Le sectarisme chronologique – une opposition aveugle à ce qui est ancien, une préférence par défaut pour ce qui est nouveau – s’est illustré pour moi sous l’apparence d’une jeune guide me montrant les bâtiments d’une université catholique.
Il y avait une ancienne section et une nouvelle section. La première était une structure néo-gothique simple couronnée de tours, taillée dans de la pierre solide. Il y a quelques décennies, ce bâtiment impressionnant formait la totalité de l’université, avec son ensemble de statues et sa simple chapelle, avec pourtant un modeste jubé et d’autres touches du passé. Heureusement, mon guide pour cette partie de l’institution était un prêtre âgé, ne cherchant en aucune façon la polémique, mais bien familiarisé avec les anciennes coutumes.
La vieille université a un jour été vraiment pleine de monde, apparemment des personnages mémorables – des ombres en soutane, des moines en froc, des religieuses en habit – et même des universitaires séculiers en toge. Tranquillité studieuse, respect mutuel. Les qualités intemporelles.
Les nouveaux bâtiments, émanation de bienfaiteurs très fortunés, s’étendaient au-delà de ce bâtiment originel. Ils étaient orientés dans diverses directions, et abondamment desservis en places de stationnement. Et fragiles : j’ai vu des murs que j’aurais pu transpercer d’un coup de poing. Des concierges qui veillaient à la propreté des résidences. Des petits ordinateurs, au lieu de livres, sur les tables. Des T-shirts, même sur le dos des filles.
Cela ressemblait pour moi à un camp de réfugiés high-tech, ou à quelque grande station d’attente.
Alors que dans la vieille université, l’attention était portée sur l’art et le détail dans chaque centimètre carré. La pérennité était à disposition. La seule chose bâclée se trouvait être les récents dispositifs de sécurité : aucun effort n’avait été fait pour les assortir à l’aspect d’ensemble ou aux solides matériaux du vénérable bâtiment ; juste des panneaux pictographiques éparpillés ici et là.
Dans le « neuf », tout était accroché ou branché d’avant-hier. Rien n’aura besoin d’être réparé mais tout devra être remplacé d’ici quelques décennies. J’ai remarqué un plafond avec des infiltrations ; déjà des fissures. La nature pourrait rendre ce lieu inhabitable (sauf pour la vie sauvage) en une saison ou deux. Cela ne laissera même pas de ruines.
(Etant dans la soixantaine, je vois des choses ayant été construites dans mon enfance pour un coût extravagant être démolies comme si cela allait de soi.)
L’honorable lecteur, s’il a passé pas mal de temps dans des « institutions d’études supérieures » ou partout ailleurs connaît sûrement cela ; surtout s’il est affligé d’une vue perçante. La vieille maçonnerie élève le cœur, ou du moins essaie de le faire, même quand elle est encombrante et victorienne ; le neuf brouille la vue.
Le cœur intelligent qui est élevé se rapproche de Dieu ; le cœur qui ne l’est pas pense seulement : « où trouve-t-on du café par ici ? (Ah, le Starbucks est par là!)
La jeune guide était également différente du vieux guide. Elle semblait presque (mais pas tout à fait) fière de toute la nouveauté flambant neuf. Quand elle nous indiquait l’université originelle, elle s’excusait vraiment pour son caractère obsolète.
J’ai réfléchi que cela nécessiterait un permis de démolir de premier ordre pour l’abattre. Un important et coûteux travail de commission. La bureaucratie protège par sa propre ineptie.
Après coup, la jeune dame a ajouté : « mais c’est beau. » Une merveilleuse concession de sa part.
La tradition entretient, la révolution détruit.
La beauté aussi entretient. Elle donne vie. L’homme ou la femme environné de belles choses est, consciemment ou inconsciemment, élevé par elles ; rapproché de Dieu, presque involontairement. La grâce émeut mystérieusement à travers nos constructions anciennes, et pourrait le faire également à travers les modernes – si elles étaient belles.
Je ne veux pas dire par là « jolies » ou « cool », sans même parler de « fonctionnelles » – à moins que nous n’admettions que « fonction » puisse avoir une signification spirituelle aussi bien que pratique. Quelque chose qui réalise le travail et est ensuite éliminé ne peut pas participer à la beauté ou à la paix. Cela devient – ou plutôt c’est depuis le commencement – une partie du « problème environnemental » auquel il était peut-être destiné à répondre.
J’utilise des grands mots qui, je l’espère, seront parlants. « Environnemental » mérite six syllabes. Actuellement ce mot porte une charge idéologique ; il ruine son objectif originel. Il implique, comme tous nos concepts modernes, le progrès ou la régression. Il rend toute chose opportune. Il est incroyablement mélangé avec des concepts tels que l’économie et l’hygiène. Il fait de la beauté une réflexion rétrospective.
C’était la sagesse des anciens – pas seulement chrétiens – que de chercher la beauté dans tout visage publique ou privé. L’instinct humain avait l’habitude de faire chaque objet pour qu’il semble correspondre à son usage.
Une cathédrale, par exemple, était conçue pour être ainsi « adaptée ». La forme suit parfaitement la fonction à Chartres. Les Chinois nous ont donné l’expression culte « feng shui » et d’autres des cours particuliers de géomancie (NDT : divination fondée sur l’analyse de figures géométriques, je me demande si l’auteur ne voulait pas plutôt évoquer une autre pratique qui consiste à déterminer le lieu exact où construire et l’aspect que doit avoir le bâtiment en fonction de son environnement naturel), que nous trouvons plutôt déconcertante de nos jours, et bien sûr non scientifique, donc futile.
Pour nous, tout l’environnement bâti est futile, car dans l’inversion des valeurs contemporaine, nous rejetons les choses simples. Le matériel a été spiritualisé d’une façon nihiliste. Rien de ce qui est façonné par des mains humaines ne peut avoir d’importance intrinsèque, hormis dans la mesure où cela fait avancer nos foi et croyances progressistes.
Pourtant tout progrès authentique est cumulatif. La « science » que nous adorons est une accumulation de découvertes qui n’ont pas été perdues. Toute avance vient d’une avance précédente, et est de ce fait « traditionnelle » dans le plus pur sens du terme.
Celui qui réinvente la roue tourne en rond. La personne qui condamne la roue parce que elle est si ancienne et ennuyeuse, n’est pas seulement révolutionnaire mais dément.
Le même est vrai dans le domaine esthétique. Nous bâtissons sur ce que nous n’avons pas perdu. Nous créons – si nous sommes sensés – au vu de ce qui a été créé.
Il me semble que les roues sont sorties de notre imagination culturelle. Pas étonnant que notre « progrès » ne fait que nous dégrader. Il nous sape le moral.
David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : la cour d’honneur de l’université Merton à Oxford (bâtie vers 1378).
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/06/07/something-old-something-new/