J’ai lu avec beaucoup d’attention le copieux échange qui concerne mon humble personne sur le Forum Catholique. Je n’ai pas l’habitude de m’imposer dans une discussion où on ne m’a pas invité. Au demeurant je ne reproche à quiconque d’avoir des opinions à mon égard, pas toujours flatteuses. Cependant, je me permets une mise au point qui pourra être utile à ceux qui ne me connaissent pas ou me connaissent mal, pour qu’ils aient d’autres informations que celles que le forum a diffusées.
Tout d’abord, il est bien délicat de répondre à une attaque ad hominem qui me désigne comme une sorte de renégat, qui aurait trahi ses idéaux de jeunesse, afin de se fabriquer une vie confortable, en épousant les idées du courant dominant. C’est bien cela que signifie votre anglicisme « mainstream » ? Comment se relever d’une telle indignité morale ? Sûrement pas en protestant de sa bonne foi ! Et pourtant, j’affirme que le combat que je mène depuis très longtemps (comme journaliste, depuis plus de quarante ans) n’a jamais été commandé par le moindre intérêt. Mon honneur est d’avoir toujours défendu des convictions. Je n’ai jamais rien caché de mon itinéraire personnel et s’il est vrai que dans le cours de mon existence j’ai pu me détacher de certaines personnes, prendre de la distance avec certains courants de pensée, c’est tout simplement que j’étais en désaccord pour des questions de fond.
Mon principal contradicteur me reproche ainsi de faire silence sur un prêtre que j’ai bien connu dans les années 60. Je fais d’autant moins silence sur cette personne qu’au moment de sa mort, l’an dernier, j’ai publié des textes qui m’ont valu un certain nombre de réponses qui ont d’ailleurs été publiées. Si longtemps après, je ne conteste pas les qualités éminentes de ce prêtre, mais je déplore un immense gâchis sur lequel je ne veux pas m’étendre aujourd’hui. Si je m’en suis séparé après quelques années de proximité, qui n’étaient pas indemnes de réserves, c’est parce que je n’étais plus du tout en accord avec lui. C’est le pontificat de Jean-Paul II qui me persuadera des erreurs de jugement monumentales de l’intéressé dont le combat contre certaines aberrations post-conciliaires m’avait paru pertinent.
Me permettra-t-on de faire part d’une curieuse impression à propos de l’attachement que l’on voue à un personnage comme G de N, et qui ressemble tellement aux liens entretenus avec une sorte de gourou. Je sais que ces mots seront insupportables à ses proches, mais c’est quand même un sérieux problème. Je ne suis pas le fidèle d’un homme, je suis le fidèle de l’Église catholique. Et ce n’est qu’à l’intérieur de cette Église que je puis respirer au grand air de la Foi et de la Tradition apostolique. On peut toujours critiquer les défauts de l’institution et de son personnel, comme disait Maritain. Mais il y a quelque danger à s’ériger comme un juge face aux successeurs de Pierre et à ceux des apôtres. On alléguera le précédent d’un Athanase dressé contre l’arianisme qui avait envahi toute l’Église mais j’en demande bien pardon à mes interlocuteurs. Jean-Paul II n’est en rien l’hérésiarque qui pourrait justifier la comparaison. J’avoue avoir été particulièrement choqué par les attaques émanant de la fraternité Saint Pie X au moment de la béatification d’un pape dont on faisait une insupportable caricature.
Il me faut aussi m’expliquer en quelques mots sur mes attachements théologiques. Oui, il est vrai que j’ai lu avec bonheur Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Louis Bouyer, Jean Danielou et bien d’autres. On pourrait aussi insister sur mon attachement à la pensée du bienheureux John Henry Newman que je lis depuis fort longtemps et qui m’a donné le vrai sens de la Tradition. Je m’étonne qu’on puisse considérer que ma gratitude à l’égard de ces maîtres pourrait s’apparenter à un alignement sur les modes de l’époque. Ce qui m’a retenu dans leurs œuvres se rapporte à leur science théologique, à leur pénétration spirituelle et à leur fidélité au dogme. J’admets qu’il peut y avoir d’autres écoles, notamment celles qui se réclament du néothomisme du cardinal Billot. Il y a, de ce point de vue aussi, plusieurs maisons dans la maison du Père.
Sur un point particulier je suis en droit d’être surpris. Lorsqu’on me rappelle le livre de mon ami Jean-Pierre Dickès, intitulé La blessure, pour mieux me reprocher d’avoir oublié « mon passé tradi »… on oublie tout simplement que c’est moi qui ai préfacé ce livre ! Et cette préface est tout à fait explicite : J’affirme que ce livre est un document pour l’histoire, qui reflète, hélas, le mouvement de décomposition qui s’est emparé de larges secteurs de l’Église. Je précise aussi que j’ai choisi une autre voie que Jean-Pierre, qui s’est complètement identifié au combat de Mgr Lefebvre. Je n’ai donc rien oublié, et il n’y a aucune contradiction entre mon analyse d’une réelle dérive post-conciliaire et mon attachement à Vatican II. Je dois ajouter qu’ayant côtoyé durant une dizaine d’année le cardinal de Lubac, je puis rendre témoignage que celui-ci était d’une grande sévérité à l’égard de ce qu’il considérait comme une trahison de l’Église. Je constate que le courant tradi (pour faire bref) ignore le plus souvent tout du jugement d’un des principaux inspirateurs du dernier concile, et notamment sa dénonciation du mythe d’une nouvelle Église qui se substituerait à l’Église bi-millénaire. (cf. les deux volumes de sa « postérité spirituelle de Joachim de Flore »).
Il me faut terminer en répondant directement à une question judicieuse qui m’a été posée. Je laisse de côté provisoirement l’aimable apologue du hérisson et du renard, qui me classe du côté du second, comme-ci j’étais un tenant d’une sorte de stratégie jésuitique, au plus mauvais sens du terme. On me demande si je combats des adversaires et qui ils sont. Je pourrais protester en remarquant qu’il faut ne pas m’avoir lu depuis quarante ans pour laisser ainsi sous-entendre que je serais trop prudent pour m’en prendre à l’adversaire. Je n’ai jamais cessé de me battre. Mais mes ennemis sont d’abord les ennemis de ma foi et de mon Église. À ceux qui veulent se renseigner de façon plus précise, je recommanderai mon livre intitulé « Pourquoi veut-on tuer l’Église ? » paru en 1996. Je m’en prenais alors à un pseudo théologien qui voulait nous ramener à l’univers païen des mythes pour mieux récuser la Révélation biblique et évangélique. Je contredisais un essayiste qui défigurait le visage et l’enseignement de Jésus. J’analysais la trajectoire d’un évêque qui finissait par rendre vaine sa triple charge de docteur, de pasteur et de sanctificateur. Je terminais par une réponse circonstanciée à tous les détracteurs de la grande encyclique de Jean-Paul II sur la morale, Veritatis Splendor. Si on veut donc m’attaquer sur mon terrain, c’est là où il faut venir me chercher ! De même, lorsque je démonte la logique perverse du « bricolage religieux » et lorsque je réfléchis longuement à la désintégration de l’amour humain.
Voilà ce que j’avais à dire. Ce plaidoyer pro domo ne saurait suggérer que je me considère comme impeccable et infaillible. Sûrement pas ! Mais si l’on veut vraiment discuter mon travail, autant se référer à la réalité, celle qui s’est inscrite dans quelques livres et dans quelques milliers d’articles…
Avec mes meilleurs sentiments
Gérard Leclerc
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