Rendre un sens aux tombes ? - France Catholique
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Rendre un sens aux tombes ?

François Peltier (né en 1955), peintre, décorateur, graveur, etc., et Augustin Frison-Roche (né en 1987), peintre élève du premier, mais également sculpteur sur pierre… sont deux artistes qui œuvrent notamment dans le sud-ouest de la France où ils ont de fortes attaches, parfois au service de l'Église (chemins de croix, fresques…). Ils mènent ensemble, avec Louise Peltier-Guittard (artiste et fille de François), quelques intellectuels et théologiens, une réflexion sur l'art funéraire… avec de grandes ambitions. En cette fête catholique des défunts (samedi 2 novembre), il est intéressant de les écouter. Même si l'avenir de nos tombes de famille — sauf dans des villages de campagne peut-être — est très loin d'être assuré à moyen terme, comme chacun peut hélas le constater, pour des raisons que l'on connaît, et dont la principale est tout simplement le manque de transmission des valeurs familiales traditionnelles.
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Que nous disent les tombes de nos cimetières modernes ?

Augustin Frison-Roche : La tombe est toujours le reflet d’un rapport spécifique à la mort. Elle témoigne de la manière dont la mort est perçue et de la place qu’elle occupe dans une société. De ce point de vue, nos cimetières sont éloquents : la tombe moderne uniformisée et standardisée, aseptisée, à l’esthétique souvent douteuse, est bien, dans sa forme, le reflet de la conception de la mort qui domine dans notre société à savoir une conception matérialiste.

Le recours au préfabriqué et le peu de soin apporté au caveau sont autant de témoins de cette nouvelle manière de la percevoir. La réduction et la simplification du rite qui touche les funérailles laïques mais aussi les funérailles religieuses (selon le degré d’ingérence des pompes funèbres) a entraîné un appauvrissement des symboles, de leur nombre et de leur compréhension.

Sur la stèle de granit poli, même la croix peine à évoquer la transcendance car elle est devenue une simple option, plaquée sur un standard, quand elle n’est pas effacée ou remplacée par des images plus neutres (cœurs, ballons de foot) ou simplement par des formes abstraites et molles, très représentatives du vague qui entoure cette question. Autre caractéristique éloquente : la multiplication des photos sépia ou des plaques commémoratives. Images de cette lutte, aussi vaine qu’acharnée, contre l’oubli. Car la mémoire est, pour la pensée matérialiste, la seule vie après la mort et la perspective d’oublier ou d’être oublié qui entraîne la disparition totale. Pour les mêmes raisons, le granit rassure, cette pierre extrêmement solide qui semble pouvoir s’affranchir du temps (et de l’entretien).

Sans transcendance et sans espoir, cette tombe ne matérialise que l’absence. Elle montre la fin à laquelle il faut bien se garder de trop penser. Seul domaine qui échappe aujourd’hui à la toute-puissance orgueilleuse de l’homme, la mort est devenue un tabou, le seul de nos sociétés occidentales après l’abolition de tous les autres.

Il va de soi que la forme des tombes actuelles et donc leur sens, leur message, ne répondent pas à une conception chrétienne de la mort. Pourtant, en l’absence d’autres propositions, nombre de chrétiens subissent, malgré eux, ces tombes et l’image de la mort qu’elle leur renvoie. J’ignore si elle va jusqu’à influencer leur conception même de la mort — je ne suis pas loin de le penser…

Nos ancêtres avaient un autre rapport à la sépulture… plus artistique ?

François Peltier : Les premières traces d’art ont en effet été trouvées dans la plus ancienne sépulture (environ – 60 000 ans). « C’est un constat banal que l’art naît funéraire » (Régis Debray, Vie et mort de l’image).
Pour les préhistoriens spiritualistes, l’homme c’est la conscience. Conscience dès notre plus jeune âge de notre mort future et pour conjurer l’absurdité de la vie, l’espérance d’un Au-delà qui implique obligatoirement un traitement du corps du défunt : ensevelissement, crémation ou démembrement rituel. L’art est lié à la vie et à la mort.

L’essence de l’Art est une conscience eschatologique. Il est donc parfaitement logique que l’art s‘épanouisse très longtemps sur l’art funéraire. Car il n’est pas un but en soi, mais un moyen de toucher l’invisible, c’est-à-dire au sens strict un moyen de sur-vie. « Face à la conscience des asticots, l’homme n’a que deux solutions : l’art et la religion », dit encore Régis Debray avec une ironie qui n’enlève rien à la vérité du constat.

