Les journées internationales organisées par Sant’Egidio ont eu lieu cette fois en Allemagne, plus précisément en Westphalie, à Münster et Osnabrück. Ces deux cités sont passées dans l’Histoire quand y furent conclus en 1648 les traités de Westphalie instituant la paix religieuse et civile dans l’Empire germanique après trente ans d’une guerre destructrice. La moitié de la population allemande de l’époque y a péri. La chancelière allemande l’a rappelé dans son long discours lors de la séance inaugurale le 10 septembre. En campagne électorale (les élections législatives allemandes ont lieu le 24 septembre), elle avait tenu à participer pour la seconde fois à la manifestation de l’organisation romaine.
Si l’on s’est référé au précédent des traités de Westphalie et si les deux villes avaient été choisies cette année, c’est surtout à cause de la commémoration du cinquième centenaire de la Réforme. Entre l’affichage des thèses de Luther et le déclenchement de la guerre de Trente ans, un siècle tout juste s’était écoulé (1517-1618). Nous sommes aussi, comme l’a rappelé Angela Merkel, à la veille du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, ce qui n’a pas empêché ni la seconde, ni la Shoah. On ne pouvait pas, à Münster, ignorer le nom de son ancien évêque, le comte Von Galen, qui de 1933 à 1945 s’insurgea en chaire contre l’idéologie nazie, les camps de concentration, les atteintes à la dignité humaine, la liquidation des handicapés. Fait cardinal par Pie XII, il a été béatifié en 2005 par Benoît XVI.
C’est sur cet arrière-plan que les religions du monde se réunissaient dans l’esprit d’Assise. La réunion était globale, internationale, interdénominationelle, interreligieuse. On aura noté une présence musulmane multiforme inégalée en nombre, avec le recteur d’Al-Azhar, le cheikh Al-Tayeb, et des représentants de toutes les régions : du Maroc et de l’Albanie à l’Indonésie et aux Philippines (un dirigeant du Front islamique Moro). Des panels régionaux furent consacrés à la reconstruction en Irak, à la Tunisie, mais aussi à l’Asie et à l’Afrique (dont le président du Niger Issoufou Mahamadou). Le continent américain était peu représenté, Nord (à l’exception de l’économiste du développement Jeffrey Sachs) comme Sud.
En Europe, la France, parfois sous-représentée dans le passé, ne comptait pas moins d’une douzaine d’intervenants : deux cardinaux – Philippe Barbarin et Jean-Pierre Ricard – deux évêques – Michel Santier et Laurent Ulrich –, le président de Total, Patrick Pouyanné, le président de la fédération protestante, François Clavairoly, des universitaires (Jean-Dominique Durand, Emmanuel Dupuy), l’éditeur Jean-François Colosimo, des journalistes (Jean-Pierre Denis et Jean-Claude Petit), le frère Alois de Taizé. Le président du Parlement européen, l’italien Tajani, deux ministres allemands, Santé et Coopération, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat italien, Casini, complétaient les panels, dont un seul, parmi 25 avait été spécialement dédié à l’Europe : « L’Europe face à son avenir ». Angela Merkel s’est expliquée sur la question : « L’espérance européenne est de retour », le mot est du professeur Durand qui se fonde sur deux faits nouveaux si l’on peut dire : l’engagement du pape François, notamment dans son discours de réception du prix Charlemagne à Rome en mai 2015 et l’avènement en mai 2017 du président Macron et de son programme européen tel qu’il vient d’être développé à Athènes.
Pour le reste, l’Europe ne fut jamais absente des préoccupation, qu’il soit question d’Afrique, de migrations, d’environnement, de justice sociale, de terrorisme, de sécurité et de guerre… On se rendait bien compte que si la mondialisation était à ce point « matérialiste », c’était par un « défaut d’âme », dira Andrea Riccardi, mais derrière « âme » on lisait en filigrane « Europe » ou « Civilisation ». Le fondateur de Sant’Egidio a été clair : « L’unification spirituelle du monde n’a pas eu lieu. » « Les religions n’ont pas vu la mondialisation comme une aventure de l’esprit et de la foi. » Pourtant « les courants spirituels changent l’histoire. C’est un phénomène évident et oublié ». L’exemple de la Réforme protestante était là encore dans toutes les têtes. On connaît les analyses – discutées – sur son lien avec le capitalisme. « C’est une mondialisation sans âme qui s’est affirmée. »
Ceci explique le choix du titre pour cette réunion : « Les chemins de la paix ». « Chemins » est un terme évangélique, qui invite au dialogue, on se souvient des pèlerins d’Emmaüs. « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » D’autres traductions parlent de « voie ». Mais on pense aujourd’hui plutôt à des « routes ». Ce vocable qui fut celui du scoutisme, évoque inévitablement aujourd’hui la vitesse, la solitude au volant, et ne porte pas au dialogue. Peut-être aussi ce terme est-il préempté par la Chine autour de son projet global de « route de la soie ». Le développement des communications et des échanges qui se profile à l’horizon du XXIe siècle n’a aucune âme. Même les spiritualités de l’Orient qui comptaient à cette réunion de nombreux dignitaires bouddhistes de tous rites et obédiences, voire confucéens, taoïstes et même hindouistes, ne semble plus générer ce supplément d’âme qu’il fut un temps pour les Occidentaux. L’humanité des chemins petits et grands de sa genèse ne se retrouve pas sur les autoroutes de l’information que nous empruntons désormais sans plus y réfléchir, méditer ni prier. Ces trois journées annuelles de Sant’Egidio sont de plus en plus nécessaires à la respiration de notre monde.
Photo : séance inaugurale à Münster.