Dans les premiers temps du christianisme, les philosophes néoplatoniciens accusaient les disciples de Jésus-Christ d’être ce que leur maître, Platon, appelait dans le Phédon des « amoureux du corps », des « philosomatoi ». De fait, l’anthropologie biblique ne conçoit pas l’être humain comme une âme tombée dans un corps, mais bien comme une unité de chair et d’esprit. Le corps n’est ni un simple véhicule, ni un instrument de plaisir, ni une défroque méprisable, il est « le temple du Saint Esprit » (1 Co 6, 19), la visibilité de notre âme, la forme indépassable et bénie de notre finitude.
Assurément, la philosophie chrétienne maintient qu’au moment de la mort, l’âme subsiste séparée du corps, mais elle insiste sur le fait que cet état est profondément violent et contre-nature. La mort n’est pas une libération, comme le disait Socrate, mais un arrachement, une épreuve, un amoindrissement. S’il est vrai que l’esprit humain transcende la matérialité par sa puissance intellectuelle, il n’en demeure pas moins qu’il est constitutivement fait pour animer un corps.
« L’âme humaine garde une aptitude et une inclination naturelle à se réunir à son corps », écrit saint Thomas d’Aquin (Somme théologique I, 76, 1 ad 6m). Car telle est bien la conception judéo-chrétienne de la vie éternelle, annoncée par l’Ancien Testament et révélée par le Messie (Ézéchiel 37 ; Jean 11, 25). Ce n’est pas la survie d’un ectoplasme – celui dont parlait l’empereur Hadrien sur son lit de mort – « Animula vagula blandula, hospes comesque corporis : “petite âme vagabonde et câline, hôte et compagne de mon corps” » – mais la plénitude parfaite de la vie corporelle, ce qu’il ne faut pas hésiter à nommer sa glorification.
Les lois d’un monde spirituel
Mais en quoi consiste, précisément, cette glorification ? Pour élaborer une réponse – forcément assez spéculative compte tenu du caractère inimaginable de la vie éternelle – les théologiens ont d’abord essayé de tirer quelques enseignements de ce que les Évangiles rapportent du corps du Christ après la Résurrection : il est réel, on peut le toucher, ce n’est pas un spectre (Lc 24, 39). Mais il semble apparaître et se déplacer à volonté, se jouer des murs et ne plus souffrir d’aucune façon. S’il se manifeste bel et bien dans notre espace-temps, ce qui permet d’affirmer que la Résurrection est un événement historique, il paraît toutefois obéir aux lois d’un monde spirituel qui dépasse infiniment le nôtre. Saint Paul en tire la généralisation suivante : « Le corps est semé corruptible , il ressuscite incorruptible ; il est semé méprisable, il ressuscite glorieux ; il est semé infirme, il ressuscite plein de force ; il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel » (1 Co 15, 42, sq). D’où saint Augustin et saint Thomas déduisent la liste des propriétés surnaturelles des corps glorieux : impassibilité, subtilité, agilité et clarté – c’est-à-dire beauté resplendissante.