Cher Père Michel Niaussat,
je ne sais si vous en avez gardé le souvenir, mais nous nous sommes rencontrés il y a quelques années, lors d’un salon du livre en Vendée. Cela fait partie du charme de ce genre de manifestation : faire des rencontres inopinées, nouer des relations avec ou sans lendemain, mais qui vous enrichissent en vous ouvrant sur des mondes nouveaux. Je ne vous connaissais pas, et brusquement, vous m’avez ouvert à deux mondes que vous aviez explorés tour à tour, ou simultanément. Y a-t-il tant d’exemples d’un religieux, moine cistercien, entrant dans cet autre univers clos qu’est la prison ? Je me souviens très bien que nous avons discuté là-dessus et que vous aviez gardé intacte votre indignation eu égard à la situation faite aux détenus, que vous trouviez proprement inhumaine. Vous en aviez fait part à l’époque, notamment en vous adressant au garde des Sceaux, Elisabeth Guigou. Je vous avais interrogé : n’y avait-il pas une erreur fondamentale à faire de la prison, de la détention, l’unique moyen de protéger la société et de punir les délinquants ?
N’était-ce pas une impasse, et souvent même, la prison n’était-elle pas une école de la délinquance, aggravant l’état psychologique et moral des plus jeunes des détenus ? N’était-il pas grand temps, au-delà de la rénovation indispensable de l’immobilier pénitentiaire et des conditions de détention, d’imaginer un autre système de punition, de réparation et de réhabilitation ? Vous m’aviez confirmé dans mes idées, fort de votre expérience de 20 ans d’aumônier de la prison du Mans. Avons-nous progressé depuis lors ? Ce n’est guère mon impression, mais nous sommes là sur un terrain où il semble extrêmement difficile de bouger. La terrible inadéquation de l’institution par rapport à son objet continuera de faire scandale, sans qu’on se décide enfin à tout remettre à plat et à prendre des décisions courageuses.
Mais ce qui m’avait aussi impressionné, c’est que le religieux que vous êtes soit toujours aussi attaché à la vie monastique. Nous avions échangé là-dessus et j’avais gardé le sentiment d’une grande connivence. Je terminerai donc sur ce sujet en esquissant deux remarques. La première concerne l’incontestable attachement d’une partie de la population aux monastères, lieux privilégiés de la vie intérieure, du face à face avec Dieu. Un autre cistercien me disait un jour que c’était cela la vie du moine : être en toute occasion, en présence de Dieu. Ce n’est pas d’ailleurs forcément idyllique. Parfois c’est difficile, et c’est même la nuit, la nuit des mystiques et la nuit plus prosaïque des humbles chercheurs de l’absolu. Seconde remarque : elle concerne l’incompréhension d’une autre partie de la population à l’égard du mode de vie monastique. Incompréhension qui a d’ailleurs des racines historiques depuis le dix-huitième siècle et une Révolution qui voulut abolir les vœux des religieux. Récemment, m’a t-on dit, mais je resterai prudent, n’ayant pu le vérifier, une responsable politique aurait rapproché la querelle de la burqua de la condition de la religieuse cloîtrée et voilée. C’est bien le signe d’une formidable incompréhension. Mais il faut des Michel Niaussat pour nous éclairer à la fois sur le scandale des prisons et la vérité de la vie monastique.