SAINT HASARD - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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SAINT HASARD

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On sait que, selon Darwin, les êtres vivants seraient apparus par une action constante, tout au long de l’histoire terrestre, de la sélection : à chaque génération n’auraient vécu que les mieux adaptés. On sait que, depuis les débuts de la génétique expérimentale, les théoriciens ont ajouté à l’idée de sélection celle de mutation : de temps en temps, dans toute lignée, apparait une petite différence ; si cette différence est favorable, l’être qui en est doté survit plus longtemps, se reproduit davantage, et voilà la mutation embarquée dans le train du futur. Mutation plus sélection : c’est le néo-darwinisme, doctrine dominante chez les biologistes, exposée notamment, avec les raffinements de la biologie moléculaire, par Jacob et Monod. On sait enfin qu’une minorité de savants (comme P. Grassé en France, Waddington, Thorpe et d’autres dans les pays de langue anglaise)1 ont toujours rechigné devant le dogmatisme de la théorie dominante, lui posant des problèmes qu’elle était hors d’état de résoudre, ce qui ne gênait pas ses partisans, car, comme me le disait le biologiste de Munich, Wolfgang Wickler, « de toute façon, c’est la bonne explication, puisqu’il n’y en a pas d’autre »2. Il n’y en a toujours pas d’autre. Mais la biologie moléculaire continuant à se raffiner, depuis quelques années il se passe quelque chose d’inattendu : il s’avère, semble-t-il, que cette théorie-là ne marche pas non plus. Non seulement le néo-darwinisme reste avec toutes ses anciennes objections sur les bras, mais voilà que le mécanisme fondamental qui lui servait d’explication universelle est lui-même en train de fondre entre les doigts des chercheurs, au point qu’on se demande s’il en reste quelque chose. C’est ce qui ressort de l’exposé présenté le 14 mai au Collège de France par le biologiste japonais Motoo Kimura, directeur du département de génétique des populations de l’Institut national de génétique de Misima, au Japon, qui résumait non seulement ses travaux, mais ceux des disciples qu’il a suscités, y compris en France, depuis ses premières démonstrations datant de sept à huit ans. Pour comprendre en quoi consistent ces travaux, reprenons le binôme mutation plus sélection, pierre angulaire du néo-darwinisme. Il est évident que, pour voir la sélection agir, il faut d’abord qu’elle ait un choix, ensuite qu’elle opère réellement ce choix. Le Pr Grassé a toujours souligné le côté mythologique de cette idée pure se comportant comme un Dieu créateur. C’est au niveau moléculaire que le savant japonais a montré l’inexistence du binôme néo-darwinien, notamment en observant les variations de formule chimique de certaines enzymes non seulement chez la fameuse mouche du vinaigre, souffre-douleur préféré des généticiens, mais chez les animaux supérieurs. Ces variations sont bien des mutations : seulement on peut montrer mathématiquement d’abord, qu’elles sont le plus souvent neutres, c’est-à-dire rigoureusement dénuées de toute valeur sélective, et surtout qu’elles se fixent dans la population au sein de laquelle elles sont apparues en complète conformité avec les lois du hasard. Ces deux propositions semblent blanc bonnet et bonnet blanc à quiconque a été élevé, comme c’est le cas de nous tous en France, dans le ronron néo-darwinien, car dire qu’une mutation est sélectivement neutre, n’est-ce pas annoncer qu’elle se fixera au hasard ? Or, pas du tout : la chimie biomoléculaire montre d’abord que la mutation est neutre, et ensuite que, cependant, elle se fixe, mais au hasard. Les cas les plus intéressants et les plus probants sont ceux que l’on a observés d’identique façon chez les espèces très éloignées, et où cependant les choses se passent de la même façon. Il est frappant de retrouver au niveau du message et de la structure chimique (qui est le niveau étudié par la chimie biomoléculaire) la même singularité relevée par Grassé en paléontologie dans l’évolution des thériodontes (a)3. Du point de vue de l’explication de l’évolution, que signifient ces idées nouvelles ? Que, comme beaucoup le répétaient depuis longtemps sans se faire entendre, l’évolution ne se « décide » pas (ou si peu que rien) au niveau macroscopique où la voyait Darwin : elle se fait dans l’infiniment petit des structures fines, invisibles. Et Kimura montre qu’à ce