Sommes-nous en train de vivre un second vatileaks ? Deux arrestations au Vatican pourraient en donner l’impression, puisque le prélat et la dame concernés sont accusés d’avoir divulgué des documents confidentiels sur certaines pratiques à l’intérieur de la curie romaine. Par ailleurs, deux ouvrages sortent ces jours-ci, pour révéler au public les turpitudes du Saint-Siège. Le journaliste italien Gianluigi Nuzzi, auteur de Chemin de croix (Flammarion) entend énoncer les péchés capitaux du Vatican. Ce type de titre fracassant fait le bonheur de notre confrère Le Monde, qui en tirait sa une hier après-midi et consacrait trois pages au libelle de Nuzzi.
À partir de ces trois pages, on peut se faire une première idée du scandale. Au moins deux histoires croquignolesques nous sont racontées, du genre de celles qui font, hebdomadairement, le charme du Canard enchaîné. Peut-on en tirer une conclusion générale ? C’est quand même un peu hasardeux, en l’absence de l’ensemble des données du dossier. Est-il scandaleux que la curie vive sur le denier de Saint-Pierre, cette collecte destinée annuellement au Saint-Siège et qui permet de financer ses missions nombreuses ? Je n’en sais trop rien, tout en me demandant sur quelles autres ressources pourraient vivre les organismes romains.
Par ailleurs, je ne sous-estime pas la performance que constitue la réforme de la curie et celle de l’organisation financière du Saint-Siège. Il est hautement probable que la démission de Benoît XVI s’explique largement par sa volonté de laisser à son successeur une tâche qui était au-dessus de ses forces. On ne réforme pas en un jour un organisme aussi complexe et qui ne répond nullement à la rationalité technique des administrations civiles. Mais je suis obligé de constater que l’on instrumentalise les affaires dans le but de discréditer totalement l’administration centrale du Saint-Siège. Curieusement, Libération est plus distancié que Le Monde à l’égard de ces informations. Ce quotidien retient, en effet, l’avis du vaticaniste Marco Politi qui relève que le premier vatileaks révélait une lutte de pouvoir, alors que le second ne concerne que des personnes isolées. Enfin, on me permettra de saluer les belles figures de la curie romaine, les collaborateurs de premier plan des papes, ainsi que les plus humbles. Tous ceux qui ont magnifiquement œuvré pour l’Église. N’est-ce pas utile à l’heure où, selon le mot fameux, on voudrait nous faire croire qu’ils sont tous pourris ?
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 4 novembre 2015.
Mise au point du P.Lombardi
Cité du Vatican, 4 novembre 2015 (VIS). Voici des réflexions proposées par le Directeur de la Salle de Presse à propos de la reprise du débat médiatique sur les problèmes économiques du Saint-Père:
« La publication imminente de deux livres ayant pour sujet les institutions et les activités économico-financières du Saint-Siège attise la curiosité et provoque une multiplication de commentaires. Quelques observations sont nécessaires. D’abord, une bonne partie de ce qui est publié résulte d’une fuite d’informations et de documents confidentiels. Il s’agit donc d’une démarche illégale qui doit être punie avec détermination par les autorités judiciaires vaticanes. Mais ce n’est pas ce dont nous voulons parler aujourd’hui, d’autant que l’argument est déjà l’objet d’une excessive attention. Réfléchissons plutôt au contenu des fuites. On peut déjà dire que pour la plupart d’entre elles, il s’agit d’informations déjà connues, certes avec bien moins d’ampleur et de détails. La documentation exposée est principalement liée à une collecte de données mise en mouvement par le Saint- Père lui-même, en vue de lancer une réflexion sur l’amélioration ou la réforme des structures administratives de l’Etat du Vatican et du Saint-Siège. A cet effet, la Commission d’études et de propositions relatives aux structures économico-administratives avait été instituée par le Pape en juillet 2013. Son mandat rempli, la COSEA a été dissoute en février suivant. On ne peut parler d’informations obtenues contre la volonté du Pape ou des chefs des différents organismes et institutions, mais d’informations obtenues ou fournies avec la collaboration de ces institutions, afin de contribuer aux réflexions communes sur les réformes à projeter. Bien sûr, beaucoup d’informations de cette nature doivent être étudiées, perçues et interprétées avec prudence, équilibre et attention. D’autant que des lectures différentes sont souvent possibles à partir des mêmes données. Par exemple, la situation du Fonds des retraites, sur lequel ont été exprimées des évaluations très différentes, certains évoquant avec inquiétude un profond déficit, tandis que d’autres fournissaient une lecture rassurante (communiqués officiels publiés par la Salle de Presse du Saint-Siège).
