Jean-Paul II a souligné l’importance cruciale de la philosophie grecque pour éviter à l’Église de tomber dans une espèce de superstition. Les Pères de l’Église ont recruté à leurs côtés les pères de la philosophie pour « mettre en lumière le lien entre raison et religion ».
Et « alors qu’ils élargissaient leur point de vue pour y inclure des principes universels, ils ne se contentaient plus des mythes anciens, mais voulaient fournir un fondement rationnel à leur croyance en la divinité ». Cela fait la plus grande différence car, comme il l’a dit dans Fides et Ratio, « la vérité conférée par l’Apocalypse » est « une vérité à comprendre à la lumière de la raison ».
Sous l’impulsion de cet enseignement, Jean-Paul II se mit de nouveau en désaccord avec les courants d’opinions populaires qui érodaient le sens même de « religion ». Il est devenu trop familier parmi les hommes politiques, les juges et les gens ordinaires d’identifier la religion, non pas avec des vérités, mais avec des « croyances ». Et les croyances n’ont aucune prétention à être valables pour quiconque ne les partage pas.
Le grand détricotage est venu des cas d’« objection de conscience » concernant le service militaire. Au moment de la Première Guerre mondiale, les exemptions du service militaire étaient accordées aux opposants appartenant à « toute secte ou organisation religieuse bien reconnue ». En 1940, les exemptions furent accordées à ceux dont les opinions avaient été façonnées par « une formation religieuse ou croyance » et, en 1948, le privilège est lié à la croyance en un « Être Suprême ».
Mais ces constructions ont donné l’avantage aux Églises et aux sectes déjà établies, avec des corpus de théologie déjà formés. Une par une, la Cour suprême s’est mise à démanteler ces exigences, qui ne laissaient aucune place à de nouvelles révélations, des révélations sans lien avec cet Être suprême si largement compris lors de la Fondation (des États-Unis, NdT). La Cour a commencé à reconnaître, en tant que motif défendable d’« objection de conscience », les croyances au sujet du bien et du mal, entretenues avec le genre de passion qui semblait « parallèle à celle remplie par la croyance orthodoxe en Dieu ».
De nos jours, nous voyons ce sens des choses se refléter chez certains de nos amis qui cherchent à défendre la « liberté religieuse » devant les tribunaux en supprimant, de la compréhension de la religion, toute insistance sur la présence de Dieu – ou tout test moral des enseignements offerts au nom de la religion. Tout ce qui est demandé est de savoir si une personne adhère « sincèrement » à ses opinions.
Mais ce test est précisément apprécié car il évite tout jugement sur la vérité de ce qu’une quelconque religion prétend enseigner. Bien sûr, nous ne voudrions pas que des juges ou des législateurs portent des jugements sur toutes les questions de la foi, comme la Trinité, mais ce n’est pas au-delà de la raison que l’on puisse juger les affirmations faites à propos du satanisme comme l’affirmation radicale du mal.
Et pourtant, sous la dérogation actuelle, les bénédictions et les prières ont été autorisées avant l’ouverture des sessions législatives, et nous avons ainsi trouvé une nouvelle industrie de croissance pour les satanistes en faisant ces bénédictions. Pas seulement les satanistes, mais même certains officiants auto-proclamés dans l’Église du Monstre en spaghettis Volant. Une photo récente montre un « ministre » de ce club offrant une bénédiction avec une passoire sur la tête.
Jean-Paul II avait vivement mis en garde contre la tendance à accorder facilement à la « conscience individuelle le statut de tribunal suprême de jugement moral » :
De cette façon, les affirmations incontournables de la vérité disparaissent, cédant leur place à un critère de sincérité, d’authenticité et d’« être en paix avec soi-même », à tel point que certains en sont venus à adopter une conception radicalement subjectiviste du jugement moral.
Mais nous découvrons à nouveau que la « modernité » n’est pas aussi récente que nous le pensons habituellement. Ainsi, nous trouvons le Bienheureux John Cardinal Newman qui, en 1875, notait cette nouvelle erreur déjà en gestation.
« Quand les hommes prônent les droits de la conscience », écrit-il, « ils ne signifient en aucun cas les droits du Créateur, ni le devoir envers lui, mais le droit de penser, de parler, d’écrire et d’agir selon leur jugement ou leur humeur, sans aucune pensée de Dieu. »
Ce passage de Newman est rappelé par Gerard Bradley, de la faculté de droit de Notre-Dame dans sa présentation d’un nouveau livre, Unquiet Americans: U.S.Catholics and America’s Common Good (« Américains inquiets : les catholiques des USA et le bien commun de l’Amérique »). Beaucoup de nos amis sont tombés dans une ornière en essayant de protéger la liberté religieuse à travers l’expédient consistant à supprimer le mot D-diviseur (Dieu), ainsi que tout test de vérité morale.
Mais comme Bradley le voit si clairement, « une fois que Dieu est retiré de la scène… la seule source de valeur est l’individu » :
Lorsque le droit constitutionnel américain a imaginé une Amérique laïque, ce n’était qu’une question de temps avant que la religion ne devînt une entreprise individualisée et non axée sur la concurrence. La liberté religieuse ne pouvait alors que s’effondrer inévitablement en une liberté de manifester son identité personnelle, y compris (pour beaucoup) une marque spirituelle idiosyncratique.
Par conséquent, nous arrivons à l’ère de la « politique identitaire » où la religion est réduite à la religion de soi et à sa recherche de « sens ». Le professeur Bradley considère que le but de son nouveau livre est de « restaurer la vérité morale comme fondement de notre droit des libertés civiles »- et, en fait, de toutes nos lois.
Le livre de Bradley marque un autre mouvement notable, même du côté des conservateurs, de rompre avec la réticence persistante de la « jurisprudence conservatrice » d’avoir des juges qui s’engagent à raisonner sur la substance morale des lois. Et sur ce sujet, d’autres choses vont sûrement suivre.
(9 octobre 2019)
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/10/09/steps-from-god-to-the-religion-of-the-self/
Photo : Un ministre “pastafarien” (représentant l’Église du Monstre en spaghettis Volant) lit une invocation lors de la réunion d’une Assemblée locale en Alaska, le 18 Septembre 2019 [photo: Megan Pacer/AP]
Hadley Arkes est le professeur émérite de la chaire Ney de Jurisprudence à Amherst College. Il est également fondateur et directeur de l’Institut James Wilson sur les droits naturels et la fondation de l’Amérique, basé à Washington. Son livre le plus récent est Constitutional Illusions & Anchoring Truths: The Touchstone of the Natural Law (Illusions constitutionnelles et vérités fondamentales ; la pierre angulaire de la loi naturelle). Le Volume II de ses conférences audio sur The Modern Scholar, First Principles and Natural Law (le savant moderne. Premiers principes et loi naturelle) est à présent téléchargeable.