Retour sur 1984 : l'archevêque O'Connor contre le gouverneur Cuomo. - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Retour sur 1984 : l’archevêque O’Connor contre le gouverneur Cuomo.

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Peu après être devenu archevêque de New York en mars 1984, John J. O’Connor s’est trouvé en conflit avec le gouverneur de l’Etat, Mario M. Cuomo. La bataille a fait les gros titres nationaux et a eu aussi un impact considérable en Amérique dans le débat sur l’avortement.

Cela a commencé quand l’archevêque a dit lors d’une conférence de presse : « je ne vois pas comment un catholique, en toute conscience, peut voter pour un individu soutenant l’avortement. » Cela ne pouvait convenir à Cuomo.

Le gouverneur, qui au début des années 70, avait été publiquement pro-vie, a changé de position après avoir perdu une primaire pour être vice-gouverneur en 1973 et l’élection au poste de maire en 1977. Pour progresser dans sa carrière, Cuomo a adopté la ligne maintenant familière comme quoi, en qualité de catholique, il était personnellement opposé à l’avortement, mais qu’en qualité d’élu, il serait mal de sa part d’imposer à tous ses croyances religieuses. Il a contre-attaqué le commentaire de O’Connor, déclarant au New York Times :

L’Eglise n’a jamais été aussi agressivement impliquée [dans la politique]. Maintenant vous avez l’archevêque de New York qui dit qu’aucun catholique ne peut voter pour Ed Koch [le maire de New York], qu’aucun catholique ne peut voter pour Jay Goldin, Carol Bellamy, pour le sénateur Pat Moynihan ou pour Mario Cuomo – pour aucun de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui concernant l’avortement… L’archevêque dit : vous, Mario, êtes un catholique d’accord avec moi que l’avortement est un mal… L’archevêque dit : bien, maintenant je veux que vous exigiez que chacun croit ce que nous croyons. »

Cuomo ne s’est pas arrêté là ; dans Newsday, il a décrit ce qu’il croit être les implications potentielles de la remarque de O’Connor :

Bon, alors je suis un gouverneur catholique. Je vais faire de vous tous des catholiques – pas de contrôle des naissances, présence à la messe chaque dimanche, avortement prohibé… Et qu’arrive-t-il quand un athée gagne ? Alors que dois-je faire ? Ils vont me tirailler de tous côtés.

Au début, O’Connor a semblé reculer. Il a dit au Brooklyn Tablet n’avoir jamais déclaré « qu’un catholique ne puisse nulle part et jamais voter pour Ed Koch… Mon unique responsabilité est d’exposer… la doctrine officielle de l’Eglise catholique. Je laisse ceux qui sont intéressés par cet enseignement [juger de la façon dont] les déclarations publiques des titulaires de charges et des candidats correspondent. »

Dans un périodique de New York, il s’est expliqué davantage :

Je crois qu’il y a trouble profond dans la conscience nationale à propos de cette question. Les gens savent que c’est mal. Ils savent que nous sommes en train de tuer. La question n’est pas de débattre à quel moment un foetus devient un bébé – les gens savent que des milliers de bébés humains bien vivants sont tués chaque jour… et ils ne savent pas quoi faire. Ils sont désorientés, bouleversés. Pour moi, cette angoisse est la seule explication raisonnable au fait que quand je fais une déclaration, une simple réponse à une simple question – je ne vois pas comment un catholique peut voter en toute conscience pour un politicien soutenant l’avortement – cela devienne un nouvelle énorme.

Donc O’Connor ne reculait pas du tout, et pour lui le débat était loin d’être clos.

Après que la convention nationale démocrate ait nommé la première femme vice-candidate à la présidentielle, la députée Geraldine Ferraro, de Queens – une catholique s’auto-proclamant pro-choix – O’Connor l’a publiquement critiqué pour avoir dit « des choses relatives à l’enseignement de l’Eglise concernant l’avortement qui n’étaient pas vraies » :

La seule chose que je sais d’elle, c’est qu’elle a laissé entendre au monde que la doctrine catholique est divisée au sujet de l’avortement… Comme enseignant officiellement approuvé de l’Eglise Catholique, tout ce que je puis affirmer, c’est que ce qui a été dit de la doctrine catholique est faux… je n’ai absolument rien contre Geraldine Ferraro ; je ne vais pas aller dire à quelque citoyen que ce soit de voter pour ou contre elle ou pour ou contre qui que ce soit d’autre… Elle a laissé entendre au monde que la doctrine catholique était divisée sur le sujet de l’avortement [alors qu’il n’y a] ni divergence, ni flexibilité, ni dérive.

Quand la député nia avoir jamais mal interprété l’enseignement de l’Eglise, O’Connor rendit publique la copie d’une lettre que Ferraro avait signée et envoyé deux ans plus tôt à cinquante députés catholiques concernant un groupe appelé « Catholiques pour un libre choix ». Elle y écrivait que « Catholiques pour un libre choix nous montre que la position catholique sur l’avortement n’est pas monolithique et qu’il y a toute une gamme de réponses personnelles et politiques au problème ».

