Scènes de la vie d’un professeur d’université - France Catholique
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100 ans. Donner des racines au futur
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Scènes de la vie d’un professeur d’université

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Paul Sunstein m’a envoyé un courriel mercredi dernier. Il serait de retour à Amherst pour la 45° réunion de sa classe de 1968. Les bébés de 1946. Il est maintenant aussi vieux que le siècle l’était quand il m’a été envoyé comme un « cadeau », étudiant indépendant, travaillant sans suivre de cours, sous ma conduite, pour sa dernière année d’études. Et il n’a jamais cessé de rechercher cette conduite : il me suivait chez le coiffeur, et s’asseyait à côté de moi, entretenant le flot de la conversation tandis que le coiffeur s’occupait de moi.

Nous avons passé tous les deux quelques jours en ville. J’avais été absent d’Amherst durant le printemps, pour étudier un nouveau projet sur la loi naturelle à Washington. Mais la semaine précédente, j’avais fait le discours de remise de diplômes à Seton Hall, devant un auditoire rassemblé dans un stade des « Meadowlands » du New Jersey. Mon intervention avait pour but de marquer l’ascendant de l’orthodoxie à l’université catholique — et de provoquer des grincements de dents parmi les autres membres de la faculté.

Puisque j’étais en mode « remise de diplômes », je me suis dit que je pourrais retourner à celle de mon propre petit collège, en compagnie pour la dernière fois, d’amis qui prenaient leur retraite. La remise de diplômes est suivie, quelques jours après de Réunions d’anciens, et voilà ce qui a fait revenir Paul Sunstein de sa propre enclave académique jusqu’à Amherst, puisqu’il enseigne la théorie politique dans le Michigan.

Mais ces journées de  « Réunions » ont aussi formé pour moi, par le passé, les Week ends les plus joyeux de l’année. Car maintenant, cette année, sur les promotions aux élèves desquelles j’ai enseigné de 1968 à 2008, 9 sont déjà à la retraite. Mes premiers élèves à Amherst sont tous des hommes qui approchent maintenant de 70 ans. Ils ont plus de cheveux gris, ils ont pris du poids, et souvent ils ont des problèmes de prostate, mais pour moi, ils ont toujours 20 ans. Je les vois comme ils étaient alors. Et je me souviens de leurs meilleurs devoirs, du début jusqu’à la fin, de leurs traits d’esprit et de leurs réparties, en classe.

Un certain nombre d’entre eux ont des enfants à qui l’on remettait leurs diplômes lors de cette séance. Juste quelques semaines avant, le 8 mai, certains de mes anciens étudiants ont organisé une soirée à New York pour célébrer le 25° anniversaire de mon livre First things (les premières choses) et le 40° anniversaire du cours dont était issu ce livre (Obligations politiques). A cette occasion, nous avons eu une combinaison de parents et d’enfants qui avaient suivi ce même cours.

Fr. Neuhaus a « emprunté » le titre de ce livre pour un nouveau journal, et grâce à ses talents d’éditeur, une communauté de lecteurs s’est formée autour de ce journal. Ce soir-là à New York, Frank Beckwith et Diana Schaub (de Loyola à Baltimore) ont donné leurs propres témoignages sur leur expérience d’enseignement à partir de ce livre — et celle d’étudiants qui ont été durablement affectés par cet enseignement. De mon côté, bien sûr, les histoires étaient légion. Sam Rudman  (promotion 9), était tellement excité par l’enseignement sur la loi naturelle et les discussions sur l’avortement, qu’il passa devant moi pour entrer dans l’église. Noah Silverman (92), étant adolescent, avait fait un voyage d’été avec les sandinistes au Nicaragua. Il était devenu un leader « pro-life » (anti avortement) au Sénat, avant de devenir responsable des relations du Congrès avec la coalition juive républicaine.

Il y a 15 ans, un cher ami à moi, juge fédéral en vue, m’a dit que l’aîné de ses enfants était intéressé par Amherst. Il supposait, m’a-t-il dit, que si cette institution m’avait supporté pendant 30 ans, elle ne pouvait pas être si mauvaise. Eh bien elle est politiquement mauvaise, mais il y a toujours un espace pour permettre aux enfants conservateurs de trouver un cercle d’amis dans lequel s’installer confortablement, tout en gardant un silence détaché face aux courants politiquement corrects qui les environnent.

Lors d’un dîner à Boston, il y a des années, le Cardinal m’appela à sa table pour me demander comment je pouvais être anti avortement, et survivre à Amherst. Une phrase de Jane Austen me revient souvent à l’esprit : « Ce n’est pas parce qu’on a souffert dans un endroit, qu’on l’aime moins ». Oui, j’ai été très contrarié politiquement par les idées qui avaient cours à Amherst. Mais si c’était de la souffrance, c’était une souffrance stylée : J’ai été réconforté par l’affection d’amis qui n’ont pas exactement mes idées sur les grandes questions du jour, et j’ai été soutenu généreusement par ce collège bien que le directeur ait eu à batailler, même encore maintenant, contre les plaintes d’étudiants qui pensaient qu’un collège libéral qui se respecte ne devrait pas accepter ma présence.

Mais avec tout cela — en dépit de toutes les blessures des reproches – nous en revenons à… ces étudiants ; ceux qui se sont rassemblés le week-end dernier, et ceux que je reverrai quand le cycle du temps ramènera d’autres classes l’année prochaine et me permettra de redécouvrir les étudiants qui il y a longtemps, m’étaient devenus chers. Ils ont fait partie des bénédictions auxquelles je tiens. Qu’est-ce que cela aurait été si je n’avais pas connu leur intelligence et leur dévouement. En terminant mon dernier livre, je me suis rendu compte que je n’y avais pas mis de dédicace. Les mots que j’ai écrits alors pourraient aussi bien servir dans ces colonnes, en ces temps de «  Réunions » :

Pour Michael Petrino 68 et Michael Petrino 03

Jay Beech 67 et Scott Beech 99

Doug Neff 70 et John Neff 09

Kevin Conway 80, Jack 10 et Ryan 12

De la part d’un professeur qui a béni leur présence en classe, et leurs conseils par la suite.


Hadley Arkes est professeur honoraire de Jurisprudence à Amherst College.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/scenes-from-an-academical-life.html