Quelles conditions légales pour un déconfinement des cultes ? - France Catholique
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Quelles conditions légales
pour un déconfinement des cultes ?

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© Pascal Deloche / Godong

Le droit et les pratiques juridiques qui sont nés de la crise sanitaire du covid19 auront été au sens chimique du terme un révélateur. Quelle place a encore la liberté de religion, en 2020, dans nos sociétés occidentales d’État de droit, démocratique et laïque ? La réponse diffère d’un État à l’autre confronté pourtant à la même pandémie, à égalité, depuis le cas des États-Unis et la souveraineté de leur 1er Amendement, à nul autre pareil, qui n’ont pas interféré sur les cultes, jusqu’au cas de la France qui a laissé ouverts parmi les « établissements recevant du public » les lieux de culte, mais sans ouvrir un cas explicite de déplacement vers ceux-ci, n’a permis que les funérailles religieuses rassemblant « dans la limite de 20 personnes», en pratique a peu facilité les cultes (comme l’exercice des aumôniers, non reconnus) et enfin n’envisage de déconfinement des rassemblements cultuels qu’à la mi-juin. Le format de cette tribune nous prive d’une comparaison entre pays. Restons-en au singulier cas français.

La France est une « République laïque » (art 1er Constitution), ce qui est une affirmation que ne renie pas non plus la presque totalité des démocraties libérales d’Occident qui n’en tirent pour autant pas les mêmes effets, ni de droit ni de pratiques. La liberté religieuse est chichement citée en tant que telle dans les textes à valeur constitutionnelle français : la Déclaration de 1789 protège les opinions « même religieuses » (art 10), le préambule de 1946 respecte « toutes les croyances ». Mais la liberté religieuse ne revêt pas qu’une dimension de for intérieur, à pratiquer chez soi, voire devant un écran. Elle est aussi manifestation collective et parfois extériorisée dans l’espace public. Finalement, c’est la loi de 1905 qui aura le mieux protégé, en théorie, « le libre exercice des cultes » (art 1er), en lui reconnaissant cet incontestable volet, surtout depuis la reconnaissance de sa valeur supralégale par une décision de 1977 du conseil constitutionnel. Cela suffit-il ? Car de la manière dont chaque gouvernement « joue le jeu » de la laïcité et du respect des cultes, au cours de l’histoire, dépend beaucoup la pratique. Sans polémique, constatons, à Constitution identique, que la laïcité « à la de Gaulle » n’est pas la laïcité « à la Mitterrand » ou « à la Macron » ! Des tendances contemporaines peuvent naître et surtout s’enkyster.

C’est un fait que la crise sanitaire du Covid19 a contraint tous les cultes à s’adapter avec raison et tous les États à prendre des mesures de préventions sanitaires affectant aussi les cultes, de manière contrastée comme il a été dit plus haut, selon leur droit et habitudes nationales. En France, un article du code de la santé publique issu de l’alerte du SRAS en 2004 a été dans un premier temps activé (article L. 3131-1, par décret du 16 mars 2020), puis modernisé par la loi du 23 mars 2020 : c’est le nouvel article L. 3131-15. Sur la base du premier moyen d’action, l’interdiction des cultes aurait été très fragile devant un juge. C’est d’ailleurs ce qui explique que les interdiction par arrêté des 4 mars, 9 mars et 13 mars de rassemblement de plus de 5000, plus de 1000 puis plus de 100 personnes sont muets sur les cultes et ne les interdisent pas sous réserve de cette jauge ; c’est pourquoi aussi les autorités sanitaires ont elles compté davantage sur les autorités religieuses pour restreindre de leur propre chef les cultes (la CEF, par ex., anticipe par communiqué le 17 mars les interdictions légales des cultes, qui n’interviendront que par décret du 23 mars 2020).

Tout évolue à compter de la loi d’urgence sanitaire. La modernisation et l’amplification de « l’arme anti covid19 » du code de la santé publique donnent une base légale très difficile à surmonter pour les cultes, à travers un biais qui est une forme de changement de paradigme juridique. La nouvelle loi accorde des pouvoirs étendus pour restreindre la liberté d’aller et venir et pour « ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité », etc.

