Raymond Aron, pour nous, demeure un phare de la pensée française au XXe siècle. Au fur et à mesure que le temps passe, on s’étonne que sa lucidité n’ait pas eu raison de l’aveuglement des intellectuels, ses contemporains. Au fur et à mesure que le temps passe, le prestige de son petit camarade de Normale Sup, Jean-Paul Sartre, s’amenuise, et la fameuse expression « Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » devient complètement incompréhensible. Raymond Aron a fait honneur à l’intelligence française, par sa droiture, à l’égal d’un Albert Camus, lui aussi récusé par les petits camarades et par les beaux esprits qui le traitaient de « philosophe pour classe Terminale ». Tant de condescendance nous paraît risible aujourd’hui et il est rafraîchissant de retrouver les écrits de ceux qui n’eurent que le tort d’échapper aux dégâts provoqués par « l’opium des intellectuels ».
Un ABéCédaire de Raymond Aron vient de paraître aux éditions de l’Observatoire, à l’initiative de la fille du philosophe, Dominique Schnapper et de Fabrice Gardel. Le Figaro en publiait hier des bonnes pages. J’en retiens une citation sur Cohn Bendit et son rôle joué pendant les événements de 1968 : « Je ne pouvais pas accepter que le général de Gaulle fut renversé par Cohn Bendit. C’était pour moi une humiliation nationale. Et ce qui était inacceptable, ce n’était pas les manifestations universitaires, c’était la transformation de ces troubles en révolution (…). Je n’étais pas tellement furieux contre le psychodrame, j’eusse été furieux contre la révolution. »
Que penserait aujourd’hui Raymond Aron de la révolte des Gilets jaunes ? L’événement, certes, n’est pas de la même nature que le psychodrame de 1968. Il a pourtant comme point commun de mettre en face-à-face la révolte de la rue et l’État. Emmanuel Macron n’est pas le général de Gaulle, mais il a hérité tout de même de la fonction présidentielle forgée par le fondateur de la Ve République. La question est de savoir s’il sera en mesure de sauvegarder l’autorité de l’État face à un phénomène qui ne se traduira sûrement pas en révolution, mais qui pourrait ébranler durablement notre équilibre politique et social.