Qu’est-ce que leur art funéraire nous dit des anciennes civilisations ?

François Peltier : La différence de foi impose une différence formelle d’art. Parce qu’il est « re-présentation », c’est-à-dire qu’elle est la présence à nouveau de ce qui est mort, le présent de l’absent. Et la tombe est faite pour garder le mort dans le présent, au milieu de ceux qui l’aiment.
La tranquillité des vivants dépend de la quiétude des morts, c’est-à-dire du repos des âmes. Souvenez-vous d’Antigone !

L’homme d’autrefois savait que sa communauté était compo­sée par les morts et les vivants. Aujourd’hui il ne croit qu’à celle des vivants.
Souvent vous lisez dans votre journal : « La découverte d’une tombe intacte fait avancer notre connaissance du mode de vie et de pensée des… » Les tombes sont à la fois art et archéologie qui nous permettent de comprendre les croyances des défunts et de leur communauté.

L’archéologie nous permet-elle de mieux repenser la tombe contemporaine ?

François Peltier : Tout à fait. Il est nécessaire de se pencher sur le passé, de dégager constantes et variables et d’en tirer des conclusions pour notre temps.

Au néolithique, dolmens, allées couvertes et cairns représentent des sépultures communes (on a toujours trouvé plusieurs corps dans la construction). Ce sont les architectures humaines les plus anciennes… et c’est une création d’une architecture funéraire. L’Égypte était centrée sur le culte des morts. À Louxor nous avons à la fois : la vallée des Rois, la vallée des Reines, la vallée des Nobles et le cimetière des Artisans, soit un balayage du spectre social. Si l’iconographie et la magnificence sont différentes, la structure est la même. L’iconographie raconte l’itinéraire du roi égyptien, de sa vie terrestre à sa déification comme Soleil. Si l’on descend l’échelle sociale, les dessins des tombes des artisans se penchent sur leur métier et leur vie quotidienne. L’identification du défunt se fait donc par son rôle dans la société.

À Mycènes, il y a deux types de sépultures : les cercles (tombes à l’intérieur même de l’enceinte) et les tombeaux à tholos (Trésor d’Atrée ou Tombeau de Clytemnestre) qu’il nous faut imaginer richement décorés et qui furent les plus grands dômes pendant plus d’un millénaire. Le mobilier est très riche. Aussi bien chez les Étrusques (Tarquinia), que chez les Celtes (tombes à char, tombe de Vix) ou chez les Vikings et les Anglo-Saxons (tombe de Sutton Ho), la tombe est symbole, architecture, et pos­sède un très riche mobilier funéraire.

Passons rapidement aux tombes chrétiennes : on peut globalement discerner trois périodes.

Au début, les dé­funts chrétiens sont enterrés dans des catacombes ou dans les nécropoles (« ville des morts ») au milieu des païens loin des lieux de cultes et proche d’un saint ou d’un ermite. Puis les gens remarquables (saints et grands) sont enterrés dans le lieu de culte lui-même, malgré l’interdiction. (Ie au VIIIe siècle)

Rapidement se développe dans les peuples christianisés ce sentiment d’une nouvelle forme de cohabitation nécessaire, fondamentale, entre les vivants et les morts : le peuple chrétien. Les nécropoles extérieures sont abandonnées et le cimetière vient s’installer autour des églises et devient terre sacrée. On enterre dans l’église et tout autour pour deux raisons au moins : on est plus près de Dieu et de son église pour la résurrection des morts, et on cohabite avec le culte et les vivants. Le mouvement se fait entre le VIIIe et XIe siècle. Il donne naissance à ce que Michel Lauwers, spécialiste de la « terre des morts » dans l’Occident médiéval appelle « la parenthèse chrétienne ». Jamais ni avant ni aujourd’hui le lieu de sépulture des humbles ne sera ainsi au contact du lieu de culte. L’aboutissement se trouvant dans les enclos bretons (les plus anciens datent du XIIIe) où doivent se trouver au minimum cinq des huit éléments suivants : l’église, l’ossuaire, la chapelle reliquaire, le calvaire, le mur d’enceinte, la porte triomphale, le cimetière, la fontaine. On voit que toute la symbolique de la vie et de la mort est assemblée en un seul lieu. Et il y a souvent une chaire extérieure permettant de prêcher au milieu des défunts.

