Beaucoup de catholiques comprennent de travers les paraboles de notre Seigneur. Nous tombons dans une piété édulcorée, les voyant comme des fables, de gentilles historiettes terre-à-terre qui enseignent des leçons religieuses. Soit dit en passant, cela explique bon nombre de mauvaises prédications. Ressentant cette vision superficielle des paraboles de nombreux prêtres pensent pouvoir imiter le Maître. D’où les banales histoires personnelles et les références culturelles ou cinématographiques qui sont supposées illustrer des vérités divines mais qui ne font que les vider de signification.
En fait les paraboles de Jésus ont toujours plus de profondeur que ne le révèle la première, seconde ou troisième lecture. Loin d’être simplement une sagesse maison, elles contiennent souvent un tournant ou un impact qui chamboule la pensée conventionnelle.
C’est particulièrement vrai dans l’Evangile de Saint Luc où notre Seigneur nous donne plusieurs paraboles déconcertantes.
Ainsi, loin dans les lectures du dimanche de Luc, nous avons entendu parler d’un étranger haï qui était meilleur que la fine fleur d’Israël (Luc 10), d’un conseil social cynique sur comment passer devant (Luc 14) et d’un berger peu compétent (Luc 15). Nous entendrons parler plus tard du juge injuste et du pieux publicain (Luc 18). L’incongruité de ces histoires a pour but de nous sidérer, précisément pour que nous prêtions davantage attention à l’enseignement de notre Seigneur.
Que nous apporte la parabole de ce jour, connue sous le nom étrange du « gérant malhonnête » (Luc 16:1-13) . Dénoncé pour avoir fraudé son maître, ce gérant prend des dispositions en vue de son renvoi ultérieur en l’escroquant davantage. Ensuite le maître fait son éloge ! C’est absurde, bien évidemment, et nous ne devrions pas être pieusement d’accord avec la louange du maître. L’histoire est prévue pour choquer, non pas pour édifier. Et cela pour que nous prenions le temps d’apprécier une vérité qui contredit la sagesse du monde. A savoir le pragmatisme de la foi.
La pensée conventionnelle tient la foi pour non pragmatique. Elle se concentre sur les réalités célestes, donc les réalités de ce monde (le temps, l’argent, etc.) doivent être sans intérêt. Puisque les fidèles ont le regard tourné vers le ciel, ils doivent avoir la tête dans les nuages. C’est justement cette erreur que vise notre Seigneur dans Son commentaire de la parabole (qui sert également de reproche) : « car les enfants de ce monde sont plus prudents dans la gestion de leur bien que les enfants de la lumière ». Pour l’exprimer autrement, les croyants devraient être aussi pragmatiques en s’évertuant pour la gloire céleste que les incroyants en s’évertuant pour le confort de ce monde.
Le gérant est une crapule, purement et simplement. Mais il sert au moins de bon exemple d’esprit pratique. Notre seigneur utilise pour le décrire le mot prudent. Il ne s’agit pas de la vertu du même nom mais d’une prudence de ce monde, d’une ingéniosité. Réciproquement, notre prudence à rechercher les choses d’en-haut pourrait être appelée une sainte ingéniosité. Le gérant malhonnête mais ingénieux sait trois choses qui peuvent nous aider à être plus pragmatiques : il sera jugé, il aura besoin d’un hébergement et il aura besoin des moyens de l’obtenir.
Premièrement, le jugement. Le gérant savait que le jugement allait venir. De même le jour viendra où chacun de nous entendra ces paroles : « rends-moi les comptes de ta gérance ». Les biens que nous avons ne sont pas les nôtres mais ceux du Seigneur. Nous ne sommes que des gérants. A notre jugement, nous devrons montrer de quelle manière nous avons pris soin de ce qu’Il nous a confié. La conscience de ce jour [de jugement] nous rend capable de savoir comment agir, tout comme pour le gérant. Si un homme aussi corrompu peut prendre au sérieux un jugement de ce monde, les enfants de Dieu ne devraient-ils pas considérer avec un sérieux similaire le jugement dernier ?
Deuxièmement, le but final. Aucun projet, mission ou entreprise ne peut réussi sans un but final clair. Une telle clarté dans l’objectif est la chose la plus pragmatique du monde. C’est donc que le gérant malhonnête savait où il voulait être après le jugement. (Enfin, il savait où il ne voulait pas être… et c’est déjà un commencement!) Il avait un projet particulier et a coordonné ses efforts pour arriver à ce but.
Combien plus les enfants de Dieu – pour qui le Ciel n’est pas un désir mais un héritage légitime – devraient avoir la même clarté de détermination. Ailleurs notre Seigneur dit : « cherchez d’abord le royaume de Dieu est sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus » (Matthieu 6:33). Nous cherchons habituellement des fins terrestres sans (nous l’espérons) perdre le Ciel quand nous devrions rechercher « les demeures célestes » au prix de tout le reste.
Par conséquent notre Seigneur nous avertit : « aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon. Il ne dirait pas cela si ce n’était justement ce que nous essayons de faire, servir Dieu et Mammon… le Ciel et le monde.
Troisièmement, les moyens. Une fois que le but est déterminé, nous avons besoin des moyens d’y parvenir. Si je veux courir un marathon, je vais établir un programme strict : de l’exercice, un régime alimentaire, etc., pour parvenir à ce but. Le gérant malhonnête, tout salaud qu’il soit, a au moins compris cela : avoir un but à l’esprit, bien que nécessaire, est insuffisant. Nous devons aussi choisir les moyens adaptés à cette fin.
Si le gérant savait comment faire usage de ses ressources en ce monde pour garantir son futur, nous devrions certainement faire de même. L’usage convenable de la richesse – qu’elle soit de biens matériels, de talents personnels, de temps – doit être en vue de notre bien spirituel, pour notre sanctification maintenant et plus tard. Un don charitable bénéficie autant à celui qui donne qu’à celui qui reçoit. Par ce don nous grandissons en charité, nous apprenons à nous détacher de ce monde et à nous attacher au monde à venir.
De même que le temps qui nous est alloué : il est pour la gloire de Dieu et pour notre salut. Il n’y a rien qui soit « mon temps ». Tout usage de notre temps, même notre repos, devrait être avec Lui et pour Lui.
Alors n’écoutons pas cette parabole avec une fausse piété qui est à côté de la plaque. Puissions-nous bien plutôt recevoir le plein choc de son message et apprendre les chemins pragmatiques de la foi, même venant d’un gérant malhonnête.
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Le père Paul Scalia est un prêtre du diocèse d’Arlington (Virginie) où il sert comme vicaire épiscopal pour le clergé.
Illustration : « parabole du gérant malhonnête » par Marinus Van Reymerswaele, vers 1540 [musée d’art de Vienne]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/09/22/holy-shrewdness/