Chacun connaît la plaisanterie qui court sur le président Calvin Coolidge, un homme peu disert. Il se rend à l’église un dimanche, sans Mme Coolidge restée à la Maison Blanche. A son retour, la première dame lui demande quel était le sujet de l’homélie du pasteur. « Le péché ». Qu’en a-t-il dit ? « Il était contre ».
Comme le « taciturne Cal », la plupart d’entre nous sont aussi résolument contre le péché.
Après les incidents de Charlottesville, les évêques américains ont créé un nouveau Comité ad hoc contre le racisme. Dans un podcast, le président du comité, l’évêque George V. Murry de Youngstown, a déclaré que le racisme était le « péché originel » de l’Amérique. Mais le racisme est rarement bien défini et ne peut se ramener à une simple antipathie ou à de la haine.
L’antipathie est une émotion. Saint Thomas d’Aquin distingue la haine, simple émotion, de la haine, péché délibéré (la haine entretenue et mise en oeuvre). C’est pourquoi, je vais utiliser le terme « antipathie » pour parler de l’émotion et le terme « haine » pour parler du péché.
Il existe de nombreuses raisons de trouver antipathiques certains sujets sans pour autant commettre de péché. On peut ne pas aimer les Beatles ou le rap ou encore des aliments inhabituels. Nombre d’entre nous sont humiliés et horrifiés par la « culture » (ou plutôt le manque de culture) que des membres de notre propre race ont adoptée.
Mais la raison doit contrôler nos émotions. Quand nous laissons nos antipathies dégénérer en haine, malveillance et discrimination injuste, nous péchons contre Dieu et contre l’homme. Si cette malveillance se fonde sur des mobiles raciaux, nous commettons le péché de racisme.
Nous pouvons aussi être des racistes involontaires et condescendants sous des dehors sentimentaux.
Les plaisanteries ethniques, la constatation de caractéristiques raciales évidentes, et même les monuments et les statues militaires sont de plus en plus considérés comme des preuves de racisme. Encore un peu de temps et l’accent sudiste sera considéré comme raciste. Cependant, le sens commun établit une distinction entre la mauvaise et la bonne volonté, entre un grief légitime et une sensibilité exacerbée. Une plaisanterie ethnique peut être un terme d’affection, comme les plaisanteries sur les mères juives ou italiennes. La même plaisanterie, exprimée dans un esprit différent, risque d’être une insulte malveillante.
La définition de certaines caractéristiques raciales ou ethniques peut relever de la science (la carrure et les capacités athlétiques) ou de l’humour (par exemple, l’équipe de football « les Irlandais combatifs» de l’Université Notre Dame). Et il n’est pas défendu de souligner les caractéristiques raciales pour identifier des suspects. Même un profilage racial ou ethnique intelligent ne saurait être considéré comme raciste, quand il s’agit de combattre le terrorisme. Mais la haine des gens qui présentent ces caractéristiques peut être raciste.
Comment faire la différence ?
Le péché de haine prend racine dans le péché d’Adam, le péché originel (et ses conséquences) ainsi que dans nos péchés individuels. Il prend également racine dans le déni de la dignité d’un autre être humain créé à l’image de Dieu. Voici donc une définition pratique : le racisme est le refus délibéré et habituel de reconnaître et de respecter la dignité à part entière d’une personne créée à l’image de Dieu en se fondant sur des motifs raciaux ou ethniques.
Parmi les facteurs à prendre en compte, il y a les griefs historiques non résolus ou purulents qui sont souvent aggravés (voire délibérément cultivés) par une résurgence de la scène du crime génération après génération. Prenez pour exemple les Hatfields et les McCoys1. Le racisme est une voie ouverte à tous et un péché multiculturel. Le précepte chrétien qui impose de pardonner à ses ennemis s’applique à tous et s’avère indispensable pour surmonter la haine.
Le Ku Klux Klan et les néo-nazis sont à juste titre considérés comme de déplorables formes modernes du racisme. Fait curieux, le racisme des suprématistes et antisémites noirs comme Louis Farrakhan («un chef religieux américain, un militant afro-américain et un commentateur social » Wikipedia)2 n’est pas inclus dans la liste. Et un harcèlement racial sans frein, contestant les motifs des adversaires politiques, est devenu monnaie courante sous une forme virulente. En 2012, Joseph Biden, alors vice-président, a déclaré dans un discours de campagne à des Afro-Américains que ses adversaires du parti républicain les « chargeraient de nouveau de chaînes ». Vraiment ?
