Rwanda, royaume chrétien - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Rwanda, royaume chrétien

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Le 6 avril, le Rwanda ne commémorera pas le vingt-troisième anniversaire du déclenchement du génocide des Tutsis. Le président Kagamé avait en effet annoncé lors du vingtième anniversaire que désormais les commémorations n’auraient lieu que tous les cinq ans. Toutefois le 20 mars dernier, il fut reçu en audience par le pape François au Vatican, première rencontre de ce genre. Le communiqué officiel du Saint-Siège indique que « le Pape a exprimé sa profonde tristesse, celle du Saint-Siège et de l’Église, pour le génocide contre les Tutsis ». Il continue en disant qu’il demandait le pardon de Dieu pour « les fautes de l’Église et de ses membres dont des prêtres, religieux, hommes et femmes, qui ont succombé à la haine et à la violence ».

Les termes du communiqué sont soigneusement pesés. L’expression « génocide contre les Tutsis » est en effet plus appropriée que celle communément utilisée de « génocide rwandais » qui n’avait pas plus de sens que de parler de « génocide allemand » pour parler du « génocide contre les Juifs ». Même si de nombreux Hutus y ont perdu la vie, comme des « Justes », comme il n’y eut pas que les Juifs qui furent exterminés, l’intention génocidaire ne s’exerce qu’à l’encontre d’un genos, un groupe particulier, rigoureusement défini et délibérément considéré comme tel, en l’occurrence les Juifs ou les Tutsis.

Le Vatican englobe aussi les membres de l’Église dans l’Église tout entière. Jusqu’à présent, il était apparu que les seuls coupables que l’Église ait à pardonner auraient été des prêtres ou des religieux qui se sont livrés directement à titre individuel au crime de génocide. Cette attitude restrictive qui a été prêtée à la reconnaissance par la Conférence des évêques du Rwanda en novembre 2016 voire à certaines déclarations de Jean-Paul II n’était pas tenable. C’est oublier en effet ce qu’est l’Église. Au moins 60 % de la population rwandaise en 1994 était catholique. Le Rwanda avait été une terre d’expérimentation de ce que le cardinal Lavigerie appelait de ses vœux : un royaume chrétien. L’Église au Rwanda était partie intégrante du système politique dirigeant. Il avait fallu attendre 1990 pour que l’archevêque de Kigali se retire sur la pression du Vatican du bureau politique du parti unique. Au-delà de cet aspect structurel, l’Église, spécialement en Afrique qui avait développé le concept d’Église-famille dans la continuité de la théologie conciliaire du « peuple de Dieu », c’est tout le peuple catholique qui constituait l’Église au Rwanda et pas seulement les prêtres et les religieux. Et qui n’était pas seulement l’Église rwandaise mais l’Église catholique universelle présente au Rwanda.

Donc quand peut-être un ou deux millions de ces catholiques assassinent un autre million des mêmes catholiques, c’est l’Église qui se déchire, c’est la tunique sans couture qui ne doit pas être partagée qui est brutalement arrachée. Ce n’est pas accuser tel ou tel en particulier – chacun est poursuivi à titre individuel pour ses crimes propres – mais c’est exprimer à travers l’Église la tragédie de la nation rwandaise. Ce n’est pas une guerre entre deux religions. Ce n’est pas non plus un conflit religieux à l’intérieur d’une même communauté. Ce n’est pas plus un conflit « sacral » au sens de la dimension exceptionnelle de mal qu’il a inclus, renvoyant à une diabolisation, à une démonologie qui a déjà fait tant de tort à cette population.

La reconnaissance par le Vatican et l’Église universelle que c’est une question pour l’Église tout entière ouvre la voie, comme l’a dit à sa sortie de l’audience le président Kagamé, à « un nouveau chapitre dans les relations entre le Rwanda et l’Église catholique ». Parce qu’elle engage désormais l’Église du Rwanda mais aussi tous les catholiques – et les autres – à travers le monde à travailler en tant que tels à la construction du pays, à recoudre les parts éparses du vêtement commun. À partir de là, le temps des critiques est clos. Commence le temps de la paix et de la réconciliation, de la construction d’une nouvelle nation qui a grand besoin de ses repères traditionnels.