Une vieille femme de 98 ans est morte récemment. Il a fallu qu’elle meure, il y a seulement quelques jours, pour que j’entende parler d’elle à travers quelques informations qui concernent sa vie : je ne l’oublierai jamais.
Irena Sendler Krzyżanowska avait grandi dans une banlieue ouvrière de Varsovie : son père était un médecin engagé dans l’action sociale auprès des pauvres. Cet exemple l’a sans doute marquée pour toute sa vie.
Elle avait appris la plomberie et la serrurerie. Mais pourquoi ces métiers-là ? De beaux métiers assurément, et d’une utilité très parlante. Surtout dans les années de guerre. Et l’on sait ce que fut la dernière guerre pour les juifs ! Dès les premiers jours de l’occupation allemande, elle s’engagea au Département de l’Aide Sociale à la mairie de Varsovie : là, elle eut à organiser l’aide aux plus défavorisés, qui étaient légion. La plomberie et la serrurerie ne lui servirent probablement à rien… Mais alors ? En fait ils furent pour elle une sorte de passe-partout : du moins dans ce ghetto de Varsovie où elle voulait se rendre. Elle avait demandé à Zegota, Commission d’aide aux Juifs créée par le Gouvernement polonais en exil à Londres, l’autorisation d’y travailler. C’était au début de la deuxième guerre mondiale…
À nouveau je m’interroge : pourquoi précisément le ghetto, ‘’ce’’ ghetto là ? Un détail de sa courte biographie indique qu’elle « connaissait les plans d’extermination des nazis envers les juifs ». Sans doute sa nationalité allemande, quoique son second nom de famille soit polonais (Sendler Krzyżanowska), avait dû lui permettre d’entendre parler de ces plans, également de se procurer les documents qui les décrivaient et les précisaient. Comment avait-elle fait ? Rien n’est dit à ce sujet, mais il serait important de le savoir.
Le groupe auquel elle était rattachée s’occupait de composer de faux papiers : certificats de naissance, enquêtes familiales en vue de découvrir des familles d’accueil ou des institutions à même de garder ces dangereux petits juifs dont elle assura la sauvegarde !
La seule chose de certaine en effet c’est qu’elle voulait « sauver des enfants ». Tous les enfants si possible ! C’est pourquoi elle s’était procuré une grande boîte afin d’y mettre bien à l’aise ses outils. Dans cette boîte qu’elle transportait dans le coffre de son véhicule, elle mettait également un grand sac. Dans la boite, Irena pouvait cacher un petit enfant ; dans le sac un plus grand ! Elle faisait ainsi chaque jour. Simplicité du miracle !
Dans sa voiture, elle gardait avec elle un chien : elle l’avait dressé à aboyer lorsque les soldats allemands, afin de la contrôler, l’arrêtaient à l’entrée comme à la sortie du ghetto. Ainsi, s’était-elle dit, s’il arrivait qu’un de ces enfant se mette à s’agiter ou à pleurer, le bruit serait couvert par celui du chien. Ce chien fut pour elle d’une aide infiniment précieuse.
En décembre 1942, la Commission d’aide aux Juifs la nomma chef du département de l’enfance. Elle avait à organiser le passage clandestin des enfants du ghetto vers les familles et les institutions à Varsovie, Turkowice et Chotomów, cités proches de la capitale.
Qu’on juge de son efficacité : elle parvint à sauver quelques 2.500 enfants, grâce à sa boite à outils pour petits et au sac pour grands enfants ! C’est prodigieux, bouleversant, admirable. Les adjectifs sont faibles mais le cœur les reçoit en y ajoutant tout ce qui leur manque.
Il y eut un jour néfaste pour les enfants du ghetto qui restaient à sauver : le 20 du mois d’octobre 1943, des gens de la Gestapo, ayant eu connaissance de son activité, arrêtèrent Irena. Ils la conduisirent à la prison de Pawiak et la traitèrent d’une façon atroce, lui brisant notamment les jambes d’une telle façon qu’elle restera infirme jusqu’à sa mort.
Malgré les tortures, elle n’avoua rien de son réseau, de son fonctionnement, rien sur les détails de son activité. Par exemple, elle avait pris l’habitude d’inscrire sur des bouts de papier les noms des enfants, les dates de leur pauvre existence, leur état-civil, les renseignements qui concernaient les familles d’accueil : elle avait caché précieusement ces informations si importantes qui allaient plus tard, après la guerre, permettre aux enfants de retrouver leur véritable identité, peut-être de retrouver leurs parents : même si l’on se doute que nombre d’entre eux avaient quitté cette terre de malheur et de misère.
Cette bibliothèque vivante, elle la gardait, vrai trésor, dans une jarre en verre. Pour être sûre du secret, elle allait derrière sa maison l’enterrer au-delà d’un grand arbre au fond du jardin.
Manquent nombre de précisions sur son arrestation, les tortures subies, sa condamnation à mort, mais qu’importe, la moisson qu’elle avait ainsi subtilisée à la mort reste l’un des plus hauts faits d’humanité qui se puisse concevoir.
Par bonheur, le réseau Żegota réussit à la faire transférer hors de sa prison en achetant ses gardiens.
Quand l’heure fut venue, elle fit déterrer la jarre aux deux mille cinq cents noms, sa famille de cœur : elle le remit à Adolf Berman, qui présidait alors le Comité Juif en Pologne, qui put ainsi retrouver quelques deux mille enfants.
Un pourquoi nouveau : comment se fait-il qu’elle soit restée si longtemps une inconnue ? Certes, Yad Vashem ne pouvait que connaître son nom et son histoire : elle reçut donc en 1965 le titre glorieux de « Juste parmi les Nations ». Puis ce fut la Pologne qui songea à l’honorer, une fois indépendante : ainsi la médaille de l’Ordre de l’Aigle Blanc, la plus haute distinction civile polonaise, vint orner sa poitrine. Lech Kaczynski, premier ministre de Pologne, désira qu’Irena soit élevée « au rang d’héroïne nationale » : la proposition fut adoptée à l’unanimité par le Sénat en mars 2007.
Le même Sénat recommanda que l’on fasse diligence pour que soit déposée sa candidature au prix Nobel pour la Paix. Lisant cette information, je me fis la remarque que c’était évident qu’elle allait recevoir cette distinction prétendue être le summum incontestable de toute distinction. Mais un politicien états-unien, Al Gore, venait de sauver, dit-on, la planète menacée par le réchauffement climatique : il fut donc préféré à celle qui n’avait, après tout, réussit à sauver que 2500 enfants, quoique cela ne fut fait qu’au risque de sa propre vie.
Al Gore accepta la récompense sans la moindre hésitation. L’honneur eut voulu qu’il se tourna symboliquement vers Varsovie où Irena vivait et lui offrit ce qui entre ses mains n’était qu’une médaille en chocolat tandis que, dans celles d’Irena, elle aurait brillée de l’or de l’amour.