Pour l’homme médiéval, la pire mort est la mort accidentelle ou soudaine, pendant le sommeil par exemple. Parce qu’il n’a pu s’y préparer et l’accepter. Toute la vie est une préparation à la mort. Et il est sans cesse confronté à la mort. La mort est un acte communautaire. La tombe individuelle est la moins prisée, sauf si l’on doit être distingué, si l’on est un exemple. De ce temps la fosse commune n’est pas considérée comme dégradante. La fosse commune c’est le peuple chrétien, et le rejoindre est normal, est beau.

Quand naissent les cimetières que nous connaissons ?

François Peltier : Le mot cimetière est un mot du XVIe siècle, création savante d’après le grec signifiant dortoir. L’anglais et l’allemand ont conservé un nom explicite de ce que fut le cimetière churchyard et Kirschhof, la cour de l’église. Autour de l’église, il faisait partie de la zone d’asile de la paroisse. Donc on y vivait, parfois on y construisait… Criminels et ermites s’y retiraient… On y pratiquait parfois la prostitution, souvent le commerce. C’était à la fois une zone d’ensevelissement, une zone d’ossuaire, une zone d’asile, une agora, un foirail…

Il existait jusqu’au début du XXe siècle en Bretagne des cimetières sans entrée (un mur continu) où l’on passait les cercueils par-dessus le mur des gens excommuniés, des condamnés, de tous ceux qui ne mourraient pas en règle avec l’Église. Ils se débrouilleraient avec Dieu mais les hommes ne pouvaient pas avoir commerce avec eux…

Dans tous les cas la mort avait une forte signification collective…

François Peltier : Oui. En 1830 encore, lorsque l’on voyait un prêtre aller donner l’extrême-onction, on pouvait assister au sacrement et accompagner le mourant : on ne mourait jamais seul. Aujourd’hui, combien meurent oubliés à l’hôpital.

Au XVIIIe, la déchristianisation pro­gressive, la peur des épidémies, l’hygiénisme, la volonté de séparer la vie de la mort, renvoient les cimetières à l’extérieur des villes et ferment la « parenthèse chrétienne ». Les cimetières extérieurs voient le jour avec les débuts de la révolution industrielle et la volonté cadastrale de l’État. Le résultat sera ces concessions alignées côte à côte, l’uniformisation des surfaces et bientôt des matériaux. Ce ne sont plus des nécropoles, ce sont des boîtes alignées. Plus de végétal, du minéral jusqu’à la castine des allées.

Les cimetières actuels en pays celtes ou anglo-saxons résisteront à ce mouvement en gardant entre les tombes de grandes étendues d’herbes et à l’Est les arbres sont nombreux dans les cimetières roumains. La loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905 aura son importance : la gestion des cimetières dépend depuis ce temps exclusivement des communes qui tendent à standardiser les services. Il ne faut pas négliger non plus les pressions. Nous sommes poussés par l’air du temps vers la crémation tout simplement parce que sur 10 m2 ont peut placer de 4 à 6 cercueils alors que l’on peut placer plus de 200 urnes.

Les églises de campagnes, d’implantation fort ancienne gardent la structure de la « parenthèse chrétienne » avec un cimetière accolé ou entourant le lieu de culte. Est-ce hasard si la mort fait beaucoup plus partie de la vie à la campagne qu’à la ville ?

Le cimetière « terre des morts », espace social ou cohabitent vivants et morts, est particulièrement sensible dans certains pays : au Caire, aux Antilles, en Amérique du Sud ou centrale, les gens vivent dans les cimetières, mangent et prient sur la tombe des aïeux. Dans certains pays comme Madagascar, les tombeaux sont construits avec plus de soins que les maisons. Et en pays pauvre les obsèques sont la cérémonie la plus onéreuse, avant même le mariage ! Dans tous les pays, toutes les croyances religieuses, nous pensons que l’âme de quelqu’un sans sépulture erre.
La mort est un rite de passage. Arnold Van Lennep, ethnologue, dit que, quel que soit le lieu, la religion, le temps, il y a trois phases à la sépulture : la séparation, la liminarité (c’est le rite proprement dit, de la veillée funèbre à l’inhumation ou la crémation), et l’agrégation ou réincorporation (l’individu reprend une place dans le groupe, mais sous un autre statut (défunt, ancêtre, saint…).

Quels sont les points communs à toutes les sépultures ?