Il y a aussi le débat relatif aux objectifs et à l’utilisation des biens du Saint-Siège. Bien qu’effectivement considérables, ils sont destinés à soutenir les services gérés par le Saint-Siège ou les institutions qui lui sont liées, à Rome comme de part le monde. La propriété de ces biens est très variée, et tout le monde dispose les outils permettant de connaître leur histoire et leur évolution. Il est par exemple utile se s’informer sur les accords économiques passés entre l’Italie et le Saint-Siège dans le cadre des Accords du Latran, mais aussi sur les efforts déployés par Pie XI avec le concours d’experts et collaborateurs remarquables, afin de disposer d’une administration efficace, au point que la gestion du Vatican fut reconnue comme un exemple de sagesse et de clairvoyante, y compris sous l’aspect des investissements à l’étranger. En ce qui concerne le Denier de saint Pierre, il est nécessaire de savoir qu’il est employé de manières variables, en fonction des situations et des priorités du Saint-Père, à qui les fidèles l’ont offert pour soutenir son ministère. Les œuvres de charité du Pape en faveur des pauvres sont certainement l’objectif essentiel. Mais les fidèles n’entendent pas contester au Pape la liberté d’évaluer par lui même les situations d’urgence ni la façon d’y répondre pour le bien de l’Eglise universelle. Or cela comprend également outre la charité du Pape, ses initiatives hors du diocèse de Rome, la diffusion de son enseignement pour les fidèles des parties du monde les plus pauvres, la Curie Romaine comme un instrument de son service, le soutien aux 180 missions diplomatiques pontificales, l’assistance aux Eglises locales dans le besoin, etc. L’histoire du Denier démontre tout cela avec clarté.
Régulièrement ces débats médiatiques refont surface, attisant curiosité ou polémique. Il faudrait faire preuve de sérieux pour approfondir ces situations délicates et les différents problèmes spécifiques. Cela permettrait de distinguer ce qui va bien, et qui est beaucoup plus courant que ce que disent les publications en cause: Des actions et démarches parfaitement licites et justifiées, des actes administratifs normaux, y compris le paiement des impôts dus. Il faudrait distinguer cela des problèmes à corriger, des points obscurs à dissiper, des véritables irrégularités ou illégalités à éliminier. C’est précisément le travail délicat et complexe entrepris à la demande du Pape avec la création de COSEA, dont les recommandations sont précisément suivies: La réorganisation des dicastères économiques, la création du poste de Réviseur général, le bon fonctionnement des institutions chargées de la surveillance des activités économiques et financières, etc. C’est là une réalité objective et incontestable. La publication en vrac d’une grande quantité d’informations de nature diverse, en grande partie liée à une phase du travail aujourd’hui dépassée, fait tendencieusement l’impasse sur l’évaluation objective des résultats atteints. Pire elle crée l’impression du contraire et fait croire que règne une confusion permanente, la non-transparence, voire même la poursuite d’intérêts individuels ou incorrects. En outre, cela ne rend pas justice au courage et à l’engagement avec lesquels le Pape et ses collaborateurs ont fait face et continuent à relever le défi que représente l’amélioration de l’utilisation des biens temporels au service du spirituel. C’est pourtant ce qui devrait être le plus apprécié et encouragé par un travail journalistique correct, capable de répondre adéquatement aux attentes de l’opinion et aux exigences de la vérité. L’objectif de la bonne administration, de l’équité et de la transparence n’a pas changé. Il progresse sans incertitudes et selon le voeu du Pape François. Il ne manque pas de personnes au Vatican pour collaborer loyalement et avec énergie ».