René de Naurois. Aumônier du jour J - France Catholique
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René de Naurois. Aumônier du jour J

Les 177 hommes du commando Kieffer ont été les seuls Français à débarquer en Normandie le 6 juin 1944. Parmi eux, le Père René de Naurois, leur aumônier, qui exerça son sacerdoce sous des déluges de mitraille et d’obus.
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L’abbé René de Naurois en 1944 (1906-2006).

L’abbé René de Naurois en 1944 (1906-2006).

En cette aurore du 6 juin 1944, dans cette barge qui s’approche de la plage de Colleville, dans le secteur de Sword, le capitaine René de Naurois a peur, et la grande croix qu’il porte autour du coup n’y fait rien.

Malgré les bombardements dantesques qui se sont abattus sur les défenses allemandes, il pressent que l’ennemi s’apprête à opposer une résistance acharnée, comme en témoignent les premières gerbes d’eau soulevées par leurs projectiles à quelques brasses de l’embarcation.

« Un seul couteau en poche »

Aumônier du 1er Bataillon de fusiliers marins commandos (BFMC), rattaché à la 1re Brigade Spéciale britannique de Lord Lovat, l’homme de Dieu sait que « ses » bérets verts auront à cœur de le protéger durant le combat. Il n’empêche. « Les pensées se bousculent dans ma tête. Je m’apprête à affronter l’une des plus puissantes armées du monde, fort d’un seul couteau de poche – et à bout arrondi encore », note-t-il avec humour dans ses Mémoires, qui viennent opportunément d’être rééditées en collection de poche.

L’aumônier perd son pantalon…

L’ordre de débarquer met fin à cette angoisse. Muni de son harnachement, de son autel portatif et d’hosties consacrées, l’abbé de Naurois glisse dans l’eau et prend la direction des dunes d’où fusent des tirs redoutables. Le comique le dispute alors à l’héroïque : ses bretelles ayant lâché, l’aumônier perd son pantalon ce qui rend encore plus difficile sa progression sur cette plage bordée de champs de mines.

Les premiers hommes tombent autour de lui. Pas question pour le moment de s’attarder auprès des blessés que les infirmiers prennent en charge sur la plage : absolutions et sacrements sont distribués en toute hâte, afin de ne pas perdre de vue les hommes du commando qui s’enfoncent dans les rues de Ouistreham en direction du Casino, rendu célèbre au cinéma en 1962 dans Le Jour le plus long.

Plusieurs des hommes de Kieffer sont abattus sur le chemin, dont le médecin-capitaine Robert Lion, tué à quelques mètres de Naurois dont il était devenu un ami cher.

En fin de journée, une tête de pont est établie et elle semble solide. Les Français s’établissent alors dans le secteur d’Amfreville d’où ils vont mener une véritable guerre de tranchées au cours des semaines suivant le D-Day.

Il confesse, écoute, rassure

René de Naurois qui, âgé de 37 ans, fait figure d’ancien aux yeux des jeunes commandos, remplit toutes les tâches inhérentes à sa position d’aumônier. Il confesse, écoute, rassure, et bien sûr enterre les morts sans pouvoir espérer que cette tâche funèbre ne conduise les snipers allemands à suspendre leur activité mortelle. « Il fallait choisir des endroits un peu compliqués, protégés par des bâtiments, par des arbres, des replis de terrain », confiera-t-il à l’historien Stéphane Simonnet, qui vient de publier un passionnant recueil d’entretiens avec des vétérans du commando Kieffer.

La menace permanente exercée par les Allemands n’empêche pas l’aumônier d’aller consoler ceux d’entre eux qui, blessés, sont tombés entre les mains des bérets verts. Le prêtre ne ménage pas ses efforts. « Il était dans son battledress que le sang séché aurait à lui seul pu faire tenir debout tellement il avait soigné de blessures », raconte le caporal Léon Gauthier, interrogé par Stéphane Simonnet.

Sans doute impressionné par ce « padre » – comme on surnomme les aumôniers militaires – Gauthier recevra la première communion de ses mains après les combats féroces du 10 juin.

Malgré la fatigue et un entraînement moindre que celui de ses camarades, l’abbé de Naurois s’efforce de conserver son allant, en contact étroit avec les hommes de Kieffer avec lesquels il ne dédaigne pas partager quelques lampées du calva offert par les habitants de la région.

Mais sans cesse, il ordonne cette profonde empathie à sa mission sacerdotale que jamais il n’oublie. « L’action du prêtre ne se réduit pas à son action visible et tangible (par ex. : égayer ou entraîner les autres) mais comprend essentiellement son action surnaturelle invisible », écrit-il en novembre 1944 à son camarade Guy Hatut, après les effrayants combats menés par le commando en Hollande, au sortir desquels, épuisé, il a dû être hospitalisé.

« Le prêtre n’est pas un surhomme »

« Le prêtre, aux yeux des gens qui n’ont pas compris, devrait toujours être une sorte de surhomme. Or il n’est pas un surhomme. Il n’est pas plus homme que les autres. Et parfois il est humainement moins fort qu’eux. Ce qui le fait prêtre et lui donne des pouvoirs extraordinaires ne vient pas de lui, mais de Dieu », précise-t-il dans le même courrier. Non sans estimer, ailleurs dans la missive, qu’« à cet égard, (il a) bien des déficiences à déplorer ».

L’itinéraire de l’abbé de Naurois durant la Seconde Guerre mondiale ne se cantonne pas à sa participation à l’opération Overlord qui en est sans doute le point d’orgue. En poste à Berlin de 1937 à 1939, il est un témoin privilégié de l’ascension du nazisme dont, tout au long de sa vie, il interrogea la dimension diabolique.

Après la débâcle, il devient l’aumônier de l’École des cadres d’Uriage où ses convictions peu orthodoxes le rendent vite suspect. À Toulouse, avec l’autorisation bienveillante de Mgr Jules Saliège, il entre en résistance active au sein du mouvement Combat et participe activement à une filière de sauvetage des Juifs. Traqué par la Gestapo, il gagne Londres via l’Espagne et s’engage dans la France libre en avril 1943.

Le général de Gaulle, qu’il rencontre alors, lui donne le choix de son affectation : l’escadrille Normandie-Niemen, les parachutistes ou les commandos. Ce seront les commandos, choix qui, in fine, le conduira sur les plages de Sword un peu plus d’un an après.

Figure atypique et indépendante, passionné de philosophie et docteur en ornithologie, René de Naurois était compagnon de la Libération et reconnu comme Juste parmi les nations par le mémorial de Yad Vashem. Décédé le 12 janvier 2006, à l’âge de 99 ans, il repose au cimetière communal de Ranville, à quelques kilomètres de l’endroit où il prit pied à l’aube du 6 juin 1944. 

À lire

René de Naurois, avec Jean Chaunu, Aumônier de la France Libre, Perrin, rééd. 2019, 384 p., 9 €.

Stéphane Simonnet, Nous, les hommes du commando Kieffer, Tallandier, 2019, 320 p., 20,90 €.

Guy Hattu, Un matin à Ouistreham, Tallandier, 2014.

Emmanuel Chaunu, Jean-Baptiste Pattier, D-Day – Histoires mémorables du Débarquement et de la bataille de Normandie, Armand-Collin, 2019,
320 pages, 19,90 €.

Un hors-série de Egmil (diocèse aux armées) est également à paraître.