Libération d’hier consacrait cinq pages (en comptant la Une) à Michel Houellebecq poète. Je les ai lues, évidemment, parce que l’auteur des Particules élémentaires m’intéresse depuis qu’il s’est fait connaître par ses livres désolés, désolants, mais tellement véridiques. Le romancier, témoin de son temps ? La formule vaut absolument pour l’intéressé, qui nous tend un miroir impitoyable. Que Libé lui porte toute son attention, c’est dans la logique d’un journal qui a toujours voulu décrire notre société telle qu’elle est. Il y aurait d’ailleurs une analyse intéressante à faire du seul numéro d’hier, qui est tellement houellebecquien dans son cynisme absolu, l’étalage cru de nos misères, cette complaisance dans le nihilisme qui conduit d’ailleurs à des propositions très conséquentes. Exemple : pourquoi militer en faveur du « mariage pour tous », alors qu’il est patent que partout le mariage explose ?
Je cite au passage notre confrère Luc Le Vaillant : « Il serait temps de faire voler en éclat cette vieillerie religieuse codifiée par Napoléon, qui ne correspond plus à l’état des affections, des fornications et des procréations. À quoi sert-il de solenniser un serment d’exclusivité qui sera trahi par 50 % des contractants ? » Tiens donc ! Pardon, mais c’est à se demander au bout de sa lecture, quelles raisons il y a, dans un tel univers moral, à ne pas se flinguer. C’est du pur Houellebecq, pour revenir à lui. Et pourtant, il faut savoir le lire entre les lignes, ce curieux bonhomme lunaire. Il réserve de drôles de surprises. Il y a chez lui une vraie culture chrétienne, catholique même, qui s’avoue parfois ouvertement. Il y a aussi chez lui une vraie révolte contre les inventions dites sociétales. Ainsi dans son dernier roman, il cible « le suicide assisté », organisé dans un pays voisin et dont le père du héros est le cobaye dans l’ambiance clean d’un bord de lac, où iront sombrer les cendres des morts dans l’indignité. Je connais un texte unique et très singulier où le même Houellebecq s’avoue profondément bernanosien. Mais il ne semble pas que le recueil poétique qu’il publie soit dans ce registre. Au moins évoque-t-il une respiration de l’âme dans une tradition qui est celle de la seconde partie de notre XIXe siècle. Ce n’est pas si mal, même si c’est très insuffisant pour nous inspirer des raisons de vivre.