C’est Robert Masson qui avait invité René Pucheu à collaborer régulièrement à France Catholique. Il se retrouvait ainsi au sein d’une équipe prestigieuse où il était aux côtés de son ami Jean-Marie Domenach, d’Aimé Michel, du Père Bernard Bro et du poète Pierre Emmanuel. Pourtant, il n’était pas journaliste de profession. Et s’il avait toujours été attiré par la vie intellectuelle, ce n’est qu’à l’instigation de Domenach qu’il s’était mis à écrire.
Comment caractériser la manière, le style Pucheu? Comme l’homme lui-même qui était toujours vif, ardent, passionné, mais aussi inattendu. De là, par exemple, le style de ses revues de presse où l’on ne s’ennuyait jamais. La vie des idées n’avait d’intérêt pour lui que reliée intimement à la vie tout court. Il avait une perception très étonnante des médias contemporains, surtout de la presse écrite avec les magazines populaires. Il était d’ailleurs devenu un véritable spécialiste de la question. Nous l’avons entendu à maintes reprises parler du spectacle des médias. Il commençait son exposé par la présentation d’un kiosque dont il énumérait tous les titres de Une. C’en était fascinant ! (un mot qu’il affectionnait particulièrement…) René Pucheu considérait les choses avec les yeux de Monsieur Tout-le-monde, mais doué d’une acuité supérieure. Il réussissait à faire comprendre aux plus blasés qu’il existait un imaginaire propre à cet univers des journaux. Imaginaire avec lequel les simples gens étaient en communication directe. Les histoires de la famille de Monaco entraient dans la familiarité quotidienne à tel point qu’on prenait partie. « Si seulement la mort de la princesse Grace pouvait donner un peu de sérieux à Caroline! »
Cette vision familière des choses conféraient à l’analyse un relief étonnant. On peut dire que René Pucheu se saisissait toujours des problèmes contemporains sous ce biais direct, répudiant l’intellectualisme. Mais cela ne l’empêchait pas d’être extrêmement sérieux. Ce n’était pas un optimiste né. Il se réclamait d’ailleurs de Pascal dont la tonalité tragique lui correspondait plutôt. Pendant longtemps il rédigea des chronique sous le pseudonyme de René Pascal chez notre confrère La Croix. L’écriture était donc pour lui une nécessité. Redisons le : René Pucheu avait un tout autre métier. Il a fait toute sa carrière professionnelle à la direction de Gaz de France ! Sur ce sujet, nous serons d’autant plus discret que l’intéressé ne nous a jamais vraiment parlé de ses occupations professionnelles.
Une certitude s’impose : c’est parce qu’il avait de fortes convictions que René Pucheu a pu avoir ainsi une seconde vie. L’homme était un militant que l’on pourrait qualifier de catholique de gauche, expression qu’il nous faudra pourtant nuancer. Il fut un des animateurs de Vie Nouvelle, un mouvement d’inspiration chrétienne et personnaliste où évolua un certain Jacques Delors, avant qu’il n’accède aux responsabilités ministérielles et à la direction de la commission de Bruxelles. Pucheu aimait rappeler ce fait qui ne manque pas de troubler si l’on sait ses réticences à l’égard d’une certaine conception démocrate-chrétienne de la construction européenne. Mais c’est sans doute sa générosité et son sens social qui l’avait amené à cette forme d’engagement, dont un Emmanuel Mounier s’était fait le promoteur.
Précisément, ce nom de Mounier revêt une importance considérable et il explique aussi la rencontre décisive entre notre ami et Jean-Marie Domenach. Domenach avait été le second successeur de Mounier à la tête de la revue Esprit, à laquelle il collaborait depuis la guerre. Déjà rédacteur en chef sous la direction d’Albert Béguin, il avait pris naturellement la succession de ce dernier et avait ainsi assumé une responsabilité intellectuelle considérable, alors que la France allait vivre des évènements importants: la décolonisation, le retour du général de Gaule, mai 68, la lutte des dissidents contre le totalitarisme à l’est. Pucheu entra à la rédaction de la revue à la demande de son directeur et en devint un des collaborateurs habituels. C’est là qu’il connut notre autre ami Jean Bastaire, spécialiste de Péguy, qu’il devait retrouver à France Catholique. Mais parmi les événements dont eut à rendre compte la revue, il faut signaler également le Concile Vatican II. Bien sûr, l’aggiornamentto voulu par Jean XXIII comblait les voeux de ce milieu catholique de gauche, mais l’après-Concile provoqua bien des controverses. René Pucheu s’en fit l’interprète, notamment dans un article qui devait avoir un grand retentissement et intitulé « confession d’un paumé ».
Le fait de répondre à l’invitation de Robert Masson pour participer à une nouvelle étape de France Catholique n’était pas anodin. Notre hebdomadaire n’avait pas été fondé par des catholiques de gauche. Jean de Fabrègues n’avait jamais été compagnon de Mounier. Mais la liberté d’expression que Robert Masson assurait, agréait à ces écrivains venus d’ailleurs. Jean-Marie Domenach considérait avec une certaine distance son propre passé militant et René Pucheu, qui n’aimait pas les conformismes, n’était sans doute pas fâché de cette autre configuration intellectuelle, un peu inattendue, mais qui présentait bien des avantages.
Sans doute, lui arrivait-il de ne pas être complètement d’accord avec la ligne du journal, et il le faisait alors entendre sans ménagements. Mais il s’intéressait au passé de France Catholique, jusqu’à écrire un essai qui reprenait tout l’historique du journal depuis sa fondation par le général de Castelnau, auquel il trouvait bien des mérites. Nous ne ferons pas ici la synthèse des positions de René Pucheu qui ne s’enferma jamais dans un moule rigide.
Ayant pris, ces dernières années, encore beaucoup plus de distance avec ce qu’il appelait « la mouvance ecclesiastico-militante », cette distanciation s’assortissait d’une implication, voire d’une passion interne qu’il n’en finissait plus d’écrire désormais pour lui seul… Il affirmait à ses amis avoir « rompu avec la tentation de Bossuet de tirer la politique de l’Écriture Sainte », ajoutant volontiers : « La relation de Dieu à l’Histoire me paraît beaucoup plus compliquée que j’ai cru, jadis et naguère ». Et, avec son sens de la provocation ironique qui était un appel à la discussion sérieuse : « Peut-être même n’y en a-t-il aucune ! »
Toutefois, malgré ses originalités et ses dénégations, son propre itinéraire peut paraître significatif du passé proche du catholicisme français. Nous sommes heureux de l’avoir compté parmi nous et nous adressons à son épouse Marie-Magdeleine ainsi qu’à ses trois enfants Geneviève, Agnès et Jean-Marc l’assurance de notre peine et de notre prière.