Rémy Montagne - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Rémy Montagne

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La biographie de Rémy Montagne que Marie-Joëlle Guillaume vient de publier aux éditions Perrin m’intéresse, et même me passionne à divers titres. Tout d’abord, j’ai assez bien connu, dans ses dernières années, cet homme d’une grande cordialité, dont la force de conviction et d’engagement forçaient plus que l’estime. J’ai encore dans l’oreille ce que Maurice Schuman, peu avant sa mort, m’avait confié à son sujet. Il n’avait pas connu de personnalité, qui, autant que Rémy Montagne, avait réglé sa vie sur ce à quoi il croyait ! J’ai pu constater à quel point c’était vrai, et je garde quelques images de lui, inoubliables, parce qu’elles continuent à illustrer de grands moments symboliques de son combat et de son insertion dans l’histoire de notre vingtième siècle. Ainsi, je le revois à Sylvanès, pour un colloque sur le millénaire de la Russie, que Robert Masson avait organisé avec Yves Hamant, en présence de la chère Irina Alberti. Je le revois, chapelet en main, à l’inauguration de la statue de Notre-Dame de France par le cardinal Lustiger à Baillet-en-France. Dernière image, à Aix-en-Provence, à la sortie de la cathédrale où le cardinal Poupard vient de célébrer une messe pour le philosophe Maurice Blondel, à l’occasion d’un colloque sur sa pensée. C’était alors que j’avais appris comment le jeune Rémy étudiant en droit à la faculté d’Aix, avait bien connu l’auteur de l’Action. Du coup, c’était un peu l’histoire des catholiques de France au siècle dernier qui se déroulait, grâce à un témoin d’une authenticité remarquable.

Rémy Montagne appartient à cette histoire par ses racines familiales, sa formation, son entrée d’ans l’Action catholique, avec une prise de responsabilité au plus haut niveau, ses engagements politiques (ceux de la guerre, de l’après guerre, de la Ve république avec la consécration d’un portefeuille ministériel aux Affaires sociales sous Giscard et Raymond Barre). Pourtant il se distingue de sa génération d’une façon assez radicale. Cela pose une question qui continue à me tarauder quelques vingt ans après qu’il nous a quittés. Je me souviens du moment précis où j’ai appris la nouvelle de sa mort : c’était en ouvrant le numéro du Monde à la station de RER Alma, non loin de l’ancien siège de France Catholique. J’en avisai aussitôt Robert Masson qui me confia sa vive admiration pour le défunt. Nous le savions très fatigué et préoccupé ― Marie-Joëlle Guillaume le rappelle très exactement ― par un conflit avec la rédaction italienne de Trenta Giorni. Nous participions alors à une édition française de ce mensuel et nous n’avions pas avalé deux dossiers, l’un sur l’Église de Pologne, l’autre sur le diocèse de Paris avec une attaque insupportable contre le cardinal Lustiger. C’est un homme épuisé qui était parti à Rome pour obtenir des explications.

Mais j’en reviens au début, c’est-à-dire à la formation et à l’essor d’un jeune homme, né en 1917, et qui va trouver sa consécration dans le milieu catholique de l’entre-deux guerres. Ce qui est étonnant dans son cas, c’est qu’il est à la fois exemplaire et singulier. Exemplaire, au sens où on pourrait le considérer comme un prototype de sa génération, ayant disposé des meilleures conditions d’initiation spirituelle et d’éducation intellectuelle. Mais singulier, parce qu’il y a chez lui quelque chose d’irréductible qui le distingue de ses camarades. C’est d’autant plus frappant et intéressant, qu’à travers son histoire personnelle, c’est tout le destin de l’Action catholique de la jeunesse « à la française » qui se trouve en cause. On ne peut se cacher la charge polémique de cette singularité. Marie-Joëlle Guillaume, dans sa perspective biographique, n’aborde pas directement ce qui s’y trouve de plus sensible, mais son récit n’en comporte pas moins des remarques et des incidentes significatives.

Elle nous permet de comprendre, par l’enracinement familial et les influences déterminantes, comment la personnalité de Rémy Montagne s’est affirmée. L’année de philosophie chez les jésuites d’Avignon est essentielle : « Son professeur, le chanoine Louis Ruy n’est paradoxalement pas un jésuite, il appartient au clergé séculier de l’archidiocèse d’Avignon. Pédagogue remarquable, habité par sa discipline, il l’enseigne avec passion à ses élèves. Les problèmes et les mystères de l’adolescence posés avec acuité, sont traités dans la lumière de la raison et de la foi. » Louis Ruy est, semble-t-il, proche de Maurice Blondel, le philosophe aixois, que Rémy va apprendre à mieux connaître lorsqu’il sera étudiant dans la bonne ville du roi René. Sa dette à son égard semble considérable. Marie-Joëlle Guillaume mentionne le colloque d’Aix en 1989 où je l’avais rencontré : « Ces jours-ci, je lève le pied. Je pars pour Aix, au colloque Blondel. C’est ma récréation, ou plutôt, c’est ma jeunesse. Si vous saviez ? Blondel, je lui dois tant… »

Que lui a appris Blondel ? J’aurais aimé en savoir un peu plus, mais faute de relations précises, on est réduit à quelques suppositions. Est-il présomptueux d’imaginer que les conversations entre les deux interlocuteurs ont souvent tourné autour de la cohérence de la foi avec l’intelligence, avec la vie, avec l’action, avec l’engagement sous toutes ses formes ? N’est-ce pas la signification de l’implication du surnaturel dans notre humanité, telle que Blondel l’a discernée à l’origine de sa pensée ? Celle-ci a pu être violemment contestée, elle n’en est pas moins solidaire d’un intégralisme doctrinal qui s’oppose à toute rupture raison-foi et engagement-foi. De plus, on ne peut comprendre l’auteur de l’Action, sans considérer qu’il fut un chrétien fervent. C’est à l’église Saint-Jean de Malte que les contacts furent noués et développés entre le philosophe et l’étudiant.

