RICCARDI N’EST PAS FRANÇAIS - France Catholique
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RICCARDI N’EST PAS FRANÇAIS

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L’entrée au gouvernement italien du fondateur de Sant’Egidio, Andrea Riccardi, comme ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration, est une occasion de réfléchir à l’originalité de ce mouvement catholique et romain.

Riccardi serait-il un Kouchner transalpin ? Bernard-Henri Lévy serait-il notre Riccardi français ? Contemporains, ils sont tous des fils de 1968 et se revendiquent comme tels. Pourtant, tout les oppose. Au-delà des personnalités et des parcours individuels, il y a des raisons structurelles qui tiennent à l’histoire des deux pays. J’en retiendrai trois : catholicisme romain et laïcité, orientations latino-byzantine et franco-germanique, valeurs de rencontre et de partage et choc des valeurs.

1) L’expérience de Sant’ Egidio est celle d’une communauté de laïcs catholiques, ou comment on peut être les deux à la fois. Riccardi se réfère ainsi à la formule dogmatique du Concile de Chalcédoine de 451 (sur les deux natures du Christ) : pas de confusion mais pas non plus de séparation : « nous sommes à Rome, nous sommes intégrés au tissu humain et religieux de Rome, mais nous n’y sommes pas confondus. Il faut avoir une idée concrète de cette Rome, où les séparations des responsabilités sont claires, mais où il existe un tissu de vie commune et de dialogue.» 1 Sant’Egidio n’agit pour le compte ni du Vatican ni de l’Etat italien, les tensions n’ont pas manqué à l’occasion, et les ignorances, mais il n’en est pas coupé. Il y a toujours des passerelles.

Sant’Egidio a bien entendu bénéficié de la décomposition parallèle de la Démocratie Chrétienne et du Parti Communiste italien qui menaient aussi des diplomaties parallèles, mais, grâce en partie au Vatican, l’après 90 comme l’après 68 a gardé en Italie ses couleurs catholiques. Les valeurs catholiques « sociales » ou « intégrales », de paix et de justice, même si elles ont dû comme partout céder du terrain, ne se sont pas brisées comme souvent entre socialisme et libéralisme, et les Catholiques n’ont pas perdu la totalité de leur identité au sein des partis de gauche ou de droite entre lesquels ils se sont répartis.

En France, il y avait déjà belle lurette que la démocratie chrétienne (le MRP), qui avait déjà eu tant de mal à se frayer un chemin à côté du gaullisme, particularité nationale issue de la guerre, avait sombré sous une « pratique chrétienne de la politique » (déclaration de l’épiscopat français de 1972) ouvrant la porte au ralliement d’une bonne partie des catholiques militants et des associations à la «deuxième gauche ». La Révolution française avait définitivement triomphé avec son bicentenaire. Toute action extérieure, même catholique, ne pouvait avoir pour fondement que la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

2) Les axes principaux de l’action internationale de Sant’Egidio, à partir de la confrontation localement avec les immigrés, principal vecteur alors de pauvreté (ce qui a changé avec la crise), furent les pays d’origine de ces migrants croisés sur les piazze romaines : africains, arabes et noirs, ex-yougoslaves, albanais, roumains, sud-américains. C’était une radicale nouveauté par rapport à la diplomatie de la Démocratie Chrétienne et du Vatican de l’entre-deux guerres et de l’après-seconde guerre qui n’avait pour souci que la réconciliation avec l’Allemagne. Tout l’effort des Catholiques, dont de nombreux éminents germanistes, et pas seulement Robert Schuman, a ainsi tendu vers la construction européenne ainsi conçue jusqu’à l’apothéose de la rencontre De Gaulle-Adenauer dans la Cathédrale de Reims en 1962. Après commencera la démarcation 2. L’Italie du Nord avec De Gasperi participait de cet axe rhénan. Le basculement géographique après 68 fut donc complet. Et l’on retrouva Riccardi et ses collègues de Sant’Egidio parfois sur les mêmes terres que notre couple Kouchner-BHL : l’Afrique : Kouchner en 1968 est au Biafra, en 92 il ira en Somalie au moment où Sant’Egidio obtient son premier succès emblématique, l’accord de paix au Mozambique ; l’ex-Yougoslavie, et spécialement la Bosnie, l’Albanie, la Macédoine, le Kosovo (Sant’Egidio avait soutenu Ibrahim Rukova ; Kouchner y fut haut-représentant de l’ONU); la Méditerranée occidentale : tout dernièrement BHL en Libye, alors que Sant’Egidio s’était investi à fond depuis les années 90 dans la recherche de la paix en Algérie au cœur de la guerre civile.

Mais que de différences : Kouchner au Kosovo, comme BHL en Bosnie, furent quelque peu désorientés par les attitudes du clergé orthodoxe avec lequel Sant’Egidio a engagé depuis longtemps une démarche ouvertement œcuménique (réunions d’Assise notamment, introduction des icônes dans la liturgie de la communauté de Trastevere). Sant’Egidio s’est aussi investi dans les guerres civiles en Amérique centrale désertées par les Français, en dépit d’une forte prégnance de la démocratie chrétienne française, influence assez méconnue, héritière de Jacques Maritain.

3) La différence fondamentale est dans la méthodologie de la paix : la paix, don de Dieu ; la paix, par la force internationale, pour faire bref. Sant’Egidio a innové par une approche interculturelle, respectueuse, discrète, sans jugement de valeur, sans idéologie, dans la longue durée, privilégiant les rencontres, les réalités humaines, les communautés de base, puis le partage en commun, avec toujours au centre ou en arrière-plan, la prière.

La logique des Kouchner et BHL les a au contraire entraînés, comme beaucoup d’autres, y compris des catholiques, notamment aux Etats-Unis, sur la voie de la « guerre juste », la guerre humanitaire, la guerre internationale, voie rejetée par les papes successifs, notamment lors de la guerre en Irak, et bien entendu par Sant’Egidio.

L’opposition va ici au-delà de la psychologie qui voudrait, en caricaturant, démarquer la tendance romaine au compromis, sinon à la « combinazione », et la pente française — et américaine — à l’empire du Bien et des principes révolutionnaires, jusqu’à l’arrogance. C’est bien une philosophie de la paix qui s’affronte ici à celle de la guerre.

On ne saurait pourtant imaginer plus francophile qu’Andrea Riccardi qui a fait sa thèse sur le catholicisme français du XIXe siècle à partir de la figure de Mgr Henri Maret. La situation catholique laïque de la France ne recèle pour lui aucun secret (grâce notamment à Emile Poulat). L’inverse hélas n’est pas vrai. Gallicanisme n’est pas mort : on a trop souvent que mépris pour ceux que l’on qualifiait d’Ultramontains, même, lorsque c’est le cas pour Sant’Egidio, ils ont tant à partager avec nous.

  1. Andrea Riccardi, Sant’Egidio, Rome et le monde, entretiens avec Jean-Dominique Durand et Régis Ladous, Beauchesne, 1996.
  2. Excellemment étudiée par l’ambassadeur Jean-Marie Soutou, Un diplomate engagé, Mémoires 1939-1979, Editions de Fallois, 2011.