Retrouver le sens du verbe et du corps - France Catholique
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La justice de Dieu
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Retrouver le sens du verbe et du corps

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Pour communiquer l’homme dispose de deux outils principaux, la parole et le corps. Les possibilités sont multiples: les mots peuvent-être énoncés, écrits, soupirés, inscrits dans la prose, la poésie et les chansons. Même dans les emails et les SMS. Ils nous permettent d’exprimer nos pensées, nos opinions, nos sentiments, nos idées, etc. Les mots nous donnent les moyens de communiquer. Par des serments, des promesses et des vœux, nous nous donnons à quelque chose ou à quelqu’un. Sans les mots, nous serions des êtres isolés et solitaires.

Qu’en est-il du corps ? Se tenir droit, s’agenouiller et s’assoir, marcher ou courir, danser, sourire, froncer des sourcils, pleurer. Saluer quelqu’un, l’embrasser et l’étreindre. Les mots ne suffisent pas, le corps parle également. Que nous en soyons conscients ou non, nous utilisons ce qu’on appelle le langage corporel, le langage non verbal (parfois même malgré nous). Le corps communique l’essence même de notre personne. Le martyre des chrétiens dans l’arène ou la mort du soldat qui reçoit une grenade reflètent le don de soi sans que mot ne soit prononcé.

Malheureusement dans notre culture, les mots et le corps n’ont plus les moyens de parler, et je ne me limite pas à faire allusion aux décisions des grandes instances américaines. Quand un procureur général refuse de défendre la loi alors qu’il a prêté serment, les serments n’ont plus aucun sens. Quand on sait que le débat actuel sur la dénaturation du mariage repose sur un simple pléonasme (Love is Love aux Etats-Unis), il est vain de vouloir débattre de façon rationnelle. Quand le mot « orientation » peut signifier « n’importe qu’elle direction », le terme devient absurde. Quand sur un certificat de naissance on inscrit deux « mères », mais pas de « père », cela traduit la déconnexion entre le langage et la réalité. Bien du chemin a été parcouru depuis l’époque où l’on cherchait à savoir ce que signifiait « être ».

Le corps est soumis à la même incompréhension. Un homme revendique qu’il est en réalité une femme et une nation tout entière accepte et applaudit la mutilation de son corps. Aux Etats-Unis, la Cour suprême de justice a recours à des expertises légales pour expliquer l’évidence : seule l’union entre un homme et une femme peut donner la vie. Accepter que les activités homosexuelles entrent dans la norme comme nous le faisons indique que nous ne comprenons plus le langage le plus simple du corps. Les habitudes ô combien communes (tenue légère, tatouages, stérilisation, contraception) nous incitent à croire que notre corps nous appartient au lieu de nous aider à le considérer comme étant le signe d’une confiance sacrée.

On le sait, le sophisme, le gnosticisme, le mensonge et le libertinage ont toujours existé. Mais aujourd’hui le poison est peut-être bien plus fort que ce que nous avons connu jusqu’alors. Il envenime le discours public et nos conversations de tous les jours ; nous sommes obligés de négocier nos conversations comme on traverse un champ de mines, de peur de donner leur vrai sens aux mots.

Cette crise de la communication nuit à la société dans son ensemble, mais elle touche tout particulièrement le mariage. Pas seulement parce qu’il est la cellule de base de la société, mais aussi parce que l’union sacrée est contractée par des mots et consommée par des corps. Quand les vœux ne sont plus que des mots sans fondements, que l’étreinte conjugale ne signifie plus rien, c’est l’institution dans son ensemble qui est à la dérive. Il n’y a rien de surprenant à ce que le mariage se trouve au cœur des batailles laïques et religieuses.

L’absence totale de sens dans laquelle nous vivons est le symptôme d’un monde déchu. Le péché est le rejet du sens, de toute structure ou de tout objectif. C’est la cupidité de parvenir à une autonomie qui rejette les contraintes de la vérité objective. Le salut de la situation dans laquelle nous nous trouvons viendra comme il vient toujours : par le Verbe fait chair. Le sens de tous les mots est restauré par le Verbe éternel. Le Verbe fait chair redonne leur signification à tous les corps.

La rédemption nous est donnée, et ce n’est pas surprenant, dans les termes du mariage. Le Verbe fait chair est l’Epoux qui rend au mariage son sens originel. Le mariage chrétien devient alors le lieu où le sens est rendu, la société dans laquelle les mots et les corps retrouvent leur signification. Dans les mariages chrétiens – sans mettre de côté les mariages chrétiens en difficulté – on se rend compte que les vœux ne sont pas des lettres mortes, mais qu’ils sont au contraire bien vivants. Ils sont vécus, imparfaitement et maladroitement peut-être, mais vécus. Dans le mariage chrétien, le corps est à nouveau chargé de sens. Alors qu’il est si peu pratique, avide et réticent, le corps devient dans le mariage chrétien un moyen de communication, un moyen de ne faire qu’une seule chair.

La foi que l’on place dans le Verbe fait chair est à son apogée dans l’Eucharistie. Comme Saint Thomas l’a si bien formulé, « le Verbe fait chair, par son verbe, fait de sa chair le vrai pain ». Par un verbe humain le Corps du Verbe est présent, et en recevant le Corps en nos corps humains nous recevons le Verbe. C’est dans l’Eucharistie que nous trouvons la guérison dont a besoin notre culture insensée. En elle, nous trouvons des mots qui sont non seulement chargés de sens, mais qui possèdent également le pouvoir de faire changer les choses. En elle, nos corps se rendent comptent de leur signification quand nous recevons le Corps du Verbe. L’Eucharistie rachète à la fois le verbe et le corps.

L’Eucharistie est une noce : pendant la Sainte Messe l’Epoux et l’Epouse deviennent une seule chair. Les époux trouvent dans l’Eucharistie les instructions et la grâce pour vivre leur vocation. Dans les termes de l’institution – Ceci est mon Corps – ils entendent la voix de l’Epoux qui confirme et raffermit leurs propres paroles. Dans la promesse de don de soi de Dieu, les époux trouve la force nécessaire pour leurs propres promesses. En recevant la Sainte Communion, ils reçoivent le Verbe fait Chair qui sanctifie leur union physique et leurs sacrifices.

Quelle que soit la réponse politique ou religieuse donnée à la crise actuelle, le premier mouvement catholique doit être destiné à notre Seigneur Eucharistique, car lui seul restaure le sens des mots et du corps. Etre plus attentif pendant la Sainte Messe, se recueillir plus souvent devant le Saint Sacrement, être plus fervent pour recevoir la Sainte Communion, augmenter le temps et la qualité de notre adoration. Ce n’est pas une façon d’échapper à la « réalité » (comme on le dit souvent), mais d’avoir recours au seul Rédempteur. Ces pratiques attirent vers nous les grâces pour nous aider dans nos épreuves, et font de nous des personnes capables de remplir le monde de sens.

P. Paul Scalia

Le père Paul Scalia est un prêtre du diocèse d’Arlington en Virginie aux Etats-Unis. Il est le délégué épiscopal du clergé

Icône : Le Nymfios (Christ l’Epoux)