Rétrospective d'une année troublée - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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Rétrospective d’une année troublée

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Une caractéristique en prenant de l’âge et en gagnant en sagesse est la perte d’illusions certes confortables mais naïves concernant les individus et les groupes. Nous avons normalement confiance que certains individus et certains groupes professant porter une mission particulière et exigeante dans la société vont effectivement la remplir. Les performances passées, autant que nous le sachions, étaient bonnes et l’avenir promettait d’être du même tonneau.

Mais la réalité est plus compliquée. Les illusions cèdent la place à une compréhension plus réaliste. Des attentes considérables envers des personnes ou des groupes se révèlent souvent être des illusions basées sur une connaissance incomplète de leurs performances passées. La réputation de compétence et d’intégrité peut exister en grande partie parce que des preuves d’échec ont été soigneusement cachées au public, ou minimisées quand rendues publiques.

Surmonter les fausses impressions qui ont par le passé étayé notre appréciation d’individus et de groupes est un pas utile et profitable pour envisager le monde tel qu’il est et non tel que nous souhaiterions qu’il soit. Je me rappelle avoir entendu dire que grandir en maturité consiste en une faculté toujours croissante d’aborder efficacement la complexité. Les jugements simplistes sont souvent séduisants mais ne sont généralement pas suffisants.

Cependant, connaître la complexité des choses ne devrait pas signifier perdre notre sentiment d’émerveillement pour la providence de Dieu guidant la course du monde et de Son Eglise. Découvrir les faits et se débarrasser des illusions est perturbant, spécialement quand il est question de la façon dont l’Eglise gère ses affaires, c’est à dire la façon dont les chefs de l’Eglise remplissent leurs obligations, ce qui devrait se faire dans une absolue fidélité à l’enseignement du Christ.

Ces réflexions de fin d’année sur l’illusion et la réalité sont bien sûr inspirées par ce qui s’est passé dans notre Eglise ces douze derniers mois. La réalité est que la haute considération autrefois accordée aux évêques en tant que groupe, et à nombre d’évêques à titre individuel, a volé en éclats suite à la révélation d’abus sexuels dans le clergé et d’exemples épiscopaux de couverture de l’immoralité et des méfaits.

Des catholiques des Etats-Unis et d’ailleurs ont été sidérés de découvrir l’histoire sordide des exactions de l’ex-cardinal McCarrick, les indemnités cachées versées par d’autres évêques aux séminaristes et prêtres victimes de McCarrick et la réponse semble-t-il tardive du Saint-Siège dans la poursuite de ces crimes canoniques.

McCarrick a démissionné du collège cardinalice en juillet et s’est vu ordonner de vivre une vie de prière et de pénitence sans voyages ni apparitions publiques en attendant la fin de la procédure canonique. Il a d’abord été accusé d’avoir agressé sexuellement un séminariste en septembre 2017. Le Saint-Siège a jugé cette accusation crédible en juin 2018. McCarrick ne comparaîtra cependant pas devant la cour canonique avant décembre 2018. Pourquoi ce délai si la preuve était convaincante six mois plus tôt ?

En août, le rapport du Grand Jury de Pennsylvanie a été rendu public et a précipité la chute du cardinal américain le plus influent, l’archevêque de Washington Donald Wuerl. Peu après, l’évêque Michael Bransfield de Wheeling (Virginie de l’Ouest), un protégé de McCarrick, a été brusquement révoqué et placé sous enquête pour harcèlement sexuel d’adultes.

Ont suivi les accusations de l’ancien nonce aux Etats-Unis, l’archevêque Carlo Maria Vigano, selon lesquelles plusieurs personnes du Saint-Siège, en particulier le pape François, connaissaient l’immoralité et les abus d’autorité de McCarrick et ont agi de façon à empêcher qu’il rende des comptes.

Qaund le pape François a refusé de répondre aux réponses des journalistes sur les accusations de Vigano dans un vol de retour d’Irlande, il a frustré ceux qui voulaient savoir comment McCarrick avait pu amasser tant de pouvoir et de prestige alors que son comportement avait été rapporté au Saint-Siège à plusieurs reprises. François a dit aux journalistes de faire leur boulot et d’examiner les accusations de Vigano. Mais quand les journalistes ont commencé à appeler les cardinaux et les évêques nommés dans le mémorandum de Vigano, aucun n’a voulu répondre. Une chape de silence semble recouvrir le Vatican.

Les évêques américains ont demandé une enquête sur l’ascension de McCarrick. Le Saint-Siège a seulement répondu qu’un examen des documents est conduit dans les divers services de la Curie. C’est une première étape, mais cela ne constitue pas une investigation minutieuse. Demandera-t-on des dépositions de ceux qui savaient ? Promettra-t-on de rendre publiques les preuves et les conclusions de l’enquête ? Invitera-t-on les victimes de McCarrick à rencontrer le Saint-Père et à lui dire directement ce qui est arrivé, comme cela a été le cas au Chili ?

Les évêques des USA, lors de leur rencontre annuelle de novembre, ont commencé des démarches concrètes pour mettre fin à une culture hiérarchique dans laquelle des prêtres et même des évêques tels que McCarrick ont été protégés de la révélation de crimes et autorisés à rester en place, grâce à des indemnités versées et à des accords secrets. Les consignes de dernière minute du Saint-Siège de n’entamer aucune action avant la rencontre de février au Vatican ont été accueillies avec une incrédulité stupéfaite. Est-ce la bonne façon de traiter une crise aiguë de confiance envers l’Eglise et ses chefs concernant des crimes et méfaits affreux ?

La foi et l’amour des catholiques pour le Christ et Son Eglise ont été sévèrement mis à l’épreuve cette année. La présomption commune chez les catholiques que les évêques dans leur ensemble partagent la même horreur de l’immoralité sexuelle, et en particulier homosexuelle, au sein du clergé s’est révélée être une illusion. Prenons acte.

L’amour pour l’Eglise a poussé les laïcs à réclamer une réforme de la hiérarchie. La recherche des responsabilités dans les défaillances à extirper l’immoralité sexuelle est la première nécessité, comme démonstration claire que la répétition d’un profil de carrière d’un Theodore McCarrick sera impossible à l’avenir.

Les évêques ne regagneront le respect des catholiques ordinaires que si ils sont vraiment à la hauteur de ce que nous croyons tous être la véritable mission de l’Eglise, le salut des âmes. Si les nuages noirs de 2018 ont un bon côté, c’est qu’il y a maintenant une chance que les prêtres et évêques immoraux ou complices ne seront plus tolérés, protégés ou promus, mais plutôt appelés à la repentance et qu’on leur demandera des comptes.
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Le père Gerald E. Murray est spécialiste du droit canon et pasteur de l’Eglise de la Sainte Famille à New-York.

Illustration : « Dante et Virgile parlent avec le pape Nicolas III dans le Huitième Cercle de l’Enfer » par Gustave Doré, 1861 [Cette gravure fait partie des celles que Doré a réalisé pour illustrer « La Divine Comédie ». Nicolas III a été pape de 1270 à 1280. Il a été accusé de simonie, c’est-à-dire de vendre les offices ecclésiastiques.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/17/a-troubling-year-in-review/