Grégoire serait né sur les bords du lac de Van (aujourd’hui en Turquie), au milieu du Xe siècle, non loin de l’îlot où siégeait le roi d’Arménie de l’époque, alors sous la tutelle du Calife. L’érémitisme arménien était en plein essor : autour des monastères, des anachorètes vivaient dans des grottes, dont certaines ont conservé de belles fresques. Grégoire a passé tout sa vie dans le monastère de Narek, qui venait d’être fondé et suivait la règle de saint Basile. Le savant mystique a été engagé dans les disputes doctrinales de l’époque, et a enseigné sans répit, jusqu’à sa mort au début du XIe siècle. Il a défendu notamment les racines bibliques de l’Église, « l’épouse », purifiée par les sacrements. Grégoire de Narek a inspiré le monachisme arménien, et de nombreux hommes d’Église sont ses héritiers, mais il joue aussi un rôle essentiel dans la poésie, la littérature et la musique arméniennes. Au XXe siècle, le poète arménien Avetik Issahakian et le compositeur russe Alfred Schnittke le considèrent comme une source profonde d’inspiration.
Dans la pensée de Grégoire de Narek, la liturgie devient un chemin partagé par tous les fidèles : elle initie la conversion du cœur, et se poursuit dans l’oraison personnelle. La pénitence et l’ascétisme jouent un rôle important dans cette ascension vers l’intériorité dans laquelle on pénètre par les « discours à Dieu des profondeurs du cœur ». Grégoire nous a laissé plusieurs textes mystiques et spirituels, généralement écrits à la demande expresse de ses supérieurs. Les thèmes principaux de cette œuvre sont la solidarité dans le péché et le combat spirituel, la confiance en la Miséricorde divine, l’amour de la vie mystique. Les textes qui ont survécu aux affres du temps illustrent cette spiritualité forte qui a profondément influencé les Églises arméniennes : des élégies sacrées, des hymnes et des odes destinés à la liturgie, un Commentaire du Cantique des cantiques, une Histoire de la Croix d’Aparanq relatant le transfert d’une relique de la Vraie Croix en Arménie, divers panégyriques des saints arméniens, et surtout le Livre des lamentations.
Celui-ci a accompagné les Églises arméniennes dans toutes leurs tribulations. On le déposait sur l’autel paroissial, on le lisait au chevet des malades, on le méditait, chaque novice devait recopier lui-même son exemplaire. Grégoire de Narek s’y adresse « à la multitude innombrable des chrétiens assemblés dans tout l’univers », et, se tournant vers l’éternité divine, embrasse en même temps toutes les époques, et touche aussi la nôtre. Il est indéniable que, par ce texte poétique et mystique, Grégoire de Narek rejoint les grands saints spirituels de l’Église universelle comme saint Jean Climaque ou saint Jean de la Croix.
Alexandre, séminariste destiné à l’éparchie Sainte-Croix de Paris des Arméniens catholiques, espère que Grégoire de Narek sera davantage étudié : « De tels saints sont des modèles qui doivent retrouver leur place dans l’Église catholique arménienne : ils apportent un souffle de renouveau. »
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Prière du soir
Transforme en allègre repos
Ce sommeil pareil à la mort,
Dans les abîmes de la nuit :
Par l’intercession suppliante
De la sainte Mère de ta divinité
Et de tous tes élus.
Protège en ton recueillement
Les fenêtres de mes yeux
Par où je perçois la sagesse.
Soustrais-les à l’épouvante
Et aux troubles tumultueux :
Divertissements de cette vie,
Songes, rêves,
Cauchemars pleins de folie.
Rappelle-moi ton espérance ;
Qu’elle m’en épargne l’offense.
Alors, désormais dégrisé
De la charge de mon sommeil,
Vigilant, toujours attentif,
L’âme rénovée par la joie,
Fermement établi en toi
Puissé-je envoyer jusqu’au ciel
La voix de mes vœux parfumés par la foi.
Vers toi, roi de bénédiction et d’indicible gloire,
En harmonie avec les chœurs te célébrant dans les hauteurs,
Car tu es glorifié par toute créature
Dans les siècles des siècles,
Amen 1