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Révélation progressive du dogme de la création

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Révélation progressive du dogme de la création

Introduction

Comment la Bible est-elle arrivée à une notion plus précise de la création ? En la parcourant toute entière, nous pourrons voir comment s’est précisée cette notion, tant dans les mots, les images que dans les grand textes.

– I – Les mots

En hébreu, le plus important et le plus rare est le verbe bara, employé en Genèse 1,1. Ce verbe n’ a jamais que Dieu comme sujet, par exemple dans le psaume 50, verset 12 : Ô Dieu, crée en moi un cœur pur.
Un autre verbe, mais beaucoup plus commun est assa , faire, fabriquer.
En Genèse 2,7, le verbe est plus original yassar , pétrir, modeler, donner forme.
Le verbe kânâ revient assez souvent dans la suite de la Genèse, mais avec des sens variés : acquérir, posséder, créer. Ce qui pose problème pour le verset 22 du chapitre 8 du livre des Proverbes : « Le Seigneur m’a acquise (possédée, créée) au début de ses œuvres » (traduction liturgique actuelle : Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, prémices de ses oeuvres, depuis toujours). Le problème est que dans ce texte qui veut souligner la primauté de la Sagesse auprès de Dieu, le verbe employé risque de la remettre au rang de créatures.

Le grec est moins précis dans son vocabulaire, c’est le verbe poien (faire) qui est employé sans rendre les nuances de l’hébreu.

– II – Les images

La génération : Image prise de nos expériences concrètes pour souligner une origine à la manière humaine. Mais, elle n’est pas la création. Il faudra attendre les discussions sur la divinité du Fils pour que la distinction soit nettement faite (engendré, non pas créé). Cette image a l’avantage d’évoquer une relation de père à fils. Aussi, bien avant que le Christ lui donne son plein sens, Dieu est plusieurs fois qualifié de « notre Père» (Tobie 13.4).
La parole : Utilisé dans les magies variées, ce vocable souligne l’efficacité. Hors de ce contexte, il garde cet aspect. Le centurion qui interpelle Jésus souligne l’expérience qu’il a de l’efficacité de la parole : « Je lui dis va, et il va… » ( Luc 7,8). Ce concept a aussi l’avantage de souligner la distance : la parole échappe à celui qui la prononce. Appliqué à Dieu, il y a un autre aspect : la maîtrise sur les choses. De même que Dieu fait défiler les animaux devant Adam, pour qu’il les nomme, c’est-à-dire qu’il ait un certain pouvoir sur eux, de même il est dit que Dieu appelle les étoiles par leur nom, montrant qu’il en est le souverain ( Psaume 147.4 et aussi Baruc 3,33-35).
La manutention : Souvent l’image de la création est empruntée au travail manuel : en Genèse 2,7, Dieu modèle ou pétrit la glaise pour faire Adam, dans le psaume 104, 2, il déploie les cieux comme une tente, en 102, 26, les cieux sont l’ouvrage de ses mains.

– III – Les grands textes de l’Ancien Testament.

Même si nous distinguons actuellement deux récits, chapitre 1 d’un côté, chapitres 2 et 3 de l’autre, ils sont fortement unis dans la tradition biblique, à tel point que le verset 2,4 est à la fois la conclusion du premier récit aussi bien que l’introduction du second.
Nous connaissons bien Genèse 1 pour l’entendre chaque année dans la veillée pascale. Ce texte est, semble-t-il, beaucoup plus tardif que le second, sans doute au retour de l’Exil, en particulier à cause de l’importance donnée au septième jour, le sabbat, auquel Dieu lui-même semble se soumettre.
Le tohu bohu, du verset 1 traduit par informe et vide, montre que l’auteur sacré n’est pas encore arrivé à la perception nette de la création à partir de rien. Par contre la mention du souffle de Dieu qui planait sur les eaux sera une amorce lointaine de la Trinité créatrice
L’ensemble du poème présente un univers très ordonné, la lumière, les cieux, les plantes, les animaux, d’abord marins puis terrestres, sorte de montée vers un sommet, la création de l’homme. Son importance est soulignée par le verset 27 qui marque une rupture dans le texte.
On voit la place de la parole et son efficacité.
Peut-être faisons-nous un peu moins attention au verbe « séparer » qui revient trois fois. On peut dire qu’il souligne deux choses, le souci d’ordre de ce récit, mais aussi que Dieu ne s’immerge pas dans sa création. De même que la parole dite devient une réalité qui lui est autre, de même la séparation de la lumière ou des eaux, redit que la création n’est pas Dieu.
Revenons sur la création de l’homme, au sixième jour. Celle-ci ne l’occupe pas entièrement, il y a aussi les êtres vivants terrestres (les animaux marins sont au cinquième jour). On ne peut, en effet, cacher l’enracinement de l’homme dans ce que nous nommons le règne animal. Mais ceci est corrigé immédiatement par la double notation de l’image et de la ressemblance des versets 26 et 27, et par la domination sur les animaux qui lui est aussitôt conférée. De plus, le verset 27 introduit une rupture dans la suite du poème, marque voulue de la place particulière de l’homme dans la création. On peut remarquer aussi le mystérieux pluriel de la création de l’homme : « faisons ». Les Pères de l’Église se sont empressé, avec moins de bonheur que pour le souffle de Dieu du verset 1, d’y voir une annonce cachée de la Trinité créatrice.

