En quoi sainte Geneviève est-elle une femme politique d’exception ?
Geneviève Chauvel : Son courage, son parfait sang-froid et sa connaissance des rouages de la politique. Mais surtout, elle accepte les mutations du monde. Et c’est là-dessus que nous devons méditer. Geneviève ne se dit pas : « Les barbares arrivent. Nous sommes foutus ! » Elle analyse la stratégie de ses adversaires. Elle comprend très finement qu’Attila frappe d’abord les esprits avant de s’attaquer aux corps. Sa réputation déclenche une telle frayeur que les villes se vident avant que les Huns arrivent. Ils n’ont plus qu’à descendre de cheval pour piller les cités !
Elle remarque ensuite qu’il sera plus facile de convertir les Francs, et Clovis le premier, plutôt que de lutter contre l’hérésie arienne qui fait des ravages. Les Francs sont païens. C’est tactiquement plus simple de les ouvrir au christianisme que de faire de nouveau adhérer des hérétiques à la divinité du Christ. Enfin, Geneviève a ce génie politique de comprendre que c’est en affirmant la force de l’Église catholique, sans rien renier de la romanité, que peut se construire, avec le concours des évêques, le monde qui vient. C’est ainsi que le rôle de saint Remi, l’évêque de Reims, fut capital dans le baptême de Clovis.
Aurait-elle pu avoir le même rôle politique sans être une femme de foi consacrée ?
Non ! La dimension politique de Geneviève découle de son dialogue permanent avec le Christ. Elle passe des nuits en prière, et les fruits de sa prière sont sa force dans les épreuves, sa sagesse, et son intelligence des situations. Elle avait le don de prescience. Elle était capable de lire dans les cœurs. Ça aide !
Elle a aussi le souci du prochain et du bien commun parce que toute donnée à Jésus. Geneviève est une femme très riche, grâce à ses terres et ses revenus agricoles. Mais tout son argent est distribué aux pauvres. Étant femme, elle se présentait comme l’épouse du Christ. Mais pour l’époque, sa dimension est d’autant plus extraordinaire qu’elle se prend en charge toute seule. Elle est vierge consacrée à l’âge de 15 ans au lieu de 25. Elle gère le grand domaine de ses parents à leur mort quand elle a vingt ans. Elle n’a pas besoin d’homme. Elle est capable de mener de front en parallèle sa vie spirituelle et sa vie politique. C’est un sacré modèle !
Les politiques ont-ils à apprendre d’elle ?
Le courage dans l’adversité, ne pas se soumettre, être fidèle à sa culture et à sa civilisation. Geneviève savait que la Gaule romaine allait être envahie par les barbares. Elle voulait quelqu’un qui puisse assurer la poursuite de la civilisation romaine et qui soit catholique. Elle fait le choix de Clovis car il avait le profil pour garder la romanité et la civilisation qui va avec. Geneviève avait aussi cette qualité qui manque tant aux politiques d’aujourd’hui : miser sur le temps long. Être patient.
Mais elle a « le truc en plus » : elle sait que sa prière va être exaucée. Pour Clovis, le baptême ne s’est pas fait en un jour. Le chemin de conversion a duré dix ans ! Il a fallu nouer une alliance avec Childéric pour préserver l’unité de l’Église, puis nouer une amitié avec Clotilde l’épouse catholique de Clovis. Enfin, Geneviève a encouragé Clovis à se rendre sur la tombe de saint Martin à Tours pour comprendre la ferveur chrétienne. C’est d’ailleurs très émouvant de penser que Clovis voulait être inhumé aux côtés de Geneviève. Il la précéda dans la tombe dans l’église des Saints-Apôtres-Pierre-et-Paul que Clotilde et lui avaient fait construire sur ce qui deviendra la montagne Sainte-Geneviève. Elle le rejoindra à peine un an plus tard. Quel symbole : le roi franc et la sainte gauloise côte à côte pour l’éternité !