La semaine dernière, le pape François a émis de nouvelles normes canoniques pour traiter le fléau des abus sexuels sur mineurs et adultes par des clercs et des religieux. Son motu proprio « Vous êtes la lumière du monde » (Vos estis lux mundi) établit de nouvelles dispositions pour traiter de la manière dont on doit rendre compte aux autorités de l’Église des crimes contre le Sixième Commandement, et ce qui doit être fait lorsque la personne accusée est un évêque.
Ces normes ont été émises sans publicité préalable et auraient bénéficié d’une consultation plus large au cours de la phase de rédaction. Le canoniste Edward Peters identifie des problèmes avec le document, commençant par le fait qu’il n’est pas publié en latin mais seulement en italien et selon des traductions à partir de l’italien. Cela crée de sérieux problèmes d’interprétation. Lorsqu’il n’y a pas de texte latin, la terminologie ne peut pas vraiment être comparée et harmonisée avec le code de droit canon et d’autres textes canoniques en latin. L’usage de la législation standard est vital pour l’application cohérente de la loi. Ici, cela fait défaut.
Il manque également la mention des sanctions qui seraient encourues par quelqu’un reconnu coupable de violation de ces normes. Les procédures indiquées dans les articles 12 à 19, pour l’instruction de comptes rendus de crimes épiscopaux, ne font pas référence aux canons 1717ff qui règlementent la manière dont les procédures pénales doivent être initiées et menées. C’est une grave lacune.
La disposition la plus notable concerne l’infraction épiscopale nouvellement spécifiée « consistant en actions ou omissions dans l’intention d’interférer avec, ou d’éviter, des enquêtes civiles ou canoniques, qu’elles soient administratives ou pénales, contre un ecclésiastique ou un religieux » accusé des crimes canoniques suivants : « forcer quelqu’un, par la violence, la menace ou via un abus d’autorité, à effectuer ou à se soumettre à des actes sexuels ; effectuer des actes sexuels avec un mineur ou une personne vulnérable ; la production, l’exposition, la possession ou la distribution, y compris par moyens électroniques, de pornographie infantile, ainsi que le recrutement ou l’incitation d’un mineur ou d’une personne vulnérable à participer à des expositions pornographiques. » (article 1)
Ce qui est le plus important est l’expression « actions ou omissions ». Les évêques sont maintenant soumis à la discipline canonique s’ils prennent des mesures pour entraver ou pour éviter des enquêtes civiles ou canoniques, ou simplement s’ils omettent de lancer une enquête canonique lorsqu’ils ont reçu un rapport sur un crime d’abus sexuel par un ecclésiastique ou un religieux.
Cette disposition peut être considérée comme une spécification des devoirs canoniques existants des évêques tels qu’énoncés, par exemple, dans les canons 384 (« il doit s’assurer qu’ils [les prêtres] remplissent les obligations propres à leur état ») et 392 (« il est tenu de favoriser la discipline commune dans toute l’Église, et donc de faire pression pour l’observance de toutes les lois ecclésiastiques. »)
Une question se pose cependant sur l’application des nouvelles normes sur les crimes du passé. Le canon 9 prévoit : « Les lois concernent les questions du futur, pas celles du passé, à moins qu’elles ne prévoient nommément ces dernières ». Aucune disposition de ce genre pour les crimes passés n’est clairement énoncée dans ces normes. Un problème pourrait donc surgir si quelqu’un accuse un évêque d’avoir contrecarré l’enquête sur des accusations d’abus sexuels avant que ces normes n’entrassent en vigueur.
Le Saint Siège devrait clarifier si les incidents passés d’inaction en matière d’enquête, ou de réel camouflage d’abus sexuels par des ecclésiastiques ou des religieux, seront soumis à ces nouvelles normes. La réaction probable est que ces normes ne font que clarifier ce qui était déjà présent dans la loi canonique et dans les pratiques du Saint Siège, et ne constituent donc pas une nouvelle loi.
Le cas McCarrick vient bien sûr immédiatement à l’esprit. Il a été reconnu coupable par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de « péchés contre le Sixième Commandement, avec des mineurs et avec des adultes, avec le facteur aggravant d’abus de pouvoir ». Ses victimes comprenaient des séminaristes qui étudiaient pour devenir prêtres de son diocèse. Son abus d’autorité consistait en une menace implicite : se soumettre ou risquer d’être renvoyé du séminaire.
Le manquement d’un évêque à enquêter sur des ecclésiastiques (évêques, prêtres et diacres) et des religieux accusés de « forcer quelqu’un, par la violence, la menace ou l’abus d’autorité, à accomplir ou se soumettre à des axes sexuels » ou d’« accomplir des actes sexuels avec un mineur ou une personne vulnérable » est maintenant passible d’une enquête canonique et d’un éventuel châtiment par le Saint Siège.
Il est également significatif que la malfaisance épiscopale puisse désormais être déclarée par « quiconque », et pas seulement par la partie lésée, directement au Saint Siège, à un représentant du pape (le nonce) ou au système diocésain de déclarations prescrit par ce document (article 3).
Cette disposition donne la capacité d’amener les évêques à rendre compte des dissimulations d’une manière qui n’était pas possible jusqu’à présent. Considérons par exemple l’histoire d’Edward Pentin dans le National Catholic Register concernant des accusations d’homosexualité rampante au grand séminaire de Tegucigalpa, Honduras, sous le cardinal Oscar Maradiaga.
N’importe qui peut désormais présenter une accusation de malfaisance directement au Saint Siège ou au nonce au Honduras, citant comme preuves les rapports et témoignages publiés. On peut aussi informer le public que l’on a fait un tel rapport. Les normes énoncent : « une obligation de garder le silence ne peut pas être imposée à qui que ce soit en ce qui concerne le contenu de son rapport ».
Le rapport de Pentin inclut ce témoignage : « L’homosexualité au séminaire est un problème qui a proliféré ces dernières années », a dit le séminariste qui s’adressait au Registre sous couvert d’anonymat. Et il ajouta : « Un autre gros problème est que, lorsque quelqu’un parle autrement que ce que l’évêque ou le cardinal disent, il est censuré et renvoyé ».
Le cardinal Maradiaga a-t-il dissimulé l’activité homosexuelle de prêtres ou de diacres dans son séminaire, impliquant des séminaristes, lesquels peuvent être considérés comme des adultes vulnérables ? A-t-il dissimulé une inconduite sexuelle avec des séminaristes par son ancien évêque auxiliaire, Juan Pineda ?
Les nouvelles normes donnent l’espoir que les réponses à ces questions seront disponibles.
18 mai 2019
Le père Gerald E. Murray, J.C.D. (Docteur en droit canon), est canoniste et curé de l’église de la Sainte Famille à New York.
Photo : Le cardinal Maradiaga et le pape Francis en 2018 au synode sur les jeunes gens, la foi et le discernement [photo by Paul Haring, CNS]