Pour les spécialistes de la question, cette rentrée littéraire s’annonce de qualité. Cependant, en feuilletant le catalogue des nouvelles parutions, je m’aperçois que pas moins de 7 livres dont on parle, ont pris comme sujet des personnages réels ; je n’en citerai que deux : « Pas pleurer » de Lydie Salvayre et « Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive » de Christophe Donner.
Une amoureuse de Bernanos ne peut qu’être alléchée par la présentation du premier: « 1936, la Guerre civile espagnole…deux voix entrelacées, celles de Georges Bernanos… de son pamphlet, les Grands Cimetières sous la Lune et celle de Montse, la mère de la narratrice, « mauvaise pauvre », qui 75 ans après les événements, a tout gommé de sa mémoire, hormis les jours radieux de l’insurrection libertaire… ». Que la romancière veuille donner la parole à sa mère, témoin d’un épisode encore trop mal connu de cette guerre civile, et qu’elle dévoile l’histoire de ses parents inextricablement liée à la grande histoire de son pays d’origine, soit ! Qu’elle y mêle, par quelques touches Bernanos et des extraits des Grands Cimetières, quoique beaucoup moins que ne l’affiche la jaquette du livre, passe encore ! Mais que son œuvre soit intitulée roman, non !
Qu’est-ce, en effet, qu’un roman ? Une fiction où les personnages, même s’ils s’inspirent presque toujours de personnes réelles, sont inventés par l’auteur, à qui ils finissent parfois par échapper. Bernanos, qui était à l’origine journaliste puis assureur, fut un grand romancier, car en traitant de sujets très catholiques, il réussit avec ses personnages à rejoindre un public laïc ; de plus, pour ceux qui s’imagineraient pouvoir le récupérer dans le camp républicain, Les Grands Cimetières où il fait œuvre de journaliste et de philosophe, ne se limite pas à la guerre d’Espagne, et n’en font pas un homme de gauche pour autant ; c’est au contraire le cri d’un intellectuel de droite, monarchiste et catholique qui assiste à la perte de cette Europe qui se livre au mal et à la guerre, avec la bénédiction des biens pensants.
Ainsi, si Pas pleurer est de bonne qualité dans l’écriture, son intérêt premier est de raconter la guerre civile dans la guerre civile, c’est-à-dire comment les communistes ont éliminé froidement les anarchistes, avec la complicité silencieuse des intellectuels ralliés au PC. Le second est d’amener à lire ou relire les Grands Cimetières pour plonger dans la pensée d’un homme libre, d’un chrétien engagé, et voir ce qu’il peut nous enseigner sur notre histoire présente.
Christophe Donner, lui prend comme sujet l’histoire du cinéma français, autour de mai 68 et de sa folle ambition de vouloir révolutionner le monde. Son personnage principal est un jeune producteur d’origine libanaise, Jean-Pierre Rassam. Et là aussi, son livre s’intitule roman : or tous les personnages, non seulement, ont existé, mais l’auteur ne prend même pas la précaution de leur donner un autre nom. Seules leurs pensées et les dialogues sont nés de l’imagination de Donner. Et encore, car on apprend par les remerciements, qu’il s’est servi d’une grosse biographie consacrée à Rassam. Dommage encore, le sujet était intéressant mais parce qu’il n’écrit pas un vrai roman, l’auteur ne plonge pas réellement dans la pâte humaine, seul matériau pour écrire de grandes histoires.
Pour se consoler, deux livres, déjà un peu anciens, qui ont enchanté mon mois d’août : Les jours sombres de Fey Von Hassel, récit écrit à la première personne d’une jeune aristocrate allemande, fille de l’ancien ambassadeur à Rome, qui participa au complot du 20 juillet 1944 contre Hitler. Un livre passionnant qui montre, au fil des pages, que les chrétiens s’opposèrent à Hitler dès son accession au pouvoir, jusqu’à y sacrifier leur vie.
Puis enfin un très beau roman, paru au printemps, Les douze tribus d’Hattie : un magnifique portrait d’une femme noire américaine et d’une mère, qui a fui sa Georgie natale toute jeune pour le Nord et Philadelphie, relatée par les voix de ses 11 enfants. Comme quoi mieux vaut une bonne fiction qu’un faux roman, car c’est avec la première qu’on peut le plus approcher le vrai.
Lydie Salvayre, Pas Pleurer, Seuil ;
Christophe Donner, Quiconque exerce ce métier stupide…, Grasset ;
Fey Von Hassel, Les Jours Sombres, Texto ;
Ayana Mathis, Les douze tribus, d’Hattie Gallmeister.