Cela compte, si l’on met en perspective l’itinéraire de ce garçon qui, à travers toutes les étapes de son existence, ne bronchera jamais dans sa foi. Je ne sais si la question de l’exégèse biblique a été évoquée entre les deux hommes. Je n’en serais pas étonné, vu l’importance qu’elle a eu pour Blondel, et le retentissement provoqué par la crise moderniste. Si c’est le cas, il convient de se féliciter que le jeune homme ait été aussi sûrement conforté dans une position équilibrée entre les exigences positives du savoir et l’intégrité du message révélé. D’autres ont pu être durablement troublés par les incertitudes et les heurts d’une confrontation pas toujours heureusement arbitrée. A Aix, il y avait la possibilité de surmonter, pour le mieux, les difficultés. C’était un bon départ !

En ce qui concerne l’engagement politique, il est bien possible aussi que Blondel ait eu une influence en ce sens que jamais il ne fut séparé des convictions profondes du militant et du futur ministre. C’est aussi une dimension importante, si l’on a en tête que cet engagement va provoquer des dissensions graves, des tensions avec l’épiscopat, et surtout un éclatement de l’Action catholique. Je ne puis que résumer en quelques remarques trop succinctes pour faire le tour d’un problème complexe et conflictuel. Rémy Montagne sera convaincu, dès le début de son entrée dans l’Action catholique, de la nécessité pour les militants d’une prise de responsabilité civique, en cohérence avec leur vocation missionnaire. Il y avait forcément un difficulté pour établir une harmonie entre ces deux aspects distincts : l’apostolat et la politique. De là des tentatives de la part de l’épiscopat pour éviter que l’engagement ne compromette l’apostolat. La notion de « mandat » accordé aux mouvements d’Action catholique correspondait à la logique d’une tutelle hiérarchique, pour empêcher certaines dérives. Rémy Montagne y était, semble-t-il, opposé, revendiquant la pleine autonomie du laïc dans la cité.

J’ai eu là-dessus un entretien avec René Rémond, que mentionne d’ailleurs Marie-Joëlle Guillaume. Le président de la Fondation des Sciences politiques m’avait, un jour, donné rendez-vous rue Saint Guillaume, dans un magnifique bureau digne de la prestigieuse école. Avec sa modération et le sens des nuances de l’historien, il avait évoqué la période de la guerre et de l’occupation, sans cacher que les jeunes formés par l’Action catholique étaient répartis sur l’échiquier politique de Vichy à Londres, et que les positions n’étaient pas forcément frontales. Du moins au début. Il n’empêche que le noyau essentiel s’est très vite retrouvé dans une ligne de ferme résistance à l’occupant et au nazisme. C’est manifeste lors du conseil fédéral de la Toussaint 1943, qui se tint à Montmartre, semi clandestinement. René Rémond, plus de 50 ans après, gardait en mémoire le rapport prononcé par Rémy Montagne sur le thème « Notre conception chrétienne et française de l’ordre juridique et social ». Sa détermination est totale, elle va le mener aux Jeunes Chrétiens Combattants, fondés par son futur beau-frère Maurice-René Simonnet et Gilbert Dru (qui sera fusillé sur la place Bellecour à Lyon). Là-dessus, Marie-Joëlle Guillaume a obtenu des informations inédites sur la participation au maquis de Haute-Savoie, comme officier F.F.I. Après la Libération, le jeune homme poursuivra dans la même direction, assumant des responsabilités diverses (réconciliation franco-allemande, échanges avec l’Afrique de l’Union Française), tout en ayant un métier à plein temps : avocat. Mais son vœu le plus profond le destine à la politique, ce qui va l’amener à défier dans son fief une des personnalités les plus considérables de l’époque, Pierre Mendès-France ! Beaucoup de ses amis de l’Action catholique ne l’ont pas compris, certains ne lui ont jamais pardonné. René Rémond lui-même m’a exprimé son incompréhension. Mendès n’était-il pas une autorité morale, le héraut d’une gauche de rigueur, celle qui s’opposait aux travers de la SFIO d’un Guy Mollet ? François Mauriac en était le plus ferme soutien, dans les années qui ont précédé le retour de de Gaulle au pouvoir.

Mais il faut établir une distinction parmi les catholiques, en ce qui concerne Mendès-France. En relisant les bloc-notes de Mauriac, je constate l’hostilité résolue des démocrates chrétiens du MRP, de Georges Bidault à Pierre-Henri Teitjen en passant par Maurice Schuman. Rémy Montagne, qui n’a jamais appartenu au parti, en est proche néanmoins, par sa sensibilité intellectuelle et ses liens personnels avec des gens qui viennent, peu ou prou, de la formation Action catholique. Mais à l’image de Mauriac, toute une frange catholique s’est séparée du bloc MRP qu’elle considère trop à droite. Beaucoup se retrouveront plus tard (à partir de 1960) au PSU (Parti Socialiste Unifié) qui sera le lieu d’élection des militants qui ne se reconnaissent ni dans la SFIO, ni dans le Parti communiste. Après le ralliement de Michel Rocard au nouveau Parti socialiste fondé par François Mitterrand, la gauche chrétienne se reconnaîtra dans ce qu’on a appelé « la seconde gauche ». Le moins qu’on puisse dire est que Rémy Montagne n’en est pas du tout et qu’on peut le classer dans la droite de la démocratie chrétienne.

(à suivre, dans France Catholique).