Question : quel lieu saint italien loin de Rome a été visité en pèlerinage par saint Thomas d’Aquin, Catherine de Sienne, Bernard de Clairvaux, François d’Assise et plusieurs papes, dont saint Jean-Paul II ? Vous seriez peut-être désireux de rejoindre cette illustre compagnie ?
Réponse : le sanctuaire Saint-Michel de Monte Sant’Angelo, sur les pentes du Mont Gargan donnant sur l’Adriatique, situé sur « l’éperon » de la botte que constitue l’Italie. Le sanctuaire lui-même se situe dans une grotte, un ancien site de vénération païenne où, selon la tradition hagiographique, l’archange saint Michel est apparu en 490. Il demanda qu’un sanctuaire soit bâti en son honneur et assura que ceux qui l’invoqueraient seraient protégés dans les batailles contre les incursions militaires païennes. Le pape Gélase I approuva le sanctuaire en 493.
J’ai dit que François d’Assise avait visité le sanctuaire, mais c’est seulement façon de parler. Le grand saint a fait le voyage jusqu’au Mont Sant’Angelo, mais s’est considéré trop indigne de rentrer dans la grotte une fois arrivé. Il s’est contenté de faire un signe de croix avec le doigt sur une pierre à l’extérieur.
Il se peut que vous déclariez : je n’ai jamais entendu parler de ce grand lieu de pèlerinage. C’était également mon cas jusqu’à récemment. Mais peut-être que, comme moi, vous souhaiteriez connaître les moyens et opportunités d’y aller une fois la frayeur pandémique terminée ?
Le Mont Sant’Angelo ressemble beaucoup au Mont-Saint-Michel, à l’autre bout de l’Europe, fondé au début des années 800 après que Saint-Michel soit également apparu là, demandant à l’évêque de lui construire un sanctuaire. Ces deux sanctuaires illustrent ensemble quatre marques importantes de la dévotion à saint Michel : l’antiquité, l’exogénéité, la catholicité et l’urgence.
Tout d’abord l’antiquité. La dévotion à saint Michel est une chose au sujet de laquelle je me serais autrefois arraché les cheveux. Ce n’est pas quelque chose qui, selon les principes protestants, aurait dû exister dans le « christianisme primitif ». Et pourtant c’est le cas, depuis le commencement. Du moins cela se manifeste dès que le christianisme se manifeste publiquement. Vers 324, l’empereur Constantin a bâti le Michaelion, une église en honneur de l’ange, après que ce dernier lui soit apparu et l’ait aidé à gagner une bataille. L’iconographie représentant Saint-Michel en soldat tuant le serpent Satan date de cette époque. Mais Constantin confirmait une tradition de dévotion ayant déjà plusieurs siècles.
Deuxièmement, l’exogénéité. C’est un mot élaboré que les économistes utilisent pour des causes qui viennent « d’au dehors » d’un système. C’est un fait que la dévotion à Saint-Michel est exprimée au sein d’une tradition pieuse non comme une construction ou une invention de la piété humaine, mais comme une réponse à des interventions particulières de l’ange venant de l’extérieur. L’ange est perçu comme une entité surnaturelle qui se manifeste et donne des instructions précises aux chrétiens pour l’honorer en des lieux donnés. La fameuse prière à Saint-Michel du pape Léon XIII, assez semblablement, a été composée par le grand pontife après une syncope suite à une vision oppressante de démons l’assaillant.
Troisièmement, la catholicité. Je veux dire par là que la dévotion à Saint-Michel a surgi dans toute la chrétienté. Mais également que, apparemment, dans le projet de Dieu, cette dévotion aime à « prendre la relève » de la dévotion païenne. La grotte du Mont Sant’Angelo était un lieu de vénération païenne. En Allemagne, les sanctuaires dédiés à Saint-Michel ont supplanté des lieux qui étaient précédemment dédiés au dieu nordique Odin (Wotan) – comme si les gens sentaient que ce qui était trouvé attirant dans le faux dieu se trouvait véritablement dans la vertu de cet ange puissant.
Saint Michel fait généralement appel à l’imagination humaine. Je l’ai vu dans ma propre vie : un ami sculpteur, même pas catholique ni même chrétien, mais inspiré par l’exemple d’une jeune famille catholique plongée dans ce qui semble souvent un monde hostile, a fait pour moi une statue honorant mon nom de baptême. Il l’a travaillée de telle manière que, vue sous un angle, c’est un ange puissant armé d’une épée, et, regardé d’un autre côté, un enfant protégé par la présence de ses parents.
De ce fait, sans le savoir, mon ami a capté dans une seule œuvre les deux ministères traditionnellement attribués à Saint-Michel : le premier, fort connu, est de mener des batailles spirituelles ; le deuxième, à peine connu, est qu’il a été regardé dès les premiers siècles de l’Église comme grand guérisseur et protecteur.
Quatrièmement et pour finir, l’urgence. « Il est vrai que « les puissances de la mort ne l’emporteront pas », comme l’a assuré le Seigneur (Matthieu 16, 18) mais cela ne veut pas dire que nous sommes exemptés d’épreuves et de luttes contre les pièges du Mauvais. » C’est ce qu’a dit saint Jean-Paul II quand il a visité le Mont Sant’Angelo, expliquant que les prières à saint Michel revêtaient une certaine urgence à toutes les époques.
Notons que la prière d’exorcisme que Léon XIII a composé pour accompagner la prière à Saint Michel et qu’il a récité plusieurs fois par jour, mentionne que les démons avaient déjà assiégé les lieux les plus saints – cela durant un pontificat que certains considèrent maintenant avec nostalgie.
« Cette bataille contre le démon qui caractérise l’archange Saint-Michel reste pertinente de nos jours, parce que le démon est toujours vivant et à l’œuvre dans le monde. De fait, le mal qui s’y trouve, le désordre que nous constatons dans la société, l’incohérence de l’homme, la fragmentation intérieure dont il est victime, ne sont pas uniquement la conséquence du péché originel mais également les effets de l’activité ténébreuse et envahissante de Satan, de ce saboteur de l’équilibre moral de l’homme. Saint Paul n’hésite pas à l’appeler « le dieu de ce monde » (2 Corinthiens 4, 4), dans la mesure où il se montre en enchanteur trompeur, qui sait comment s’insinuer dans nos actions afin d’y introduire des déviations aussi destructrices qu’apparemment conformes à nos aspirations instinctives. »
D’où, encore une fois, les paroles de Jean-Paul II [son discours lors de la visite du sanctuaire]. Je ne connais pas de meilleure description de l’urgence du combat spirituel aujourd’hui, pour lequel Saint-Michel est le remède catholique.