Genèse 2-3, sans doute plus ancien de quatre ou cinq siècles, a une toute autre couleur. Dieu y apparaît plus besogneux, il modèle ; plus proche, il se promène à la brise du soir pour converser avec l’homme. La préoccupation cosmique de Genèse 1 avec son étagement de réalités créées n’est pas présente. Là aussi, la création a partir de rien n’est pas soulignée. Il y a une description un peu sommaire de l’état de la terre. On passe tout de suite à la création de l’homme. Le modelage à partir de la poussière, et non de la glaise, vise plus à souligner la fragilité de l’homme qu’à rabaisser Dieu à un simple potier. Cette fragilité annonce la chute au chapitre 3. On retrouve, d’une autre façon, le souffle de vie par lequel Dieu fait de l’homme autre chose qu’un animal. Influence des récits extra-bibliques : les quatre fleuves, et le jardin d’Éden ? Le rôle de l’homme dans le cosmos va être introduit par le souci de ne pas le laisser solitaire. D’où cette scène très concrète, de faire nommer les animaux, autre manière de montrer qu’il en a la maîtrise. Mais le but est d’introduire la création de la femme « une aide qui lui corresponde ». D’où l’exclamation : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair », prise de position irréfutable de la participation de la femme à la même nature que l’homme, contre les affirmation environnantes d’une quelconque infériorité.
Ce récit ne peut être détaché du chapitre 3, qui met en scène le premier péché. Cette description donne encore un visage plus concret à Dieu qui s’entretient avec l’homme. Le péché fait que l’homme fuit cette compagnie au lieu de s’y complaire.
Au total, un texte plus poignant, presque un drame en trois actes, où l’homme est plus vu comme une personne, bénéficiant, de manière fugitive de l’intimité de Dieu, en attendant que Dieu réalise sa promesse de restaurer cette intimité (le « protévangile » de 3,15).

Le livre de Job, aux chapitres 38 et 39, est un autre poème sur la création. Après les discours de ses trois amis qui veulent convaincre Job que, s’il est malheureux, c’est qu’il a péché, Dieu lui même intervient en deux discours. Le premier est une affirmation de la puissance créatrice de Dieu pour réduire Job au silence : « Où étais-tu quand j’ai fondé la terre ? » (38,4). Avec un vocabulaire très étendu, ces chapitres détaillent d’abord les actions créatrices de Dieu dans ce que nous nommerions le cosmos : fixer le terre, retenir la mer et ses immensités, qui évoquent la mort (thème récurant de la Bible pour qui la mer évoque la mort, et ceci jusqu’à l’Apocalypse), la lumière, les pluies et les vents pour le bien de la terre. Une cosmologie légèrement différente de celle de Genèse 1, mais qui ne cherche pas un ordre logique, mais plutôt une admiration de cette création. A partir de 38,36, c’est l’immense variétés des animaux, avec leurs qualités propres, ce qui nous donne un bel échantillon des connaissances du monde animal à cette époque. D’où la conclusion en 40,1-5 : « Le Seigneur s’adressa à Job et dit : Celui qui dispute avec le Puissant va-t-il le censurer ? celui qui critique Dieu répondra-t-il à cela ? Job s’adressa au Seigneur et dit : Moi qui suis peu de chose, que pourrais-je répliquer ? Je mets ma main sur ma bouche. J’ai parlé une fois, je ne répondrai plus ; deux fois, je n’y ajouterai plus rien. » Sans faire avancer la compréhension de l’action créatrice, ces pages recueillent l’héritage de tous ceux qui ont affirmé que tout vient de Dieu et de lui seul.

