Réflexion sur « Amoris Laetitia » - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Réflexion sur « Amoris Laetitia »

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L’ancienne discipline de l’Eglise catholique sur l’accès à la sainte communion des divorcés catholiques qui se sont remariés civilement et vivent une seconde union adultère ou irrégulière, a été succinctement commentée par Saint Jean Paul II dans Familiaris consortio : « L’Eglise réaffirme sa pratique qui est basée sur l’Ecriture sainte, de ne pas admettre à la communion eucharistique les personnes divorcées qui se sont remariées. On ne peut pas les y admettre du fait que leur état et leur condition de vie contredisent objectivement cette union d’amour entre le Christ et l’Eglise dont l’Eucharistie est le signe et l’effet. En plus de cela, il y a une autre raison pastorale spéciale : Si on acceptait ces personnes à l’eucharistie, les fidèles seraient induits en erreur et en confusion en ce qui concerne l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage. »

Cette discipline a été réaffirmée en 1994 dans une « lettre aux évêques de l’Eglise catholique à propos de la réception de la Sainte Communion par les fidèles divorcés et remariés, par la Congrégation pour la doctrine de la Foi. Celle-ci a été spécialement approuvée par Saint Jean Paul II : « En fidélité aux paroles de Jésus Christ, l’Eglise affirme qu’une nouvelle union ne peut pas être reconnue comme valide si le précédent pariage était valide. Si les divorcés sont remariés civilement, ils se trouveront dans une situation qui est objectivement contraire à la loi de Dieu. En conséquence, ils ne peuvent pas recevoir la sainte communion aussi longtemps que cette situation persiste. »
Le Conseil pontifical pour les textes législatifs a émis une Déclaration en 2000 sur la même question : « En effet, la réception du Corps du Christ quand on est publiquement indigne, constitue un mal objectif pour la communion ecclésiale ; c’est un comportement qui affecte les droits de l’Eglise et de tous les fidèles qui vivent en accord avec les exigences de cette communion. Dans le cas concret d’une admission à la Sainte communion des fidèles qui sont divorcés et remariés, le scandale, compris comme une action qui pousse les autres vers la transgression, affecte en même temps aussi bien le sacrement de l’Eucharistie que l’indissolubilité du mariage. Ce scandale existe même si, malheureusement, un tel comportement ne surprend plus personne : en fait, c’est précisément à cause de cette déformation de la conscience qu’il devient de plus en plus nécessaire pour les pasteurs d’agir tant avec patience qu’avec fermeté, pour protéger la sainteté des sacrements et défendre la morale chrétienne, et pour la formation correcte des fidèles. »

La publication d’Amoris Laetitia a mis fin à cette discipline. Maintenant, l’aide de l’Eglise, et son accompagnement des personnes qui vivent publiquement « dans un état objectif de péché » a changé, comme c’est précisé dans la note en bas de page 351 (et de façon quelque peu obscure dans la note 336) : « Dans certains cas, cela peut inclure l’aide des sacrements. » La note en bas de page se réfère à deux constatations faites par le pape François précédemment pour encourager les pasteurs à agir avec douceur et à observer une grande souplesse dans l’administration des sacrements de pénitence et de la sainte eucharistie.

Il est curieux qu’un changement aussi important tienne en deux notes de bas de page, mais plus curieux encore est le changement lui-même, qui est manifestement en contradiction avec la discipline précédente. Cela ne fait pas une grande différence que la Sainte Communion soit maintenant donnée « seulement dans certains cas » de secondes unions adultères. A partir du moment où certaines personnes vivant en état d’adultère sont autorisées à recevoir la sainte Eucharistie, tout en continuant à commettre des adultères, les principes qui faisaient respecter la discipline précédente ont été sapés. Bientôt, on trouvera des manières créatives qui permettront de minimiser la gravité de l’adultère et l’obligation pour les Chrétiens de conformer leurs vies aux exigences de l’Evangile, ou de carrément nier l’importance de sujets qui relèvent du 6° commandement.

A.L. fonde ce changement ainsi : « L’Eglise possède un solide corps de réflexion pour ce qui est d’atténuer les faits et les situations. Ainsi, on ne peut plus dire que tous ceux qui sont dans une « situation irrégulière » vivent en état de péché mortel et sont privés de la grâce sanctifiante. Il ne s’agit pas seulement d’ignorer la règle. Un sujet peut très bien connaître la règle, et avoir pourtant beaucoup de mal à comprendre ‘quelle en est la valeur inhérente ‘ . Il peut aussi être dans une situation concrète qui ne lui permet pas d’agir différemment ou de prendre une autre décision, sans pour autant se retrouver en état de péché ». (301 caractères gras ajoutés)

Pourquoi des guillemets devant « irrégulier » ? Les guillemets fonctionnent comme un substitut de mots tels que « soi-disant » ou « présumé ». La situation est-elle vraiment irrégulière, ou seulement « irrégulière » ? L’adultère est-il un péché mortel ou un péché « mortel » ? Est-il maintenant incorrect de traiter une relation adultère persistante tout simplement d’irrégulière ? Faut-il dire qu’elle est, vous savez bien, une espèce de, une sorte de, peut-être d’une certaine manière « irrégulière » ? Alors évidemment, on ne peut pas affirmer qu’un quelconque cas d’adultère soit en fait un péché grave. Ce peut être simplement un péché « mortel ». Si l’union adultère n’est pas en soi objectivement  irrégulière, mais seulement « irrégulière », alors, nous n’avons pas besoin de nous occuper des circonstances atténuantes.