Augustin Frison-Roche : Lors de la conférence que nous allons prononcer dans quelques jours, nous montrerons une série de photos de tombes pour faire découvrir à nos auditeurs ces caractéristiques communes. Elles ont une architecture intérieure (peinture, sculpture, symbolique) et extérieure (du cairn au mausolée en passant par le tumulus et la simple dalle). Elles descendent et beaucoup sont en crypte. Elles comportent du mobilier funéraire y compris dans les tombes chrétiennes, une ornementation intérieure et extérieure. Les tombes prennent leur place en fonction de leur environnement et suivent un développement particulier qui peut terminer en urbanisme, en paysagisme : on vante la beauté de certains cimetières (Gênes, Forcalquier, etc.)

François Peltier : Au Moyen Âge, la diversité des symboles entretenait un lien « ré-actif » vivant entre les fidèles et la religion. De ce temps, le symbole doit soutenir le discours chrétien sans être forcément chrétien lui-même (d’où les représentations de mythes païens grecs sur les chapiteaux). Retrouver un répertoire iconographique diversifié permet également une personnalisation du caveau par adéquation au défunt, à sa famille à son lieu, à ses traditions. Certains symboles ambivalents permettent à tous de se retrouver : le phénix par exemple est aussi bien chrétien que spiritualiste…

Augustin Frison-Roche : Les tombes actuelles disent plus que tout ce que nous pourrions affirmer. La mort est devenue une maladie honteuse. Jusqu’au point de filmer les obsèques et de ne pas y assister !

Vous avez mené, au sein d’un groupe artistique de réflexion, une expérience de réappropriation des symboles de la mort… Quelles sont vos idées force ?

Augustin Frison-Roche : Chacun, quelle que soit sa sensibilité religieuse, peut retrouver le symbole qui lui convient…

La croix est le symbole chrétien par excellence et présente une grande variété. Mais ne retenir qu’elle conduit à une habitude visuelle du spectateur, à un engourdissement du sens. Faire l’inventaire de l’iconographie des tombes chrétiennes anciennes, surprend par la diversité pour évoquer vie, mort et passage. Ainsi la Croix, le Christ, le Chrisme, mais aussi poissons, oiseaux, agneaux, phénix animaux psychopompes, symboles animaliers et végétaux du Christ, l’Arbre de vie, le Paradis terrestre, le Jugement dernier, l’Apocalypse, la victoire de la Vie sur la Mort, du Bien sur le Mal, saint Michel et le dragon, saint Georges, le Passeur, saint Christophe, les Anges, La porte (du Ciel), l’Âme qui s’élève, etc.

Il est temps que les artistes proposent une alternative. Et affirment à nouveau que la porte du Ciel est belle, riche, oserai-je dire attrayante ! Mais pour cela, il faut leur en donner la possibilité. Le rôle de l’artiste n’est pas de s’immiscer dans la partie pratique des obsèques, mais de donner une empreinte à la conception des cimetières, des caveaux et des cercueils. De nourrir l’aspect symbolique et formel de l’enterrement. Par ses compétences il doit exprimer de manière plastique un mystère que l’Église, ou le défunt lui demande de formuler.

La démarche doit être résolument populaire, simple, à la portée de tous. Juste une impulsion vers un autre art funéraire. Sur une ancienne tombe familiale, le rajout d’une pierre, d’une résille métallique, d’une céramique ou d’une mosaïque, d’une intervention ciblée ne coûte pas grand-chose mais peut changer le sens et l’aspect. Personnaliser et sacraliser.

Globalement, nous devons, comme chrétiens, nous poser certaines questions et affirmer clairement notre position en réfléchissant sur l’aspect du cimetière, du tombeau, de l’urne, du cercueil.

Pour le cimetière nous devons insis­ter auprès des municipalités pour qu’elles réfléchissent à « un urbanisme du cimetière ». Lorsque c’est possible nous devons tenter de conserver ou recréer la « parenthèse chrétienne », c’est-à-dire les morts présents autour des lieux de culte pour la beauté du symbole. Il faudrait revégétaliser les cimetières dont le tout minéral gris renvoie l’idée d’un désert mort plutôt que d’un Paradis futur. Pourquoi ne pas créer des tombes souterraines avec des enfeus pour loger les cercueils ? Il convient de réfléchir sur la tombe : tombe individuelle, tombe familiale, tombe commune sur d’autres critères. Notre monde actuel (famille éclatée et recomposée, itinérance professionnelle, détachement des racines) va poser très rapidement de graves problèmes de choix de sépulture.

Il faudrait aussi réfléchir à des colombariums à l’architecture signifiante, avec une symbolique de qualité, au lieu des « armoires à urnes » devant « des jardins du souvenir » construits sans âme et sans symbolique exigeante. Car l’autorisation de crémation de l’Église aussi bien que la pression démographique vont développer ce choix.