Les psaumes abondent en affirmations sur la puissance créatrice de Dieu. On y retrouve la variété des verbes signifiant cette action créatrice.
* 18 : « Les cieux proclament la gloire de Dieu, le firmament raconte l’ouvrage de ses mains. »
* 23 : « Au Seigneur, le monde et sa richesse, la terre et tout son peuplement ! C’est lui qui l’a fondée sur les mers et la garde inébranlable sur les flots »
* 28, mais qui insiste plus sur la maîtrise de Dieu sur la terre et les vents, écho d’une conception du Dieu de l’orage.
* 32,6 : « Le Seigneur a fait les cieux par sa parole, l’univers, par le souffle de sa bouche. »
* 88, 12 : « À toi le ciel ! À toi la terre ! C’est toi qui fondas le monde et sa richesse ! »
* 89,2 : « Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi, tu es Dieu. »
* 94,5 : « À lui la mer, c’est lui qui l’a faite, et les terres, car ses mains les ont pétries. »
* 95,5 : « Lui, le Seigneur a fait le cieux. »
* 103, tout entier admiratif de la création : «Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur ! » au verset 14.
* 133,3 : « Que le Seigneur te bénisse de Sion, lui qui a fait le ciel et la terre ! »
* 135 : Avant de redire les merveilles de la délivrance de l’esclavage en Égypte, ce psaume clame les merveilles du Dieu créateur : « Lui qui fit les cieux avec sagesse, car éternel est son amour » (verset 5).
* 148 : invitation à toutes les créatures de louer le Seigneur. Au verset 5 : « Qu’ils louent le nom du Seigneur : sur son ordre ils furent créés. »

Dans le livre de Daniel, les trois jeunes dans la fournaise, miraculeusement préservés du feu, chantent un long cantique. La deuxième partie, à partir de 3,57, invite les créatures, depuis les anges jusqu’aux trois jeunes gens eux-mêmes, à louer Dieu : «Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur, à lui haute gloire louange éternelle ! »

Dans la littérature de Sagesse, deux textes, avec leur petit problème, vont retenir notre attention.
Siracide 24 fait un éloge de la Sagesse qui doit venir demeurer dans le peuple élu. Le chapitre commence par une sorte d’historique de la Sagesse à la recherche d’un lieu d’accueil : « Viens demeurer parmi les fils de Jacob, reçois ta part d’héritage en Israël » (v.8). Les choses se compliquent un peu lorsque la Sagesse, qui apparaît comme une réalité transcendante, affirme deux fois (vv 8 et 9) avoir été créée.
Nous avons cité au début Proverbes 8,22.

En 2 Martyrs d’Israël 7,28, la mère encourage son fils à subir le martyre pour leur foi en disant : « Je t’en conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent ; sache que Dieu a fait tout cela de rien. » L’affirmation de ce que nous nommons la création ex nihilo est nettement affirmée. La tradition ultérieure ne reviendra pas sur ce point.

– IV – Les reprises du Nouveau Testament

Les mentions du Dieu créateur ne manquent pas. 2 Corinthiens 4,6 : « Car Dieu qui a dit du milieu des ténèbres brillera la lumière, a lui-même brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ. » Ou bien Romains 4,17 : « Dieu qui donne la vie aux morts et qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas. » Actes 17,24 : « Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu’il contient. » 1 Timothée 6,13 : « Dieu qui donne la vie à tout les êtres. »
La grande nouveauté va être d’appliquer ces qualités créatrices de celui qui donne à tous la vie le mouvement et tout le nécessaire (Actes 17,25) à Jésus lui-même, d’en faire le créateur. Ce sont les affirmations du prologue de l’évangile de Jean : « C’est par lui (le Verbe) que tout est venu à l’existence. » ou l’hymne en Colossiens 1,16 : « En lui tout fut créé dans le ciel et sur la terre. » Ou encore le début de la lettre aux Hébreux : « Dieu nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a fait les mondes » (1,2). Ce qui est repris plus loin dans la citation du psaume 109.

Conclusion

A travers ce long parcours, nous avons vu s’affermir la foi en un Dieu qui est l’origine de tout. Mais, la modalité à partir de rien n’est nettement affirmée que tardivement. C’est que l’affirmation d’un vrai début, d’un commencement absolu, du refus d’une régression indéfinie, comme dans les mythes environnants, a eu du mal à se frayer un chemin.
De plus, la Bible témoigne que l’affirmation d’un créateur ne peut tenir qu’avec la conception d’un Dieu unique. Nous sommes loin des mythologies où le monde dérive d’un conflit entre plusieurs divinités. On ne peut affirmer la création que dans le cadre d’un monothéisme strict.
Enfin, il faut comprendre que cette création obéit à un projet. Elle a une finalité. Genèse 1, avec l’étagement des créatures, montant jusqu’à l’homme, en est la première affirmation. Celle-ci devra être complétée par une motivation : Dieu ne crée ni par jalousie, ni par peur de la solitude, ni par vengeance, ni par nécessité, il crée par amour, pour faire partager sa vie intime et son bonheur.