Autres questions : Est-il nécessaire de comprendre les « valeurs inhérentes » du 6° commandement avant d’être obligé de le respecter ? N’est-il pas suffisant de savoir que Dieu veut que nous évitions certains comportements ? Comment pouvons-nous parler de « situation concrète qui ne lui permet pas d’agir différemment », sans nier la liberté que Dieu nous a donnée de décider de ce que nous pourrons faire dans une situation concrète donnée ? Comment est-ce que cela peut être un « autre péché » de cesser de pécher en se retenant de commettre un adultère ?

Le refus d’accorder la sainte communion aux pécheurs publics qui vivent une deuxième union adultère, (droit canon 915) n’implique pas que de par la loi toutes ces personnes sont subjectivement en état de péché mortel, mais plutôt que l’état public d’adultère de ces personnes contrevient objectivement et gravement à la loi de Dieu. Ignorer objectivement une conduite mauvaise connue publiquement, et autoriser ces personnes à recevoir la sainte communion risquerait de créer une situation dans laquelle « les fidèles seraient induits en erreur et en confusion en ce qui concerne l’enseignement de l’Eglise sur l’indissolubilité du mariage. »

Cette « erreur et confusion » serait le fait que les gens croiraient à tort que l’Eglise ne considère plus l’adultère comme un péché mortel, ou bien qu’il est possible de vivre une relation habituellement considérée comme un péché mortel, tout en ayant le droit de recevoir la sainte Communion. L’interdiction canonique de la sainte Communion pour ceux qui « persistent obstinément dans un péché grave et manifeste » (canon 915) est basée sur la présomption raisonnable qu’un pécheur public n’ignore pas complètement sa foi catholique et a une conscience suffisante du fait que sa conduite viole ce que l’Eglise nous dit être la loi de Dieu.

Cela implique aussi que celui qui agit librement et sans coercition est présumé responsable de son péché. Dans le cas de quelqu’un qui viole librement le 6° commandement et les vœux de son mariage, il est difficile, sinon impossible, de prétendre ne pas savoir que sa deuxième union est une offense à la fois contre Dieu et contre sa femme, ou, d’une manière ou d’une autre, de n’être pas coupable de ses péchés.

On peut mettre de côté la présomption générale si les apparences ne correspondent pas à l’état actuel des choses, comme dans le cas de ceux qui s’abstiennent d’avoir une conduite adultère et vivent en frère et sœur. Ils peuvent recevoir la sainte Communion à condition qu’il n’y ait pas de scandale, dans toute la mesure du possible. Mais ceux qui persistent à vivre dans le péché même après qu’on leur ait rappelé les paroles du Seigneur à propos du divorce et du remariage ne peuvent pas être présumés innocents d’un péché mortel.

Pour un pasteur, adopter cette présomption dans ses conseils à ces personnes serait mettre en danger leur bien-être spirituel car cela tendrait à favoriser la complaisance plutôt que la conversion. Le pécheur serait en quelque sorte « excusé » d’avance plutôt que réprimandé ou admonesté.

Nous arrivons ici à une difficulté signalée dans le chapitre 8 de A.L. : « Naturellement, on devrait faire tous les efforts possibles pour pousser à développer et à éclairer la conscience. Un pasteur responsable contribuerait à la former et à la guider avec discernement et sérieux, et encouragerait à une confiance encore plus grande dans la grâce de Dieu. Cependant, la conscience peut faire plus que reconnaitre qu’une situation donnée ne correspond pas objectivement à l’ensemble des demandes de l’Evangile. Elle peut aussi reconnaitre avec sincérité et honnêteté ce qui actuellement est la réponse la plus généreuse que l’on peut donner à Dieu, et découvrir avec une certaine sécurité morale que c’est ce que Dieu lui-même demande compte tenu de la complexité concrète de nos limites, même si cela ne remplit pas totalement l’objectif idéal. » (Caractères gras ajoutés)

Le premier devoir de la conscience chrétienne est de chercher à savoir ce que Dieu attend de nous, et ensuite de conformer nos pensées et notre conduite à cela. Une « situation donnée » n’est pas en question quand on analyse sa responsabilité morale, mais nos actes librement choisis dans cette situation donnée.

Il est impossible que quelqu’un, même très peu instruit par son pasteur de « l’ensemble des demandes de l’Evangile » – et qui de ce fait comprend que le commandement « tu ne commettras pas d’adultère » s’applique à tous sans exception – puisse alors décider que de continuer à vivre en adultère « est la réponse la plus généreuse » qu’il puisse faire à Dieu « maintenant » en tant que chrétien.