Tout cela a débouché sur une conversation téléphonique de 25 minutes entre Ferraro et O’Connor, durant laquelle l’archevêque a souligné a nouveau « qu’il n’y avait absolument pas de place pour le ‘libre choix’ en matière d’avortement… Le concile Vatican II, le pape Paul VI, le pape Jean-Paul II et les évêques des Etats-Unis l’ont expliqué très clairement ».

Mme Ferraro a qualifié la conversation de « cordiale, franche et utile »,mais elle a ajouté, imitant Cuomo, que :

Quand les évêques parlent, ils font leur devoir comme fonctionnaires de l’Eglise… Quand je parle, je fais mon devoir de fonctionnaire et ma principale mission est de défendre la Constitution des Etats-Unis, qui garantit la liberté de religion. Je ne peux pas remplir ce devoir si je cherche à imposer ma propre religion aux autres citoyens américains. Et je suis déterminée à faire mon devoir de fonctionnaire.

Les libéraux furent consternés par ce qu’il virent comme une ingérence d’O’Connor. Le New York Times pontifia :


On pourrait dire sans ambages… que l’essai d’imposer un test religieux aux prestations des politiciens catholiques menace la compréhension durement gagnée qui a amené l’Amérique à élire un président catholique il y a une génération.

Le sénateur Ted Kennedy a accusé O’Connor « d’appels sectaires flagrants » et soutenu que « tout commandement moral ne peut pas devenir une loi ».

Mario Cuomo a refusé de rester sur la touche. Le 13 septembre 1984, il a pris l’avion pour l’université catholique Notre-Dame, bien connue aux Etats-Unis, afin d’y répondre à O’Connor dans une conférence intitulée « Foi religieuse et moralité publique : l’optique d’un gouverneur catholique. » Cuomo s’est décrit lui-même à ses auditeurs comme « un catholique à l’ancienne mode, qui pèche, regrette, lutte, se tourmente, est confus, et la plupart du temps se sent mieux après une confession. »

« L’Eglise Catholique est ma maison spirituelle » a dit Cuomo. « Jaccepte l’enseignement de l’Eglise sur l’avortement ». Mais il a demandé ensuite : « dois-je exiger que vous fassiez de même ? »

Alors notre moralité publique – les normes morales que nous maintenons pour tous, pas juste celles sur lesquelles nous insistons dans notre vie privée – dépend d’une opinion consensuelle sur ce qui est bien ou mal. Les valeurs qui dérivent de la foi religieuse ne seront pas et ne devraient pas être acceptées comme part de la moralité publique tant qu’un consensus ne s’est pas fait au sein de la communauté.

Il a évoqué l’argument « sans couture » du cardinal Joseph Bernardin, disant que « l’avortement a une importance incomparable mais pas prioritaire… et sera toujours une préoccupation centrale des catholiques. Tout comme les armes nucléaires, la faim, le manque de logement ou de travail, toutes les forces qui pèsent sur la vie humaine et menacent de la détruire. »

Et soutenant qu’un consensus pour interdire l’avortement n’existe tout simplement pas, Cuomo a conclu :

Je crois qu’une interdiction légale de toute forme d’avortement, que ce soit par le gouvernement fédéral ou par les états pris individuellement, n’est pas une éventualité plausible, et, même si elle pouvait être obtenue, ça ne marcherait pas. En raison des positions actuelles, ce serait la Prohibition remise à jour, une loi qui ne pourrait être appliquée et un processus créant un manque de respect pour la loi en général.

Comme historien, Richard Brookhiser a écrit : « Cuomo a trouvé, dans le consensus et la prudence, le moyen d’avoir de la religion quand il le voulait, et de ne pas en avoir quand il voulait n’en pas avoir ». L’argument du consensus était de trop même pour le très libéral évêque d’Albany, Howard Hubbard :

Quoique je soutienne de tout coeur la position du gouverneur sur la peine capitale, il n’y a pas de consensus en la matière ni au niveau de l’état ni au niveau fédéral. C’est plutôt le contraire. Les sondages montrent que 60 à 70% de la population est en faveur de la peine de mort.

Les sondages montrent aussi que la grande majorité des citoyens de New York sont opposés à la récente législation sur l’obligation de boucler la ceinture de sécurité. Pourtant, contrairement au consensus des citoyens, le gouverneur soutient cette loi parce qu’elle permettra de sauver plusieurs centaines de vies chaque année. Pourquoi pas une préoccupation similaire envers les milliers de vies humaines interrompues par l’avortement à la demande ?

Et monseigneur William B. Smith, doyen du séminaire Saint Joseph, a convenu :

Le style du gouverneur était onctueux et lisse, mais le contenu était spécieux et trompeur. Il est manifestement un homme compétent, mais quelques points étaient affreux, l’un étant sa complète ignorance de la question des droits de l’homme. Les droits de l’homme ne font pas consensus. Respecter les droits humains des noirs, des juifs – de n’importe quelle minorité – ne fait pas consensus. C’est pourquoi nous les appelons des droits inaliénables. Il invoque la rhétorique employée par le Planning Familial depuis une quinzaine d’années, comme quoi nous chercherions à imposer notre morale aux autres. La Cour Suprême n’a pas instauré un consensus : elle en a détruit un. Les lois dans les 50 états n’étaient pas là parce que l’Eglise Catholique les y avait mises.

