Nous avons eu un jubilé de la miséricorde, mais nous n’aurons jamais fini d’intérioriser ce qu’elle signifie pour nous, en quoi elle est une perpétuelle conquête dont l’existence se charge de nous rappeler la difficulté. La visite que le Pape vient d’accomplir en Colombie nous en apporte une illustration particulièrement forte. En l’espèce, dans ce pays déchiré depuis longtemps par la guerre civile, la miséricorde s’offre à tout un peuple comme une exigence de réconciliation. Pour se réconcilier, il faut accomplir cette démarche intérieure, cette conversion qui change la rancœur, la volonté de vengeance en disposition à pardonner. Pardonner à l’adversaire qui vous a détruit, qui a tué les vôtres. Cécile Chambraud, envoyée spéciale du Monde en Colombie, rapporte le témoignage d’une femme, Pastora Mira Garcia : « On a assassiné son père quand elle avait six ans, son premier mari quand sa fille avait deux mois, sa fille Sandra Paola, enlevée par les paramilitaires et dont elle n’a pu récupérer la dépouille qu’après “l’avoir pleurée pendant sept ans”, son dernier fils Jorge Anibal, dont elle a d’ailleurs soigné l’assassin, un paramilitaire aussi. »
Le pardon de la part de cette femme à ses ennemis ne peut que nous plonger dans l’abîme de ce qu’est la miséricorde. François, après l’avoir entendue avec trois autres témoins qui avaient appartenu à l’autre camp, ne pouvait que se tourner vers la statue du Christ de Bojaya mutilée à la suite de l’attaque des FARC dans une église paroissiale où une centaine de fidèles avaient été tués : « En regardant cette statue, nous contemplons non seulement ce qui s’est passé ce jour-là, mais aussi tant de souffrance, tant de morts, tant de vies brisées et tant de sang versé en Colombie ces dernières années. »
C’est vraiment dans de pareilles circonstances que nous mesurons la portée des mots. Si la miséricorde doit entraîner la réconciliation, elle ne peut jaillir que du plus intime des personnes blessées, et de proche en proche entraîner un mouvement de concorde qui concerne tout un peuple, parce que c’est tout un peuple qui a été déchiré et qui doit retrouver une âme commune. La Colombie est-elle sur le point de témoigner d’un tel miracle ?
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 11 septembre 2017.