Parmi les débats sur la position de l’Église et son enseignement à propos de nombre de questions relatives à la famille (y-compris mariage et sexualité) — questions soulevées lors des Synodes de 2014 et 2015 — se pose une question de base essentielle : les changements proposés relèvent-ils des règles ou de la doctrine ?
La réponse aux questions spécifiques dépend évidemment du sens où on entend le mot « Doctrine ». Au sens propre, c’est l’enseignement reçu de l’Église débutant avec les Évangiles primitifs et la « Didache » [NDT: fin du premier siècle ou début du deuxième, premier document extra-canonique du christianisme primitif], et, de nos jours, repris dans le « Catéchisme de l’Église Catholique ». En tant que telle, une doctrine ne peut être modifiée. Employant le mot « doctrine », les médias peuvent (innocemment ou non) confondre doctrine et règles, alors que les règles peuvent évoluer.
Il n’est pas étrange que règles et doctrine soient mal distinguées — confusion accentuée par ceux qui aimeraient voir l’une au lieu de l’autre. Par exemple, à propos de l’ordination des femmes, ceux qui y sont favorables ont tendance à considérer que ce n’est qu’une question de « Règle », dans l’espoir que le changement viendra un jour ; S.S. St. Jean-Paul II a mis les points sur les « i » par sa lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis (1994) :
« C’est pourquoi, afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église.»
Si seulement on pouvait lever tous les doutes sur de telles questions. Naturellement, les doutes n’ont guère été levés dans l’esprit des dissidents, et ne le seront jamais — pas en ce monde, en tout cas.
Et de nos jours on a vu nombre d’exemples de règles surpassant la doctrine. Car tant de changements dans la pratique de l’Église suite à Vatican II sont survenus en pratique, dans les faits (de facto), et non « de jure ».
Et les déclarations du Pape induisent parfois une sorte de trouble comme, par exemple sur la peine de mort : les fidèles peuvent penser que la Doctrine Catholique est opposée à la peine capitale alors que, stricto sensu (c. à d. en termes de doctrine), il n’en est rien.
Ou au sujet du divorce, du remariage civil, de l’annulation, de la Communion, le motu proprio peut porter le message, comme s’en servit S.S. François (Mitis et Misericors Jesus) avant le dernier Synode, pour retoucher les règles sans avoir à toucher à la Doctrine.
Le Révérend Père Gerald Murray [Paroisse de la Sainte Famille à New York] a mis en doute la conformité au Canon de Mitis et Misericors Iesus mais, qu’elle soit valide ou non, cette lettre apostolique sera mise en application au niveau des paroisses. Reste à voir combien de Catholiques divorcés prendront la peine de bénéficier des procédures simplifiées d’annulation que le Saint Père a instituées (sans doute, semble-t-il) en vue d’aligner la pratique catholique avec la pratique laïque répandue dans le monde. Et cependant l’enseignement de Jésus sur l’indissolubilité du mariage reste intact, peut-être pour être reconfirmé tout comme l’a été par Ordinatio Sacerdotalis le principe de prêtrise exclusivement masculine.
Mais, écho à la question du changement doctrinal : le pouvoir donné par le Christ à l’Église de «Lier et délier sur la terre» est-il applicable en ce domaine ? Si un pape décide de parler « ex cathedra » de la Communion par des personnes remariées sans annulation préalable — c.-à-d. de l’autoriser — une telle déclaration serait-elle valide ?
Je ne peux qu’examiner de telles questions, et non y répondre, car je ne peux y trouver des précédents. De tels changements tels qu’apportés à l’Enseignement de l’Église n’ont que rarement, si jamais, été portés à la Doctrine, sauf aux règles. Il se peut, comme le suggère le Père Murray, que le Pape ait, intentionnellement ou non, brouillé la ligne entre les deux dans « Mitis et Misericors Iesus ». Il était peut-être pour lui évident qu’un changement ne naîtrait pas du Synode. Contentons-nous en — et attendons une autre occasion pour polémiquer.
Le changement de la règle catholique du jeûne comme le fit Paul VI par la Constitution Paenitemini (1966), peut avoir transformé le rythme des habitudes des catholiques, mais d’évidence aucune attaque ne fut portée à la doctrine. Citons Rodney Stark :
« La suppression du Vendredi maigre fut une grave erreur de l’Église. Quand j’étais gamin — dans une ville 40% catholique, 60% protestante — le maigre du Vendredi était un repère culturel important… Les matchs de Foot-Ball des lycées se jouaient le Vendredi soir. À l’issue du match, on emmenait sa petite amie pour dîner. Et vers minuit, on entendait les catholiques égrener le compte à rebours, puis, à minuit, crier « Hamburger! » Et tous de s’esclaffer. C’était une espèce de rite marquant les catholiques d’un immense sens de solidarité.»
Bien sûr, la différence religieuse sentie entre Stark et ses copains protestants par le biais du hamburger n’était pas fondamentale, mais elle était bien là.
Si S.S. François autorisait les catholiques divorcés remariés, avec ou sans annulation, à recevoir la communion, ce serait contraire à la directive du Christ telle que rapportée par Matthieu (Mt. 5:32). François considèrerait que c’est une démarche de miséricorde, en est-il ainsi ?
S’exprimant au sujet de l’abstinence dans Paenitemini, Paul VI insistait sur « cette salutaire abstinence… qui armera [le fidèle] contre les dangers de se laisser retarder par les choses de ce monde sur le pélerinage vers l’habitation au paradis.
N’est-ce pas encore plus vrai quand on pense aux disciplines du mariage ? Et, comme disait St. Jean-Paul II à propos du Concile de Trente : « Ce qui était, est toujours.»
30/11/2015
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/11/30/discipline-versus-doctrine/
Tableau : Le Concile de Trente, Musée du Palazzo del Buonconsiglio, Trente.