La rencontre prévue ce soir à l’aéroport de La Havane entre le Pape François et le Patriarche orthodoxe Cyrille Ier de Moscou a incontestablement une double dimension religieuse et politique. Sa portée historique est surtout due à sa dimension proprement religieuse, celle du rapprochement œcuménique entre catholiques et orthodoxes : c’est le chemin de réconciliation déjà emprunté de diverses façons par les Papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI depuis le Concile Vatican II du côté catholique, et du côté orthodoxe, diversement aussi par les Patriarches Athénagoras et Bartholomeos de Constantinople, puis par les représentants de diverses Eglises orthodoxes nationales, Roumanie, Grèce, Ukraine et Bulgarie acceptant – plus ou moins facilement – de recevoir Jean-Paul II en visite dans leur pays entre 1999 et 2002. Mais aussi, pas à pas, par les responsables de l’Eglise orthodoxe russe qui ont préparé cette rencontre d’aujourd’hui en y travaillant à Moscou et à Rome.
Cependant, la dimension politique de cette rencontre est loin d’être négligeable. En outre, elle paraît largement inspirée par ce phénomène que le Pape François appelle « l’œcuménisme du sang » provoqué par le martyre commun de tous les chrétiens d’Orient victimes de la terrible persécution islamiste, notamment en Syrie : il s’agit précisément de réfléchir ensemble, fraternellement, catholiques et orthodoxes, à la meilleure façon de protéger ces chrétiens.
Ici, la nature politico-religieuse du rôle traditionnel spécifique du Patriarche orthodoxe russe trouve une importance nouvelle, même si elle a pu susciter des critiques et des soupçons à d’autres égards quant à ses relations avec les « Césars » successifs du Kremlin de Moscou… Que Cyrille Ier soit étroitement lié au pouvoir de Vladimir Poutine n’est un secret pour personne. Qu’il ait pu lui servir de vecteur pour exercer une influence dans le dossier douloureux de l’Ukraine, voilà qui a été établi, et souvent regretté ou critiqué. Mais dans le domaine de la protection des chrétiens du Moyen-Orient mortellement menacés par le Djihad islamiste, qu’il puisse jouer une carte de salut commun, salutaire pour les chrétiens de toutes confessions en Syrie, c’est ce que beaucoup espèrent.
En ce sens, même si le pouvoir de Poutine se profile nécessairement derrière celui du Patriarche Cyrille, la rencontre de ce soir à Cuba avec le Pape François apparaît comme une étape utile, tant sur le plan religieux que sur un plan politique – pour une bonne part à la fois politique et religieux – qui restera probablement à préciser au fil des années, dans notre monde complexe. Dans notre monde dangereux.
Avec un Pape latino-américain et un Patriarche russe se révélant grand voyageur, voici Rome et Moscou à Cuba ! La géographie de la diplomatie spirituelle et temporelle des Eglises réserve parfois de grandes surprises à notre pauvre humanité : peut-être la sagesse des hommes n’était-elle que folie, auquel cas la folie de la Croix du Christ nous aurait apporté, une fois de plus, qui sait, une nouvelle leçon de sagesse… Qui sait ?