Un mois plus tard, l’archevêque O’Connor a tenu un discours devant un groupe catholique médical – avec Mère Térésa assise sur l’estrade – dans laquelle il a contesté la thèse de Cuomo : « La Constitution dit que vous devez respecter la loi. Elle ne dit pas que vous devez être d’accord avec ou que vous ne pouvez pas travailler à la changer. »

Il y a ceux qui soutiennent que nous ne pouvons pas légiférer sur la moralité. La réalité, c’est que nous légiférons tous les jours sur les comportements… Il est patent que la loi n’est pas la réponse absolue à l’avortement. Elle ne l’est pas non plus pour le vol, l’incendie volontaire, la maltraitance sur enfants ou le meurtre de fonctionnaires de police. Tout le monde le sait. Mais qui voudrait proposer que nous abrogions les lois contre ces crimes parce que la loi est si souvent bafouée.

Il a terminé en réaffirmant sa position publique originelle.

J’ai la responsabilité de détailler… avec clarté et précision ce que l’Eglise enseigne officiellement… j’ai en même temps l’obligation d’essayer de dissiper la confusion sur cet enseignement partout où elle existe, d’où qu’elle vienne, quel que soit celui qui en serait à l’origine… Je reconnais le dilemme auquel sont confrontés des catholiques dans la vie politique. Je ne peux pas résoudre ce dilemme pour eux. A ce que je vois, leur désaccord, s’il y a désaccord, n’est pas simplement avec moi mais avec l’enseignement de l’Eglise Catholique.

Pour beaucoup de catholiques, John O’Connor est devenu un héros national. Après des années d’évêques restant sur la touche, il y en avait enfin un pour se lever et contester que des politiciens catholiques puissent séparer leurs convictions personnelles de leur position publique sur l’avortement tout en restant catholiques.

« Je pense » a dit Patrick Ahern, évêque auxiliaire de New York, « que John O’Connor a fait monter le enchères sur l’avortement à lui tout seul. Il a ouvert le bal, et les autres évêques ont été obligés de suivre. Je pense également que c’est un acte de grand courage parce qu’ils vont l’étriller avant qu’il n’en ait fini. »

Pour l’étriller, ils l’ont étrillé. Le consensus médiatique était qu’il roulait pour la réélection de Ronald Reagan. O’Connor resta imperturbable. Il dit au journaliste Joe Klein du magazine New York qu’il était « surpris de tout ce tapage » et il mit en exergue qu’il disait seulement ce qu’il avait toujours dit :

En fait, quand j’ai été consacré évêque, à Rome… j’ai juré publiquement qu’à partir de ce jour il y aurait toujours quelque référence à la dignité de la personne humaine, et en particulier à la défense de la plus vulnérable – l’enfant à naître – dans toute allocation publique que je ferai. Je l’ai fait scrupuleusement depuis. Je ne dis rien de neuf. Alors pourquoi ce tapage ?

O’Connor a dit à Klein qu’il était préoccupé par d’autres problèmes sociaux. Par exemple, durant la grève des hôpitaux en septembre 1984, il a dit quelque chose qui n’a pas été beaucoup relayé par les medias, voire pas du tout : « les hôpitaux catholiques ne peuvent en aucune manière embaucher pour remplacer les grévistes ni les menacer ».

Cependant, il rejetait l’approche dite « du vêtement sans couture ». »Je ne vois pas un raisonnement dans le fait de dire qu’un politicien est pour de meilleurs logements, un chômage plus bas, une politique étrangère plus rationnelle – qu’il a seulement tort en soutenant l’avortement, et donc qu’on peut voter pour lui. Vous devez revenir à la question de base : qu’est-ce qu’un avortement ? Croyez-vous que c’est la suppression d’une vie innocente ou non ? Si vous le croyez, transposez-le : comment parler d’une politique étrangère rationnelle ou des horreurs de la guerre nucléaire si nous soutenons qu’on peut prendre une vie humaine innocente ? »

Ce heurt entre O’Connor et Cuomo ne fut que le premier round d’une bagarre prolongée – qui a duré des années. Pourtant, en 2000, quand O’Connor était mourant, son vieil adversaire (et désormais ex-gouverneur) a avoué dans une chronique pour le New York Times que l’archevêque était « un prince de l’Eglise extraordinaire qui avait toujours été un prêtre d’abord ».

Un autre comme lui ne serait pas de refus pour les Américains aujourd’hui.


George J. Marlin est président du conseil de l’Aide à l’Eglise en Détresse aux USA et un rédacteur de The Quotable Fulton Sheen.

Source : http://thecatholicthing.org/columns/2014/1984-revisited-archbishop-oconnor-vs-governor-cuomo.html