La récente querelle de coqs entre les experts républicains vient probablement quelques décennies trop tard. Je fais référence à la chicane qui a commencé quand Sohrab Ahmari a écrit « Contre la coterie David French » dans ‘First Thing’, il y a quelques semaines.
Nous avons une fracture entre l’aile « classique libérale » du mouvement conservateur, fondamentalement libertaire, et les « conservateurs sociaux ».
La ligne de faille a été observée depuis longtemps, et le risque d’un tremblement de terre a été appréhendé. Deux visions du monde assez différentes et probablement incompatibles ont été hébergées au sein d’un unique parti politique, pas seulement aux Etats-Unis mais dans toute la sphère anglo-saxonne et au-delà.
Un côté est « illuminé » dans le sens où ses idéaux et principes civiques descendent explicitement des Lumières. L’autre ne l’est pas. La Révolution Américaine survient au beau milieu de tout ça, et la Constitution qui en a émergé est arrivée avec la marée haute des Lumières.
Cependant, les Pères de la Révolution, à la fois consciemment et inconsciemment, ont reconnu que des arrangements « neutres » pour gouverner une société libre comme sans précédent ne pouvaient être possible que si la société elle-même n’était pas neutre. L’Amérique était chrétienne protestante : sans l’accord général qui a suivi sur distinguer le bien du mal, faire confiance à Dieu et à la Raison, il n’y avait pas de postulat commun sur lequel bâtir quelque ordonnancement.
Les Pères Américains ne sont pas allés aussi loin que les instigateurs de la Révolution Française, et n’avaient pas l’intention de le faire. Les Américains proposaient un nouveau départ politique, mais ils ne proposaient pas de refaire le monde de A à Z. Ils cherchaient, c’était louable, une société paisible et agraire (mais oui!) qui serait en esprit l’opposé d’une société révolutionnaire.
Durant la meilleure partie de deux siècles, en dépit de catastrophes comme la Guerre de Sécession, quelque chose comme ce que Washington, Hamilton et même Jefferson avaient imaginé a été réalisé en grande partie. Que cela ne ressemble guère à l’Amérique actuelle n’est pas de leur faute. Le vingtième siècle a passé à la moulinette toute la civilisation occidentale, et par contagion le reste du monde.
Comme toujours, je simplifie à l’extrême pour atteindre un but, qui est de placer la chicane politique récente dans un contexte historique plus large. Une chose en amène une autre, et nous sommes toujours à subir les répercussions des révolutions et des réformes de longue date – cinq siècles et plus pendant lesquels le scandale de la chrétienté a été ses divisions et des affirmations rivales de la foi qui l’ont ébranlée jusqu’au cœur.
Pour un esprit catholique, c’est une histoires de rébellions contre une autorité qui est finalement celle du Christ. Chaque révolution successive entraîne la société et les âmes individuelles qui la composent de plus en plus loin de Dieu. Mais Dieu ne meurt pas, malgré toutes nos tentatives pour le tuer. Et la possibilité de restaurer un ordre véritablement chrétien ne disparaîtra pas, même si nous perdons chaque bataille. En avant, soldats du Christ !
Sohrab Ahmari est un cas intéressant. Ayant grandi en Iran, parmi les Perses post-modernes qui voyaient l’islam comme une chose du passé, son cœur était ouvert aux religions occidentales, sur une trajectoire intellectuelle et spirituelle qui l’a conduit à peu près directement dans l’Eglise Catholique.
David French, un vétéran de la guerre d’Irak, est un avocat compétent et un constitutionnaliste conservateur centré sur les droits des Américains de naissance, de tendance évangélique. Il est de bien des manières une voix de douce raison et de courtoisie. Il a été un remarquable avocat de la liberté religieuse et un anti-Trump acharné. Il est de la sorte de conservateurs avec lesquels la plupart des libéraux peuvent être courtois (après tout, ils se rejoignent dans la haine de Trump).
Le démêlé que Ahmari a eu avec lui était audacieux. Ce que soulignait Ahmani, c’est que French est trop courtois. A une époque où chaque précepte du christianisme et même du libéralisme classique subit les attaques de forces essentiellement athées et nihilistes, French respecte et défend leur « droit à avoir une opinion », tout en les priant en retour de respecter les droits des autres.
Ahmani pense que cela est trop indulgent pour permettre de survivre. Je ne doute pas que la jeunesse de sa conversion au catholicisme a contribué à son opinion plus militante ; de fait, c’est quelque chose que je trouve attirant en lui. Il ne parle pas pour une chrétienté qui est vieille et fatiguée, usée par des siècles de retraite. Il ne considère pas la foi chrétienne ou ses principes comme malléables ou négociables.
Cela dit, j’invite mon honorable lecteur à ressortir le débat et à le lire de bout en bout. Mon seul commentaire partial sera que nous avons déjà entendu répéter la moitié de cette argumentation. Les « conservateurs sociaux » du Parti Républicain ont depuis longtemps l’habitude d’être sommés de se taire par leurs partenaires « libertaires », de crainte d’inquiéter les jeunes gays, de même on leur dit « d’en prendre un sur la liste » pour les élections. Ils ont aussi l’habitude de se faire raplatir.
Ahmari dit : « assez joué le gentil ». Donald Trump a changé les règles du jeu, et a démontré entre autres choses que la grande majorité des Américains, y compris les « cols bleus » qui étaient des démocrates fiables, n’étaient quasiment jamais partisans du libre-marché, et restaient à l’excès « Amérique d’abord ».
Actuellement, leurs réflexes restent ceux de la plupart des gens « ordinaires » partout et toujours : en deux mots, « conservateurs sociaux ». Ils peuvent être arnaqués et tenus pour moins que rien dans le marigot politique, mais pas pour toujours. Les Républicains, gérontocratie de « country club », ne peuvent pas retourner à leurs vieilles manières suffisantes.
J’essaie d’avoir une vision à long terme des choses – une vision qui aille au-delà des élections – alors j’essaie de voir ce « combat à droite » comme la plus grande bataille de civilisation. Sur ce plan, je suis entièrement avec Ahmari. La culture que nous défendons est en fait chrétienne, et la meilleur défense est d’être prêt à l’attaque. Nous pouvons bien être fatigués et de plus en plus stupides, mais toute l’histoire du triomphe chrétien est celle d’une affirmation.
Comme Ahmari l’a écrit, la courtoisie et la politesse sont des vertus secondaires.
Et comme nous aurions du l’apprendre de nos Evangiles, le Christ Lui-même pouvait être virulent et impoli. Il n’y a pas que la vraie charité (toute différente d’une capitulation) mais également la clarté – franchise et vérité – qui sont les plus hautes vertus. Notre tâche est de PROCLAMER, bon sang de sort.
David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : messieurs Ahmari et French
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/06/21/christian-woke/