La commission mixte paritaire réunie pour trancher les différences entre les deux versions de la loi Hôpital Patients Santé Territoire votées par les deux assemblées a avalisé, dans la nuit du 16 mai, une modification sénatoriale ajoutant aux compétences des sages-femmes la prescription de l’avortement médicamenteux (par RU486).
La députée UMP Bérengère Poletti avait renoncé à cet amendement, en février, après l’avoir déposé à la sauvette. La disposition est revenue fin mai au Sénat. Le sénateur centriste Jean-Marie Vanlerenberghe, profitant d’une modification récente de la procédure parlementaire, l’a fait voter par la Commission des affaires sociales.
Le ministre de la Santé avait envisagé en août dernier d’inclure cette réforme dans l’avant-projet de loi. Roselyne Bachelot a donc laissé faire. Les quelques sénateurs qui se sont opposés n’ont pas été suivis par leurs collègues.
Au terme de la nouvelle loi, les sages-femmes d’une région expérimentale pourront prescrire le RU486, méthode d’avortement précoce déjà utilisée pour 46% des IVG. Sauf si le Conseil constitutionnel invalidait la disposition. En effet, la loi, qui ne précise pas les modalités de la « consultation des professionnels concernés » qu’elle annonce, semble rédigée de façon particulièrement maladroite, et sujette à l’ouverture de contentieux.
Même si la tarification d’un acte transféré aux sages-femmes pourrait baisser, le mobile principal de la réforme semble idéologique : les tenants d’un féminisme radical n’ont de cesse de « banaliser » la diffusion de l’IVG, considérant que celles qui « accompagnent » les grossesses vers la naissance sont également tenues de le faire si les femmes choisissent d’y mettre terme.
Les représentantes officielles d’une profession médicale en mal de reconnaissance se sont-elles laissées séduire par l’ajout d’une compétence en matière de prescription ? Le syndicat des gynécologues obstétriciens s’y montrait hostile, comme à la distribution par les sages-femmes de produits contraceptifs. Pour des raisons partiellement corporatistes, mais également sanitaires : ni la contraception, ni l’avortement ne sont anodins pour la santé des femmes.
Quoi qu’il en soit, les sages-femmes peuvent craindre un basculement de leur profession vers la pratique d’un acte que la plupart considèrent comme ne faisant pas partie de leur vocation et de leurs compétences techniques. La clause de conscience qu’on leur promet n’empêchera ni les pressions des chefs de service, ni les discriminations à l’embauche. D’autant plus que des féministes historiques comme Chantal Birman (elle-même sage-femme) ne cachent pas leur souhait de voir la profession emblématique de la grossesse pratiquer également l’avortement chirurgical.
L’Ordre des Sages-femmes avait jusqu’ici pris soin de ne pas s’aligner sur des revendications qui sont loin de faire l’unanimité dans la profession : la plaquette qu’il adressait au début de l’année aux parlementaires n’évoquait pas l’IVG. Mais sa présidente, Marie-Josée Keller, a fait volte-face expliquant à La Croix que la réforme avait l’adhésion de la profession. Un millier de sages-femmes se sont pourtant rebellées au sein d’un Collectif Sages-femmes de Demain. « Nous sommes attachées à rester les professionnelles de la préparation, de l’accompagnement et du suivi de la naissance » explique leur porte-parole, Olivia Déchelette. Selon elle, « les sages-femmes ne doivent pas devenir les auxiliaires de la médecine pour la pratique de l’avortement alors que les pouvoirs publics n’ont pas fait le bilan des raisons de la persistance d’un taux anormalement élevé d’IVG ». Elle ajoute qu’il est « illusoire de tabler sur la bonne image des sages-femmes pour imaginer rendre indolore la prescription du RU486 ».
Alors que ce débat-là est pratiquement passé inaperçu, ce sont les avortements clandestins hors-délais au milieu d’autres dérives illégales qui sont enfin remis en question, cette fois par l’Ordre des médecins. Ce dernier vient d’élever une protestation inédite contre le « racolage » des cliniques espagnoles, grecques et ukrainiennes qui proposent leurs services « en cas d’interruption de grossesse, notamment au-delà du délai de douze semaines, de dons d’ovocytes, de fécondation in vitro (FIV), de gestation pour autrui ». L’Ordre des médecins met en garde les praticiens tentés par ces collaborations : ils s’exposent à des sanctions.
À quand des états généraux de la bioéthique intégrant l’avortement comme enjeu de société majeur ?
Tugdual DERVILLE