niveau-là tout survient de façon continue, régulière, « lisse », comme on dit en statistique, parce que précisément c’est de la statistique. Les variations biomoléculaires se fixent selon les lois du hasard pur. On est complètement débarrassé de la sélection4. Seulement, s’il n’y a plus de sélection, il faut trouver quelque chose pour la remplacer ! Car sinon comment expliquer la structure ordonnée de l’être vivant, ses innombrables adaptations anatomiques, physiologiques, comportementales, écologiques ? Il est piquant de voir maintenant les partisans jusqu’ici les plus convaincus, sinon du darwinisme « doctrine de classe », du moins du hasard – ce bienheureux hasard qui épongeait si bien tout problème métaphysique – opposer à Kimura des objections philosophiques d’ailleurs tout à fait convaincantes : « Comment, et l’adaptation des oiseaux, des insectes, des poissons ? » Eh oui ! Ce hasard organisé devient inexplicable, s’il n’est plus guidé par la sélection5. Pourtant, je me risque à faire ici une prédiction : plus on progressera dans l’élucidation des micromécanismes de la vie, et plus on y trouvera le hasard. Et en même temps, plus deviendra inexplicable l’histoire du monde, tout orientée vers la pensée. Car c’est bien là l’énigme : le monde est ainsi fait qu’il lui a suffi du hasard pour évoluer jusqu’à nous6. Aimé MICHEL (a) Pr P. Grassé : l’Evolution du vivant (Albin-Michel). Chronique n° 249 parue dans F.C. N° 1537 – 28 mai 1976 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 23 mars 2015

 

  1. Il a déjà été question dans ces chroniques des zoologistes Pierre-Paul Grassé (1895-1985), Conrad H. Waddington (1905-1975) et William H. Thorpe (1902-1986). Bien que fort différents à bien des égards, leur point commun selon Aimé Michel est d’avoir rechigné à accepter sans réserve la théorie néodarwiniste de l’évolution. Sur Grassé, voir la chronique n° 38, La relation cerveau-machine. La petite lampe de Prague (12.04.2010), notamment la note 2. Dans la chronique n° 131 (À propos d’un cousin éloigné – L’animal d’où monte l’homme était déjà un être au visage prédestiné tourné vers les étoiles, 25.6.2012) Aimé Michel notait : « Dès 1937 (et peut-être avant), Pierre-Paul Grassé, maintenant président de l’Académie des Sciences, montrait les difficultés insurmontables d’une explication strictement néo-darwinienne de l’évolution ». La note 3 ci-dessous résume un des arguments utilisés par Grassé. « C.D. Waddington, écrit Aimé Michel, est un de ces biologistes anglais non conformistes qui, entre autres originalités, croit que l’évolution attend encore son explication et qu’il est temps de déposer, avec un infini respect, la momie de Darwin dans un musée. » (voir la chronique n° 204, L’inconscient domestiqué ? – L’univers spirituel de nos petits-enfants est totalement imprévisible, 30.09.2013, dont la note 1 apporte quelques précisions sur les idées de Waddington). Quant à Thorpe il en a déjà été question dans la chronique n° 182 « La teste bien faicte » – Un cerveau dont on se sert se modifie de manière visible (17.02.2014). À dire vrai, la pensée Thorpe sur le néodarwinisme résulte d’une tension entre son pragmatisme scientifique, qui le conduit à en adopter les thèses pour interpréter les comportements animaux qu’il étudie, et ses idées philosophiques, qui l’incite à la réserve car il est dualiste, défavorable au réductionnisme et persuadé que l’évolution est orientée. Cette tension ne sera vue comme une contradiction que par ceux qui tiennent la théorie néodarwiniste comme achevée et définitive. Mais si on la tient pour incomplète et inachevée, on comprendra qu’un Thorpe en fasse bon usage dans ses travaux scientifiques, dans la mesure où on n’a rien de mieux, tout en prenant ses distances avec elle lorsqu’il considère ses insuffisances. On trouvera d’utiles indications sur la pensée de Thorpe chez les historiens Neal Gillespie, dans son article « The interface of natural theology and science in the ethology of W. H. Thorpe » (Journal of the History of Biology 23, 1-38, 1990 ; http://download.springer.com/static/pdf/515/art%253A10.1007%252FBF00158153.pdf?auth66=1426936060_1ab863e88a705a8163c225391bce00c9&ext=.pdf), et Philippe Chavot dans sa thèse de doctorat Histoire de l’éthologie. Recherches sur le développement des sciences du comportement en Allemagne, Grande-Bretagne et France, de 1930 à nos jours (Strasbourg, 1994, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00933290/document).
