« Nos chers vieux Etats Unis sont en mauvaise posture. Les Américains se sont retournés les uns contre les autres ; race contre race, droite contre gauche, croyants contre païens… Des bourgeons de vigne poussent dans des quartiers de New York où les nègres eux-mêmes ne veulent pas vivre. On a vu des loups au centre de la ville de Cleveland, comme à Rome lors de la peste noire. »
Walker Percy, L’amour dans les ruines.
Parfois, je trouve difficile de respirer dans l’atmosphère étouffante dans laquelle nous vivons maintenant jour après jour. Il ne s’agit pas seulement de l’effondrement moral, ni de « l’économisation » puante de la vie politique, ni de notre dégradation culturelle, ni des restes des scandales sordides qui hantent encore l’Eglise que nous aimons. Non, ce dont je souffre, c’est littéralement de la désagrégation du tissu social qui résulte de tout cela. La communion véritable entre les hommes y est réduite à un groupe très étroit de famille et d’amis. En tant que romancier catholique, Walker Percy, il y a un demi-siècle, avait bien anticipé « que les américains se retourneraient les uns contre les autres ».
Percy, devenu écrivain après des études de psychiatre, avait prévu combien cette rupture serait désastreuse pour le bien-être mental que spirituel des personnes, la vraie « catastrophe » dont il parle dans « l’amour dans les ruines » (et dans la suite « le syndrome de Thanatos »). Il a un style d’un humour inimitable, ce qui est nécessaire pour que les lecteurs puissent persévérer dans la lecture de ses romans qui sont d’une sombre gravité.
Comme le docteur Tom More, l’alter ego du docteur Percy dans le roman, il faut avoir un sérieux sens de l’humour – et à l’occasion un petit verre de bourbon – pour nous aider à traverser le roman, sans parler de traverser la vie qu’il a anticipée telle que nous la connaissons maintenant, avec une telle précision.
Parmi les nombreux problèmes qui rendraient pratiquement impossible une guérison sociétale, le docteur More à un moment, décrit brièvement le déclin de la littérature américaine, où de grandes œuvres comme les romans gothiques sudistes ont finalement « laissé la place au roman homosexuel WASP, qui a pratiquement fait son chemin ». Et il ajoute avec ironie « La renaissance littéraire catholique, attendue depuis longtemps, n’a pas réussi à se matérialiser. » Bien sûr, il a raison, mais ce n’est pas, pour le créateur de More, faute d’avoir essayé. Percy, ainsi que Flannery O’Connor et quelques autres ont fait de vaillants efforts, mais il n’y a pas eu beaucoup de successeurs.
Un autre problème prédit par Percy est l’écroulement des partis politiques – incapables de s’en prendre aux maux qui déchiraient le pays. Le vieux parti démocrate, dit More, a cédé devant un nouveau parti de gauche répondant à l’acronyme de « LEFTPAPASANE » qui, selon la droite étaient les initiales de ce en quoi la gauche croyait : Liberté, Egalité Fraternité, la Pilule, Athéisme, Pot (de marijuana), Antipollution, Sexe, Avortement immédiat, Euthanasie. » Cela paraît familier ?
Mais Percy et son docteur fictif sont tout aussi sarcastiques envers l’autre parti : « Le vieux parti républicain est devenu le parti des idiots… La première suggestion (pour lui donner un acronyme) était : Parti chrétien constitutionnel conservateur, et on avait même imprimé des prospectus de campagne avec les lettres CCCP avant qu’un commentateur libéral de l’est remarque la similitude avec les initiales imprimées au dos des cosmonautes soviétiques. »
Du coup, les conservateurs ont répliqué par le slogan « Personne ne peut être trop idiot dans le service de son pays. » Percy était trop catholique pour être partisan.
De même, dit More, l’Eglise catholique est mal placée pour sauver le pays :
« Notre Eglise catholique ici s’est cassée en trois morceaux :
1 L’église Catholique américaine dont la nouvelle Rome est Cicero en Illinois
2 Les schismatiques hollandais qui croient en la pertinence, mais pas en Dieu
3 Le reste de catholiques romains, petit troupeau éparpillé qui ne sait pas où aller. »
Bien qu’il n’y ait pas de véritable schisme actuellement – pas encore- les traits généraux de cette description nous sont certainement familiers. Du fait de ses divisions profondes, l’Eglise catholique d’aujourd’hui est politiquement impuissante, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle manque d’une direction forte pour en faire autre chose. Pour prévoir l’avenir aussi, Percy était très clairvoyant.
Alors, pourquoi est-ce que je dis que Percy nous aide à reprendre souffle ? Parce qu’il nous sort du brouillard intellectuel qui essaye de nier que les choses vont vraiment mal en Amérique. Cela nous aide aussi à voir le monde comme il est vraiment. Le brouillard nous aveugle, de même qu’il étouffe la respiration de la vie. Percy nous aide à voir la vérité, comme le fait tout grand romancier, et il le fait à partir d’une vision vraiment catholique de la réalité.
Le problème du docteur More avec sa femme qui l’a quitté, nous donne un indice sur le problème auquel nous faisons face. Il aime profondément cette fille des vallées de Virginie qui au milieu de sa vie est saisie d’une angoisse New Age. Quelques citations : « ils deviennent la proie d’un orgueil gnostique, commencent à acheter des antiquités, et développent un désir de doctrine ésotérique. » A un moment, elle dit à Tom ce qui lui semble être son « problème » à lui : « Tu ne cherches pas la vérité. Tu penses que tu l’as déjà, et quel bien est-ce que cela te fait ? » Et : « Qui a dit : si on m’offrait le choix entre le fait d’avoir la vérité, et le fait de la chercher, je choisirais le recherche » Son mari lui répond « je ne sais pas, probablement Hermann Hesse ». Effectivement.
De pair avec la femme du docteur More, Walker Percy n’a jamais renoncé à sa propre recherche de la vérité complexe à propos de cette vie, précisément parce qu’il possédait la vérité à propos du salut et de la vie future. Il ne s’est pas échappé dans des abstractions New Age désincarnées, ni dans le réconfort concret d’un bon Bourbon méridional. Au contraire, il a trouvé le moyen de devenir oblat bénédictin juste avant sa mort. Nous devrions être profondément reconnaissants pour ce qu’il a été et pour ce qu’il a fait.
https://www.thecatholicthing.org/2015/12/09/breathing-thanks-walker-percy/