Dans un photoreportage du journal londonien The Guardian à propos du référendum irlandais sur l’avortement, une des photos montre, au sommet du mont Coroagh Patrick, un homme agenouillé et un prêtre assis à ses côtés portant une aube et une étole pourpre. La légende dit : « Un militant contre l’avortement récite l’eucharistie avec un prêtre. » La photo avec sa légende a fait le tour des réseaux sociaux catholiques qui se sont moqués (parfois gentiment, parfois pas du tout) de cette fausse interprétation de ce qui était de façon évidente la célébration du sacrement de pénitence.
Comme beaucoup de catholiques et pas mal de non-catholiques le savent parfaitement, l’eucharistie n’est pas quelque chose que l’on récite comme une prière ou un serment. C’est un sacrement, et le verbe régulièrement attaché aux sacrements est habituellement le verbe « célébrer ». Il y a, pour être clair, une forme archaïque mais correcte « dire la sainte messe ». Mais ce n’est pas le sacrement qui est montré sur la photo.
Pourtant, tandis que beaucoup ont saisi l’occasion de se moquer de l’éditeur de la photo, qui n’est très probablement pas un catholique, vu son manque de familiarité avec la terminologie catholique, cela m’a rappelé un des problèmes les plus profonds et les plus déconcertants : le fait que tant de catholiques aussi ne connaissent pas cette terminologie.
Dans un grand archidiocèse où j’ai travaillé auparavant, des enquêtes ont montré que ce qui manquait le plus aux enfants qui passent par une éducation religieuse paroissiale était le vocabulaire du catholicisme. Trop de nos enfants – et aussi leurs parents, sans doute – ne connaissent pas les mots qui expriment notre foi et, en conséquence, leur capacité à connaître et à vivre leur foi est gravement handicapée.
J’en ai une expérience directe dans mon travail d’éducation religieuse en paroisse. Il n’est pas rare pour moi d’avoir des questions du genre : « Qu’est-ce qu’un monseigneur ? » ou « J’ai été dans une église et j’ai vu un petit parapluie et une cloche, qu’est-ce que c’était ? » (l’umbrellino et le tintinnabulum indiquent que l’église a été désignée comme basilique). Ces questions ne sont pas entièrement surprenantes dans la mesure où aujourd’hui les gens rencontrent rarement des tels objets. Mais j’ai reçu un choc les premières fois où j’ai donné des cours sur l’eucharistie.
Je m’attendais à ce que la plupart des gens n’aient pas la formation en métaphysique aristotélicienne suffisante pour expliquer ce qui signifiait la « transsubstantiation ». Donc j’étais prêt à l’expliquer. Mais j’ai découvert que non seulement les gens ne sont pas familiers avec le sens de ce mot, mais qu’ils ne sont pas familiers non plus avec le mot lui-même. Ils ne l’ont jamais entendu. Nous en sommes au point où les gens ne sont pas seulement en train de perdre le sens des mots du catholicisme ; ils perdent les mots eux-mêmes.
Cela peut être dû au mouvement d’aller-retour dans les approches catéchétiques des dernières décennies. Les gens de la génération de mes grands parents étaient élevés avec les textes style catéchisme de Baltimore, avec liste de questions et réponses à mémoriser, qui donnaient les définitions de base des termes-clés de la foi.
Certains pensent que cette approche donnait à une foi superficielle, incapable d’aller au-delà des réponses du petit livre bleu qu’ils recevaient enfants. Ainsi, dans les générations suivantes on procéda à une catéchèse plus expérimentée, mettant l’accent sur une relation émotionnelle avec l’amour du Dieu qui nous avait faits. Plutôt que des définitions mémorisées, les enfants quittaient l’éducation religieuse avec rien de plus que des descriptions à l’eau de rose de la Dernière Cène.
Quel est le résultat de ces approches différentes ? Les gens des générations plus âgées vont toujours à la messe et, dans l’ensemble, croient aux enseignements de l’Eglise, et se désolent en voyant que leurs enfants ne vont plus à la messe et ne connaissent pas la foi qu’ils rejettent. Quelque chose a été perdu. Quelque chose est allé de travers.
Bien sûr, ce sont des généralisations : il y a beaucoup de gens de la génération du catéchisme de Baltimore qui ont quitté la foi, exactement comme il y a dans la cohorte qui lui a succédé, plein de gens qui ont une foi active. Mais fondamentalement, les modèles tiennent et sont instructifs. Nous avons besoin dans notre foi d’une relation émotionnelle et d’une substance intellectuelle. Mais l’intellectuel est un sol plus fertile. Dans la phraséologie scolastique, la connaissance mène à l’amour : on ne peut pas aimer un Dieu qu’on ne connaît pas. On ne peut pas aimer une foi avec laquelle on n’est pas familier. Autrement, qu’est-ce qu’on aime ?
Parfois l’approche la plus émotive a cherché à remplacer les termes classiques par différents mots ou à mettre l’accent sur des points différents. La messe fut d’abord comme un repas de famille, non un repas de sacrifice. La réconciliation était décrite comme un partage plutôt qu’une confession. Ces termes sont difficilement synonymes.
Mais même les synonymes ne sont pas toujours synonymes, comme J.R.R. Tolkien l’a noté dans une de ses lettres. Deux mots peuvent avoir un référent commun, comme argent (monnaie) et argent (métal), mais personne ne les utiliserait de la même façon ou dans le même contexte. Mais les connotations des mots ont leur importance dans le contexte théologique.
Catalogues et termes peuvent être insuffisants pour transmettre la foi, mais ils sont nécessaires. Les mots sont porteurs de concepts – si on perd le mot, on perd l’idée. (Il est à la mode aujourd’hui de citer le 1984 d’Orwell dans toutes sortes de contextes, mais c’est pertinent). Ces mots donnent forme à notre foi.
Dans les écoles de théologie et les conciles œcuméniques on s’est battu sur des mots. Au concile de Nicée, il n’y avait qu’une « différence d’un iota » entre l’hérésie arienne (homoioousios = d’une semblable substance) et l’orthodoxie (homoousios = de la même substance), deux voies différentes d’appréhender la relation de Jésus avec Dieu le Père.
Si nous nous intéressons à transmettre notre foi aux jeunes, nous devons nous préoccuper de tout iota, chaque petit point et chaque petit trait. Cela peut marquer la différence entre la vérité et l’erreur, entre la foi qui résiste et celle qui disparaît.
Samedi 16 juin 2018
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Nicholas Senz est directeur pour la formation de la foi des enfants et des adultes à l’église Saint Vincent de Paul d’Arlington, Texas, où il vit avec sa femme et ses deux enfants. Il est titulaire d’une maîtrise en philosophie et théologie de Berkeley, Californie.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/06/16/saving-our-catholic-vocabulary/