  2. Wolfgang Wickler (né en 1931 à Berlin) fut, dans les années 60, un élève de Konrad Lorenz et d’Erich von Holt à l’Institut Max Planck de Physiologie du Comportement (MPIV) de Seewiesen, à Starnberg près de Munich,. Professeur à l’université de Munich en 1969, il enseigna aussi à la faculté de théologie catholique sur les fondations biologiques des concepts moraux. Il fut le directeur du MPIV de 1975 à 1999. Il se spécialisa dans la communication animale et s’affirma l’un des plus vifs critiques de la théorie de l’instinct de Lorenz. Son livre Le Mimétisme animal et végétal a été traduit en français dans l’excellente collection l’Univers des Connaissances (traduit de l’allemand par Jacques Peltier, Hachette, 1968). Il a écrit de nombreux autres livres, comme La biologie des Dix Commandements en 1971, qui l’ont fait connaître d’un large public en Allemagne mais qui n’ont pas été traduit en français à ma connaissance. Je pense qu’Aimé Michel rencontra Wolfgang Wickler lors d’une visite qu’il fit à Konrad Lorenz en 1970.
  3. On sait que les ancêtres des mammifères (et des oiseaux) étaient des reptiles. L’intérêt des Thériodontes, qui étaient des reptiles, est de montrer, grâce à leurs fossiles, comment s’est effectué le passage des reptiles aux mammifères. En effet, les Thériodontes ont acquis à partir du Permien moyen, il y a 250 millions d’années, certains caractères des mammifères. Cette acquisition a été progressive et s’est faite en une soixantaine de millions d’années. Elle fait l’objet du chapitre 2 du livre de Grassé L’évolution du vivant sur lequel Aimé Michel attire pour la seconde fois l’attention de ses lecteurs (voir la chronique n° 163, Des thériodontes et des hommes – Une critique du néodarwinisme par Pierre-Paul Grassé, 25.03.2013). « L’histoire de l’ordre des Thérapsidés, y écrit Grassé, présente un prodigieux intérêt : elle apprend comment naît une classe, celle des Mammifères, riche en nouveauté » (pp. 67-67). L’une de ces nouveautés est l’homéothermie, c’est-à-dire la capacité à maintenir constante la température du corps (37° pour nous) qui a été acquise indépendamment par les Mammifères et les Oiseaux. Le lecteur à l’esprit critique se dira peut-être : allons donc, comment peut-on affirmer que les Thériodontes sont devenus homéothermes alors que seuls subsistent leurs ossements ; veut-on nous faire croire qu’on a pu prendre la température de ces animaux disparus ? ; veut-on nous faire prendre des vessies pour des lanternes ? Ne nous emballons pas et voyons les arguments avancés par les paléobiologistes. Chez les reptiles à température variable les os s’accroissent de manière discontinue, par couches concentriques qui semblent correspondre au rythme des saisons. Chez les mammifères au contraire les os présentent une croissance continue et une structure différente. Or les os des Thériodontes ressemblent beaucoup à ceux des mammifères, ce qui suggère fortement qu’ils étaient homéothermes ou en voie de l’être ; et d’autres observations viennent conforter cette conclusion. Les fossiles de Thériodontes sont abondants et répartis sur toute la planète. Grassé estime que leurs évolutions progressives, indépendantes, portant sur des caractères différents selon les lignées, et s’étant déroulées dans des milieux qu’il suppose différents, ne sont pas conformes aux attentes de la théorie néodarwiniste. « Aucun fait caractéristique de la mammalisation n’exige, pour être expliqué, un recours à la sélection. La diversité des sous-types (l’évolution est buissonnante), les grandes distances séparant les populations, les climats différents qu’elles subissent parlent, au contraire, en défaveur de la sélection. » (p. 93). Grassé en conclut que le moteur principal de l’« évolution créatrice » (ici d’une classe nouvelle), n’est pas la sélection naturelle. Il suggère qu’il ne faut pas rechercher ce moteur dans un processus externe comme la sélection mais plutôt dans des processus internes aux organismes.