De même, il est impossible qu’il puisse «en toute honnêteté »  en venir à « voir avec une certaine sécurité morale » que sa décision de vivre une relation adultère active « est ce que Dieu lui-même lui demande parmi la complexité concrète de ses limites ». Il pourrait vouloir penser cela, mais son pasteur a le devoir de le persuader que c’est une erreur grave et non de le conforter dans un fatalisme faux et auto-déculpabilisant, qui dit qu’il ne peut rien faire de mieux que de continuer à pécher, et que Dieu le veut ainsi.
« Il est réducteur de ne faire que considérer si les actions d’un individu correspondent ou non à une loi ou une règle générale, car ce n’est pas suffisant pour discerner et assurer une fidélité totale envers Dieu, dans la vie concrète d’un être humain. » (304) Cela peut être vrai dans le cas d’une loi purement ecclésiastique, de moindre importance. Dans le cas d’une loi directement révélée par Dieu, la fidélité totale n’est accomplie qu’en obéissant à cette loi. Mettre un pécheur au défi de se repentir et de conformer sa vie à l’Evangile est alors la plus haute forme de charité car cela le dirige sur la voie de la vie et l’éloigne de quelque chose qui blessait gravement sa relation à Dieu.

Le prêtre qui parle avec un homme qui confesse qu’il vit dans une seconde union invalide, doit patiemment mais fermement l’appeler à se repentir et à se détourner du péché. Si le prêtre est fidèle à sa charge, il informera l’homme divorcé remarié qu’il commet un adultère chaque fois qu’il a des relations sexuelles avec une femme à laquelle il n’est pas marié de façon valide. Que c’est une loi divine qui ne peut pas être changée par l’Eglise ; que c’est un péché mortel, et que le bien de son âme et de l’âme de la femme avec laquelle il est engagé nécessite qu’il cesse de commettre des péchés mortels. Et que de même qu’il a librement choisi de démarrer une activité adultère, il devrait librement y mettre fin. Le pouvoir de la grâce de Dieu est là pour renforcer cette bonne résolution.

Il ne peut pas y avoir de vrai projet d’amendement en ce qui concerne le fait d’éviter de futurs actes adultères si le pénitent ne s’engage pas à se retirer (ou au moins à essayer de se retirer) d’une situation qui conduit à de tels actes. Par exemple, dans le cas où le couple reste ensemble pour le bien de ses enfants, mais vit come frère et sœur. Si le pénitent a clairement l’intention de continuer à cohabiter more uxorio avec une femme à laquelle il n’est pas marié de façon valide, alors il n’y a pas de projet d’amendement, mais plutôt un rejet de la parole du Seigneur.

Certaines personnes ont suggéré que c’était une erreur de dire que le pape François avait changé la discipline de l’Eglise, et que la discipline en exercice le 7 avril était toujours d’actualité le 8. Mais le père du synode invité par le Saint-Siège à présenter officiellement le document, le cardinal Schönborn, a dit à cette occasion : « le Pape affirme dans une note (351) que l’aide des sacrements peut aussi être donnée ‘dans certains cas’ » A-t-il mal compris le pape ? Est-ce que le bureau du synode a mal examiné ses remarques ? Il y a peu de chances. Les remarques ont été publiées sous forme écrite. Les médias ont rapporté cette histoire pour l’essentiel exactement dans le même sens.
Le samedi 9 avril, le pape François n’a pas envoyé son porte-parole le père Federico Lombardi, pour corriger le commentaire et établir que son intention n’était en aucun cas de contredire Familiaris consortio 84 ou la lettre CDF de 1994 approuvée par Saint Jean Paul II. Il a envoyé Fr. Lombardi pour commenter des sujets moins importants comme un rapport alléguant de la mauvaise santé du pape.

Certains ont argumenté que A.L n’est pas un acte du magistère pontifical. Le pape François dit ici : « Je voudrais qu’il soit clair que les discussions sur des sujets de doctrine, de morale ou de pastorale ne doivent pas toutes être réglées par des interventions du magistère. L’unité d’enseignement et de pratique est certainement nécessaire dans l’Eglise, mais cela n’exclut pas diverses manières d’interpréter certains aspects de cet enseignement ou d’en tirer certaines conséquences. » (3) Il ne dit pas là que cette longue exhortation est un acte privé qui reflète ses opinion s privées. Clairement, en tant que pape, il introduit un changement radical dans la pratique sacramentelle, qu’il voit simplement comme « une façon d’interpréter », ou « de tirer certaines conséquences. »

C’est regrettable. La nouvelle « interprétation » aura des conséquences qui iront loin et produiront beaucoup de chagrins et de divisions dans la vie de l’Eglise.

23 avril 2016

http://www.paroleetsilence.com/Cardinal-Christoph-Schonborn_auteur_80.html