Certains cas très clairs de racisme sont quasiment passés sous silence. Méditez ce récent rapport : « Cet homme de vingt-deux ans [Fredrick Demond Scott] soupçonné d’avoir tué par balle cinq Blancs d’âge moyen depuis l’an dernier (dont quatre sur des sentiers pédestres du sud de Kansas City) a menacé en 2014 de tirer sur une école et de « tuer tous les Blancs », selon les pièces du dossier… Scott qui est noir a été inculpé de meurtre sur la personne de Steven Gibbons, cinquante-sept ans, et de John Palmer, cinquante-quatre ans… Les policiers ont déclaré qu’ils ne savaient pas si les meurtres avaient un mobile racial ». Vraiment ?
Mais, sous ses formes les plus subtiles, le racisme est parfois considéré comme acceptable en bonne compagnie, surtout quand il s’appuie sur une condescendance prenant l’aspect de l’affection et de la sensibilité. Par exemple, afin de prendre en compte les différences ethniques, les normes universitaires, voire morales sont révisées à la baisse pour inclure davantage d’étudiants, « la tartuferie complaisante des aspirations modestes ». Un coup de main aux défavorisés est très louable, mais ne pas stimuler l’esprit humain au moyen de normes morales et universitaires objectives revient effectivement à nier la dignité humaine.
Les programmes dits « multiculturels » (et au sein de l’Eglise les paroisses multiculturelles) sont des exemples probants de ce racisme complaisant fondé sur la sentimentalité. Il existe de nombreux programmes dédiés à la diversité, comme un « ministère afro-américain » et un « ministère latino-américain », mais pas de « ministère pour les Américains blancs ».
Apparemment, il n’est pas nécessaire de desservir les paroisses des Blancs en tenant compte de la culture « blanche » (à supposer qu’elle existe). Sans doute parce que ce sont surtout des Blancs qui assurent des ministères multiculturels et ces programmes révèlent une condescendance sentimentale et irréfléchie, soit une forme de racisme réel et institutionnel, bien qu’involontaire.
Si ces programmes étaient effectivement fondés sur l’image de Dieu, ils comprendraient une identification systématique d’organisations vraiment racistes comme la Planned Parenthood (le planning familial). Après tout, la Planned Parenthood a été fondée par Margaret Sanger, une raciste eugéniste, qui visait le contrôle et l’extinction des minorités ethniques (vous n’avez qu’à vérifier).
Ces remarques n’impliquent pas que les tentatives de comprendre les différences ethniques et raciales soient inutiles dans les domaines des relations humaines et de l’évangélisation. Nos différences dépassent de loin la diversité ethnique et raciale et toutes les différences entraînent des défis, mais aussi des moyens d’enrichir la vie. C’est pourquoi voir dans une personne « un enfant de Dieu » doué de la même dignité suppose des efforts pour cerner les diverses tendances des influences et pratiques culturelles et pour distinguer le bien du mal, ainsi que de fréquents examens de conscience quand la bonne volonté vient à manquer. La compréhension mutuelle ne découle pas d’un pesant programme bureaucratique, mais de la générosité d’esprit, de l’attention à la dignité d’autrui et d’une formation chrétienne (ou tout au moins religieuse) générale.
En outre, une étude de l’histoire tenant honnêtement compte du contexte (et évitant les dérapages de l’actualisation) permet de guérir les blessures sociétales. La généalogie du Christ dans l’Evangile de saint Matthieu comprend plus d’un malfaiteur et pourtant les évangélistes les mentionnent. Pierre, le premier des apôtres, n’a pas manqué de trahir le Seigneur pendant Sa Passion. Le message du Christ et l’Eglise ont survécu. En fait, le message du Christ apparaît plus fort et plus encourageant dans le contexte des faiblesses et trahisons humaines.
L’histoire est pleine de bons et mauvais larrons, et même les bons larrons peuvent être mauvais à l’occasion. Nous pouvons être assurés de survivre si nous analysons notre passé de manière critique et honnête et appliquons avec sagesse les enseignements à en tirer. Mais nous devons d’abord nous efforcer de voir l’image de Dieu dans chaque être humain, de connaître le mal qui dégrade cette dignité et de demander pardon quand nous échouons.
Il est bon que les évêques américains prennent fermement position contre le racisme, mais je crois très franchement que les catholiques s’opposent au racisme depuis l’époque du Christ.
Samedi 2 septembre 2017
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/09/02/racism-and-catholicism/
Photographie : Antifas contre néonazis à Charlottesville.
Le père Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est le curé de la paroisse Sainte Catherine de Sienne de Great Falls (Virginie).