui. Vivifiés par lui. Il n’est guère étonnant alors que l’Eglise conserve les restes de ses saints et construise des autels sur leurs os, car ils demeurent une partie vivante du Corps du Christ.
Cette croyance peut être perdue, cependant, et avec elle l’identité et la communion que nous maintenons comme Corps. Les gens ne vont plus que rarement en pèlerinage. Les paroisses, quand elles en ont, ne savent plus quelles reliques elles possèdent. Même la croyance en la Présence Réelle dans l’Eucharistie est en déclin. Ces deux choses ne sont pas sans lien. Les corps n’ont plus d’importance.
Un petit exemple récent : mon père avait une profonde dévotion pour le père Jacques Marquette, le grand missionnaire français du 17e siècle. Cela lui était personnel. Avant de mourir, il désirait visiter la tombe de Marquette dans le Michigan mais il était devenu trop malade et cela s’est révélé impossible.
Plus tard, une correspondance est tombée entre mes mains. C’étaient des lettres, brunies et cassantes, écrites en 1886, du père Edward Jacker. Elles racontaient la découverte des restes de Marquette à Point Saint-Ignace plusieurs années auparavant.
Marquette est mort et a été enterré là en 1675. En 1677, les indiens Outaouais chassaient dans les parages et souhaitaient visiter leur père spirituel. Comme les Israélites, ils ont rassemblé ses os et les ont ramenés solennellement à la maison pour les enterrer près de la chapelle Saint-Ignace. Son corps avait de l’importance. Il était important pour leur communauté. Le père Jacker a prélevé les plus gros fragments pour les donner à l’université Marquette qui venait d’être fondée et a ré-enterré les autres à Saint-Ignace.
Fascinée, j’avais l’habitude de demander aux jésuites de Marquette où étaient conservés les restes du père Marquette. Sûrement dans une chapelle ? Dans leur communauté ? Personne ne savait. La plupart disaient que sa tombe était dans le Michigan. Quelques-un demandaient quelle différence cela faisait : ce n’étaient que des os. Sidérée, je fis un pèlerinage aux archives, cherchant une trace écrite à suivre. La dame me dit à mi-voix que ce n’était pas nécessaire. Ses restes étaient stockés dans les archives derrière elle. La communauté jésuite exigeait qu’on ne les voit pas.
La même communauté qui ne savait où étaient ses restes ? Laissez-moi exprimer, non une critique, mais une prière. Puissions-nous nous souvenir de nos saintes reliques. Jacques Marquette demeure vivant et agissant : un patron à implorer, un saint prêtre qui intercède pour son peuple. Nous devrions honorer son corps.
Sur le point d’entrer en Carême (NDT : énorme retard de traduction), puissions-nous nous souvenir des raisons pour lesquelles nous chérissons les dépouilles [des saints] et les gardons parmi nous.Il n’y a pas en jeu que la seule perte de la trace de leurs corps mais également l’oubli de la source de notre véritable identité comme Corps du Christ.
« Dieu n’a pas voulu permettre qu’un deposit si pretieux, demeurast au milieu des bois sans honneur et dans l’oubly. » [volume 59 de Rapports jésuites et documents afférents]
T. Franche dite Laframboise est auteur, conférencière et spécialiste des Ecritures avec des diplômes des universités Marquette et Notre-Dame. Elle se spécialise dans l’anthropologie théologique et l’exégèse patristique.
Illustration : « Le Père Marquette et les indiens » par Wilhelm Lamprecht, vers 1890 [Raynor Memorial Library, Université Marquette, Milwaukee, Wisconsin]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/03/remembering-the-body/
Pour aller plus loin :
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- UN GRAAL INCERTAIN : LE FOND DU CIEL