« Droit » ou « liberté » d’avorter : qu’est-ce que cela change ?
Anne-Marie Le Pourhiet : La distinction entre droit et liberté est fausse, car les libertés sont évidemment des droits. Il faut en réalité distinguer deux types de droits : les droits-libertés (droits de) et les droits-créances (droits à). Le premier permet de faire quelque chose grâce à l’abstention négative de l’État, le second exige au contraire que l’État intervienne pour satisfaire la créance sous forme de prestation positive.
Le but des militantes qui ont inspiré la proposition de loi constitutionnelle était d’ériger l’avortement en droit-créance, pour pouvoir « exiger » que l’État en facilite la réalisation effective. Leur projet était sans doute de soulever à l’avenir une « question prioritaire de constitutionnalité » tendant à faire dire au Conseil constitutionnel que la loi actuelle, avec son délai de 14 semaines et sa clause de conscience des médecins, ne permettait pas cette effectivité concrète, et donc d’obtenir l’abrogation de ces dispositions. Depuis 1975, les féministes n’ont de cesse que de vouloir torpiller la loi Veil qui avait fait du respect de l’être humain dès le commencement de la vie un principe, et de l’IVG une exception.
Mais cette initiative est parfaitement vaine car, faute d’abrogation explicite du principe de dignité humaine, le Conseil constitutionnel sera toujours obligé de constater des limites à l’IVG et ne reconnaîtra jamais un droit absolu, en vertu de l’article 4 de la Déclaration de 1789 qui affirme aussi que « la liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ». Inscrire l’IVG dans la Constitution sous forme vague de « droit à » ou de « liberté de » ne changera rien sur le fond ; c’est un coup d’épée dans l’eau.
L’inscription de l’IVG dans la Constitution menace-t-elle la liberté de conscience du personnel médical ?
Non, car le Conseil constitutionnel a déjà reconnu la portée constitutionnelle de la liberté de conscience, qu’il a rattachée à l’article 10 de la Déclaration de 1789 – « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » –, et au cinquième alinéa du Préambule de 1946 – « Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». Dans une décision de 2001, il a justement appliqué cette jurisprudence à l’IVG, de telle sorte que la liberté de conscience du médecin est aussi une liberté fondamentale.
À l’inverse, la formulation votée au Sénat ne peut-elle se retourner contre les militants du « droit » à l’avortement : une loi peut toujours évoluer…
Que l’on appelle l’IVG « droit » ou « liberté », c’est toujours au législateur qu’il appartiendra de « concilier » deux principes d’égale valeur sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Pour empêcher toute limite à l’IVG, il faudrait écrire noir sur blanc dans la Constitution la suppression de la dignité humaine et la suppression de la liberté de conscience… Et comme jamais aucun constituant n’adoptera cela, le reste ne sert à rien. C’est de l’affichage politique clientéliste.
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