Quel rôle souhaitez-vous jouer en tant qu’artiste ?

François Peltier : L’artiste ici doit être un incitateur, un fournisseur d’idées et de coups de crayon, un empêcheur de graniter en rond… Pour la tombe nous devons aller à des solutions simples : travailler soit avec des matériaux et un esprit locaux (tombe de pierre en pays de pierre, tombe de granit en pays de granit, tombe herbeuse dans un lieu qui s’y prête, etc.) ou en matériaux universels (verre, métal, mosaïque, céramique) mais si possible pas de matériaux déportés.

La reprise d’une ancienne concession avec transformation est une solution économique possible qui contient un très beau symbole de transmission. À l’artiste de proposer quelques solutions en fonction du lieu et du défunt. Il faut travailler aussi bien sur les caveaux déjà existants que sur les créations, aussi bien sur les interventions minimales que sur la conception globale, suivant la demande et le budget. Il est évident que le retour à des tombes avec entrées à enfeus entraînerait une architecture, une iconographie de peintures murales à réinventer et un programme artistique plus complexe et plus complet.

Là l’artiste donne sa mesure et fait bénéficier la communauté de ses compétences, étant à la place qui lui est dévolue dans une société en ordre. Pour les spiritualistes, il faut travailler directement avec les familles, et pour les catholiques, travailler avec l’Église de manière à rester en parfaite orthodoxie.

L’Église ne s’oppose pas au mobilier funéraire et aux objets rajoutés. Ils ont disparu vers le XIVe siècle mais certaines survivances ont persisté jusqu’au XXe siècle. Jusqu’en 1950, dans les Highlands, il était de tradition de mettre sur le thorax du défunt un petit plat contenant de la terre et du sel. Symbolique compréhensible : terre, tu retourneras à la terre, et le sel représentant l’âme du défunt : « Vous êtes le sel de la terre. » Il y a aussi une symbolique du mobilier funéraire à retrouver. On peut imaginer, posée sur le défunt dans le cercueil plombé une sorte de planche peinte ou symbolique, un peu comme les portraits du Fayoum, ou l’Italie du XVe siècle. Les cercueils au Ghana sont des objets extravagants faits par des artistes.

Le développement de la crémation oblige à une réflexion nouvelle…

François Peltier : C’est compliqué car la législation a changé et il n’est plus possible de disposer librement des cendres d’un défunt ni de les conserver dans un lieu privé (loi du 19 décembre 2008). L’urne n’a pas trouvé son expression. Il y a là un vide à combler, car il est plus facile et moins onéreux de s’attaquer à une boîte de 8 dm3 qu’à un cercueil.

Comment concilier la pression démographique, la conservation des urnes, avec une conservation de nos ancêtres ? Ne pourrait-il pas être envisagé de créer un ossuaire familial où au bout d’un temps donné, les défunts seraient « reconditionnés ». Leur urne prendrait place dans un enfeu au fond du caveau avec les urnes de ceux qui ont choisi la crémation. Ne resteraient donc en cercueils que nos morts « récents ». Cela conserverait l’idée d’un caveau familial sans se heurter au problème de place. Et permettrait de rassembler ceux qui choisissent l’inhumation et ceux qui choisissent la crémation.

En fait, la part d’intervention est énorme. Individuation pour rejoindre et s’intégrer à une vision commune, et refaire des cimetières, une terre des morts, lien social sacré, qui rendent profondeur et quiétude à notre société. Car une autre vision et une autre acceptation de la mort, faciliteront notre vie.

Nous commençons à défricher un terrain abandonné. Ce n’est qu’une première approche. Et comme telle, elle est certainement incomplète, erronée, spécieuse. C’est à l’usage, par la réalisation d’œuvres, passage de la théorie à la pratique, que le terrain trouvera sa réelle topographie, et la mort son écrin contemporain.

Il faut donner l’exemple. Et nous terminons en vous montrant deux réalisations : une création ex nihilo, et une autre création à partir d’une concession ancienne abandonnée rachetée et réactualisée. Il faut oser « essuyer les plâtres ». Le résultat donne à ces tombeaux un aspect marqué de personnalisation et de volonté de sacré.

Les artistes doivent tâcher d’apporter leur créativité, leurs compétences et leurs convictions d’un sacré qui ne fait de la mort qu’un passage. ■


Le groupe Favolus

François Peltier : http://www.favolus.com

Augustin Frison-Roche : http://www.frison-roche.fr/

Louise Peltier-Guittard : http://www.favolus.com