Avec ce nouveau texte de loi, la singularité, constitutionnellement protégée, du lieu de culte comme de l’exercice collective du culte en son sein se noie dans une liberté plus absorbante, plus neutre, la liberté « de réunion » ou de « rassemblement », qui, en espace intérieur, est régie par le droit commun des « établissements recevant du public » au sens du code de la construction et de l’habitation. Jamais les pères de la IIIe République, peu suspect d’empathie cléricale, n’auraient confondu ces deux grandes libertés publiques, des cultes et de réunion (la liberté de réunion a ses lois distinctes de 1881 et 1907). C’est chose faite, pour le covid19 qui réussit à banaliser le droit des cultes, une première. Se réunir pour exercer son culte n’est pas plus différent du fait de se réunir pour taper la belote, ces deux manifestations des activités sociales étant juridiquement équivalentes à traiter, et le covid19 doit être combattu par la science positive dont le droit positif est le bras armé, indifféremment pour tout rassemblement d’humains susceptibles de contagion, dans une église comme dans une salle de belote. Outre ce glissement, relevons que l’arsenal juridique contre le Covid19 n’a aménagé aucun sort aux déplacements des citoyens vers les lieux de culte, contradictoirement laissés ouverts ( ?), alors que les déplacements vers les supermarchés (d’alimentation ou… de bricolage) restent licites, aucun laissez-passer pour les aumôniers, superbement ignorés, alors qu’ils jouissent d’un statut légal, et même le décret du 23 mars n’a pas résolu la contradiction entre la permission préfectorale (illusoire) des rassemblements d’au plus 100 personnes (cf. art. 7) et le fait de bloquer l’assistance aux funérailles à 20 personnes (cf. art. 8)…

La sécularisation, la déchristianisation, l’affaissement de notre fond commun culturel, mais aussi l’hostilité antireligieuse « païenne » via l’anti-islamisme, ne sont pas pour rien dans ces inflexions. Le fait que moins de compatriotes soient croyants, et parmi eux, que la part des chrétiens diminue aussi, ne suffit pas à légitimer ces glissements, problématiques du point de vue de l’état de droit, qui vont de la reconnaissance, encore sous les années soixante-soixante-dix, du statut des cultes, dans le respect de la laïcité-neutralité, à leur ignorance progressive par les législateurs, les gouvernants, les juges… Et peut-être aussi… par les fidèles des cultes !

C’est ici qu’un risque de « jurisprudence » fâcheuse pour l’avenir pourrait naitre.

Toute jurisprudence se forme de deux manières, soit par une sentence prétorienne  soit par consensus sur une modalité d’interprétation de la norme de vie en société, la première s’impose au terme d’un procès contradictoire, mais laisse la liberté de la désapprouver et d’user de toutes les voies pour la contester ; la seconde est un acquiescement qui crée par « l’effet cliquet » un renoncement à la marche arrière.

Rien que pour le Conseil d’Etat, 73 décisions juridictionnelles auront été rendues à ce jour par la Haute assemblée, répondant à des recours -les rejetant pour l’immense majorité- contestant l’application à tels ou tels lobbys, intérêts, professionnels, etc. des mesures restrictives « covid19 » qui leur étaient faites ou qui leur étaient refusées. Pas un seul recours n’a questionné le juge sur les cultes.

Cette abstention, presque sidérante, sans aller jusqu’à la qualifier de « péché par omission », interroge. Elle peut surtout être lourde de conséquences.

Car comment reprendre la main ?

Le président de la République, en audioconférence avec les représentants des cultes, réunis mardi 21 avril, en même temps qu’avec les représentants de certains opposants aux cultes (Fédération nationale de la Libre-Pensée, Comité Laïcité République), a indiqué son intention de ne rouvrir les « réunions » de cultes qu’après la mi-juin, tandis que la CEF a souhaité cette reprise, sous protocole de « gestes barrière », dès le dimanche 17 mai.

De quels moyens d’action dispose un culte ? Il existe un dialogue avec les services du premier ministre, le ministère « chargé des cultes » et le conseiller « culte » à la présidence. C’est la voie qui semble privilégiée, notamment par la CEF. Mais le lobby des électeurs catholiques, disons-le ainsi en démocratie, pèse-t-il assez fort ou aussi fort que d’autres intérêts ? Des lobbys professionnels aux pourcentage de PIB plus significatif sont traités avec les mêmes réponses ou subissent le même aléa des perspectives de reprise  « en réunion » , on songe à la Culture ou au tourisme, sans beaucoup plus de succès. En outre, il est catégoriquement exclu dans l’optique du droit égalitaire et laïque qui nous gouverne un traitement différencié entre cultes. Certes, l’Église catholique a le souci de ses fêtes de l’Ascension et Pentecôte, mais ce « détail » ne concerne pas d’autres cultes, voire trouvera chez les « anti-cultes » un motif de recours pour « traitement avantagé », en un mot, pour « discrimination ». Ils obtiendraient gain de cause devant un juge. La réouverture des « établissements recevant du public de catégorie V » (i.e. : établissements de cultes) n’est juridiquement envisageable (avec protocole sanitaire) que pour tous ou pour aucun ! C’est ici que s’ouvre une difficulté, l’« habile » audioconférence du 21 avril a ouvert le champ des non-convergences et des « prêts à attaquer ».

