Ce 12 février, le Pape François rencontre le Patriarche de l’Église orthodoxe russe Cyrille Ier… à Cuba. Pour la première fois de l’Histoire, le monde assiste à une rencontre au sommet entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe russe. Une démarche de cette importance n’avait pas eu lieu depuis le baiser de paix historique, symbolique mais très significatif, échangé à Jérusalem en 1964 par le Pape Paul VI et le Patriarche œcuménique de Constantinople Athénagoras, avec la levée réciproque des anathèmes du schisme de 1054.
Vu l’envergure à la fois ecclésiale, historique et numérique de l’Église orthodoxe russe, cette rencontre à l’aéroport de La Havane fera date 1
Même si elle est, du point de vue catholique, le fruit de l’action des prédécesseurs du pape François à Rome et doit donc être réinscrite dans un très long processus.
Cette rencontre avait déjà été souhaitée par les papes du Concile œcuménique Vatican II. Par Jean XXIII, familier du monde orthodoxe depuis sa mission de nonce apostolique avant 1939 en Bulgarie, et qui fit venir des observateurs orthodoxes russes à ce concile dès 1962. Et par Paul VI, qui multiplia inlassablement les gestes de bonne volonté en rendant visite à Athénagoras en 1967 au Phanar, son siège symbolique situé en face de Constantinople, alors qu’aucun Pape n’était venu en ces parages depuis le VIIIe siècle… puis en relançant le dialogue fraternel avec son successeur Dimitrios Ier en 1972 2.
Ensuite est venue, dans le sillage de son encyclique Ut Unum sint (« Qu’ils soient Un, afin que le monde croie »), la période paradoxalement encore méconnue des historiens, des voyages fraternels successifs de Jean-Paul II dans plusieurs pays orthodoxes 3., la Roumanie enthousiaste à Bucarest en 1999, une simple étape en Géorgie à la veille de l’an 2000, puis en 2001, la Grèce malgré de fortes réserves initiales, et l’Ukraine partagée, et en 2002 la Bulgarie bouleversée par le sacrifice d’un Pape Wojtyla épuisé mais voulant témoigner malgré tout de son désir d’unité.
Cette fois-ci, François, le Pape latino-américain sera sur la route du Mexique… Le Patriarche orthodoxe russe sera quant à lui suffisamment loin de Rome, pour que son peuple ne juge pas qu’il se rend dans un haut lieu d’un catholicisme encore très diversement jugé à la « base »…
Cette rencontre entre Rome et Moscou avait déjà été préparée et prévue entre Jean-Paul II et le patriarche orthodoxe russe Alexis II, mais annulée au dernier moment par le Patriarcat de Moscou à deux reprises, en 1997 en Hongrie puis en 1998 en Autriche. Après des pressions internes en Russie sanctionnant, il faut le reconnaître, des maladresses occidentales taxées de « prosélytisme » déloyal.
Après la mort du « Pape polonais », les relations se réchaufferont, avec l’arrivée du Pape Benoît XVI et du Patriarche Cyrille Ier, au point qu’une rencontre aurait été envisagée à nouveau très sérieusement, dit-on, entre les deux hommes.
Mais finalement, c’est notre Pape jésuite venu d’Amérique latine, François, loin des vieux clivages européens hérités de l’histoire tragique du XXe siècle, qui semble l’emporter dans cette sorte de course de relais sur la route de la jonction historique entre les héritiers de Rome et ceux de Byzance qui se sont regroupés sous la bannière de l’orthodoxie russe.
En cette période où la guerre rôde à nouveau par le monde sous le signe néfaste du djihad islamiste, si cette rencontre en signe de réconciliation entre chefs des Églises chrétiennes peut apporter un souffle de paix, depuis cette île de Cuba presque post-communiste — où jadis une Troisième Guerre mondiale fut évitée de peu avec l’aide du bon Pape Jean XXIII — aujourd’hui à nouveau, devant le Pape François et le Patriarche Cyrille, le monde des hommes de bonne volonté voudra se réjouir dans l’Espérance.
- Le père Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, a précisé le 5 février que l’entretien durerait environ deux heures : « Le Pape François et le Patriarche Cyrille prendront brièvement la parole après la signature de la déclaration commune. […] Après l’annonce de sa participation à une célébration le 31 octobre en Suède dans le cadre du cinquième centenaire de la Réforme de Martin Luther, l’annonce de la rencontre du Pape François avec le Patriarche russe confirme sa volonté d’accélérer la réconciliation entre chrétiens. Si le patriarcat de Constantinople bénéficie de la primauté d’honneur, numériquement le patriarcat de Moscou représente les deux tiers de l’Orthodoxie mondiale. L’Église orthodoxe russe compte en effet 130 millions de fidèles » (source : news.va).
- Frère Patrice Mahieu, OSB, Paul VI et les Orthodoxes, Cerf, coll. Orthodoxie, 2012.
- Denis Lensel, Nous lui devons la liberté. La main tendue de Jean-Paul II à l’Est, éd. Salvator, 2008