  4. La théorie neutraliste de Motoo Kimura est née de la perplexité des généticiens face à l’énorme diversité génétique des populations naturelles qui ne sont homogènes qu’en apparence. Cette diversité qu’on appelle le polymorphisme était inattendue parce que dans le schéma néodarwinien initial une population isolée vivant dans des conditions constantes devrait tendre vers une homogénéisation des gènes, seuls les meilleurs d’entre eux étant retenus par la sélection. Sachant que de nombreux gènes codent des enzymes, il est possible de distinguer assez facilement les variantes d’un même gène grâce aux petites différences des enzymes que codent ces variantes d’un même gêne (pour le gène on parle d’allèles et pour l’enzyme correspondante d’allo-enzymes ou allozymes). Ces différences de structure des allozymes se traduisent par des variations de charges électriques que l’on met en évidence par électrophorèse. C’est en examinant par ce moyen 21 enzymes chez une même espèce de drosophile que, dès 1966, Lewontin et Hubby, constatent que 9 au moins présentent des différences. Ils trouvent ainsi que près du tiers des gènes présentent une ou plusieurs variantes. L’étude de nombreuses autres espèces confirma ce résultat surprenant. Les théoriciens comme Kimura proposent alors que les variantes enzymatiques mis en évidence par électrophorèse sont neutres vis-à-vis de la sélection. Pour ce théoricien, en dehors des cas impliquant des allèles létaux ou très avantageux, la plupart des mutations ne confèrent ni avantage ni désavantage sérieux. Si ces mutations se maintiennent ou se perdent c’est par l’effet du seul hasard. Aujourd’hui la théorie neutraliste sans être abandonnée n’est plus considérée comme générale. En effet, une analyse détaillée de la séquence des acides aminés qui forment les enzymes (et les protéines en général) a permis de tirer des conclusions plus précises que l’électrophorèse. On a montré qu’une protéine donnée (l’hémoglobine du sang par exemple) possède une structure tridimensionnelle constante avec un ou plusieurs sites actifs qui déterminent son rôle biologique (catalyser une certaine réaction chimique pour une enzyme ; reconnaître une molécule pour un récepteur ou un transporteur). Or les acides aminés d’un site actif sont très bien conservés car la moindre substitution rend en général le site non-fonctionnel : les mutations qui produisent ces substitutions sont létales. Par contre les acides aminés en dehors du site actif, de loin les plus nombreux, peuvent varier au hasard, du moins tant que la forme d’ensemble de la protéine n’est pas altérée. Ce sont ces dernières variations, hors des sites actifs, qui sont décrites par la théorie de Kimura et la sélection naturelle n’a effectivement pas prises sur elles. C’est intéressant à savoir mais cela ne remet nullement en cause l’importance de la sélection.
  5. C’est l’un des arguments avancés par le généticien Jacques Ruffié pour critiquer la théorie neutraliste : « l’évolution suit toujours une direction privilégiée : celle qui permet une meilleure efficacité dans des conditions de milieu données. Cette tendance caractérise aussi bien l’évolution diversifiante, spécialisante (ou micro-évolution) – qui permet à un groupe jeune d’envahir d’innombrables milieux en éclatant en espèces multiples – que l’évolution progressive (typogenèse ou macro-évolution) qui crée des types de plus en plus compétitifs. Il est improbable que cette évolution ait pu se produire en dehors d’une sélection rigoureuse, permanente, orientée. Un processus aléatoire ne pourrait expliquer seul ces étonnants phénomènes de convergence adaptative observés entre groupes très éloignés et qui ont donné des ailes aux insectes, à des reptiles, aux oiseaux, à certains mammifères. » (De la biologie à la culture, tome I, Flammarion, Paris, pp. 197-198).
  6. Ce serait vrai si la théorie de Kimura était entièrement exacte mais on vient de voir qu’elle ne l’est pas. Toutefois Aimé Michel a raison d’insister sur l’importance du hasard dans de nombreux phénomènes de la nature. Il poursuit cette réflexion dans la chronique n° 250, Les savants comme Job, que nous mettrons en ligne la semaine prochaine.