Mais gageons sur la persuasion, la démonstration du sérieux des protocoles sanitaires proposés, pour que la CEF obtienne d’amender le droit en vigueur avant mi-juin, en tenant compte de propositions raisonnées basées sur le retour à la normal de tous les cultes. Les annonces du premier ministre mardi 28 avril lèveront peut-être le voile…

À défaut, la voie du contentieux est-elle ouverte ? Théoriquement, bien sûr. Elle présente l’avantage comme nous le disions de ne pas, ou de ne plus, avaliser l’acquiescement à cette forme de « mise sous le boisseau » des cultes, ou comme nous disions de faire « jurisprudence par renoncement». Son succès demeure cependant aléatoire comme tout procès. En Allemagne, pays où la Constitution protège plus explicitement la liberté religieuse, un recours de la Cour constitutionnelle a été rejeté, par une décision du 10 avril 2020, n° 1 BvQ 28/20. Dans cet arrêt intéressant, la Cour confirme l´interdiction des rassemblements dans les églises et juge que la protection de la vie et de la santé des personnes prévaut actuellement, « en dépit d´une atteinte grave à la liberté des cultes ». La Cour précise toutefois qu’elle a bien pris en compte dans son analyse « la circonstance que le décret litigieux est applicable jusqu’au 19 avril 2020 » et « considère que le décret doit être adapté et prendre en compte les nouveaux développements concernant la pandémie du Covid 19 en cas de prolongement de son application ». Il y a, dans le système allemand, à la fois un meilleur hommage à la spécificité de la liberté des cultes par rapport à la liberté de se rendre au magasin de bricolage (première nécessité !) et des critères de pragmatisme et de proportionnalité sont énoncés comme grille d’analyse du déconfinement des cultes. C’est d’ailleurs exclusivement cette démonstration, très solidement charpentée, qui peut être susceptible de faire infléchir un juge des libertés publiques pour rouvrir, à tous les cultes (il faudrait donc une demande interconfessionnelle), leur libre exercice dans des conditions de sûreté sanitaire. La jurisprudence peut être défavorable, c’est le risque. Des recours internationaux sont toujours possibles mais surtout un recours affiche une objection de consentir en conscience à l’ordre de César. C’est même le sens de la réplique de Jésus aux pharisiens.

Une dernière voie, qui nous semble légale, en l’état des textes, serait l’aménagement de l’ouverture des églises, sans messe autorisée, mais dont les textes n’interdisent absolument pas d’exposer le Saint-sacrement ou des reliques à l’adoration ou à la vénération des fidèles, par exemple pour l’Ascension ou la Pentecôte. Une injonction en sens contraire tomberait immanquablement sous le coup de la jurisprudence «foulard dans l’espace public» du Conseil constitutionnel, décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, qui a jugé que « dans les lieux de culte ouverts au public [c’est-à-dire à l’intérieur] », l’ingérence de l’État serait disproportionnée et « il y aurait une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789 ». Interdire à un prêtre d’y distribuer la communion, selon un mode sanitaire approprié, tomberait sous le même coup d’une voie de fait. Si donc ces formes de manifestation du culte peuvent s’y tenir, rien n’interdit à chaque prêtre d’autoriser, en bon ordre, les fidèles, sur une large amplitude d’ouverture, à s’y rendre individuellement pour exercer individuellement leur dévotion. Quel serait le motif licite de « déplacement » du domicile à l’église au sens du décret du 23 mars 2020 ? Certes, comme nous l’avons dit, il n’y est pas fait mention du droit de pratiquer son culte, mais c’est ici qu’un « coup de gueule », comme a pu le dire l’archevêque de Toulouse, pourrait remettre les choses à leur juste place. Si juridisme doit être appliqué, alors que les fidèles volontaires appliquent le juridisme de l’article 4 de ce décret qui permet les « déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret ». Or les établissements de cultes sont expressément mentionnés à cet article 8 comme demeurant licitement « autorisés à rester ouverts » ! Le déplacement pour l’achat de cierges à Sainte Rita n’est donc pas légalement interdit, qu’on se le dise, sans messe basse.

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*haut-fonctionnaire