Bien sûr, ce fut considérable, gigantesque, énorme ! Les foules de Paris et de toutes les villes de France ont mis en évidence une communauté de refus et d’union tout à la fois, dans un climat d’émotion que l’on n’avait pas connu depuis longtemps. Les événements tragiques que l’on sait, répercutés avec les moyens d’information actuels, ont tenu l’opinion en haleine, dans une tension indicible. Comment définir cet état d’esprit et surtout comment anticiper ce qu’il pourra susciter dans le plus proche avenir ? J’avoue une certaine perplexité à ce propos. Autant je puis comprendre la colère profonde de mes concitoyens, leur résolution farouche de ne pas abdiquer leur être même, leur liberté inaliénable, leur volonté de se montrer unis face à l’insupportable agression meurtrière, autant je parviens mal encore à discerner si tout cela débouchera sur d’authentiques résolutions politiques, un changement véritable d’orientation stratégique face à un ennemi qui frappe maintenant directement chez nous, tout en développant son entreprise terroriste sur de vastes zones de la planète.
Il faut bien reconnaître que nous vivons en ce moment sur d’étranges paradoxes. L’identification qui s’est produite avec le journal Charlie Hebdo, à travers le slogan omniprésent « Je suis Charlie » se comprend certes par la violence du meurtre accompli. Mais elle repose sur de sérieuses équivoques. Voilà la cause même de l’ordre et du patriotisme associée à un journal dont la ligne anarchiste ne faisait grâce à aucune autorité établie. On a beaucoup glosé aussi sur le glas des tours de Notre-Dame pour saluer la mémoire de fieffés anti-cléricaux, dont l’ironie écrasait tous les symboles religieux. Il y a encore l’alliance invraisemblable des caricaturistes et de la police et de toutes les forces anti-terroristes. Quel sens donner à ces paradoxes, sinon que la liberté a un prix ? Les gens de Charlie Hebdo l’ont tragiquement montré, en solidarité avec toutes les autres victimes, notamment les quatre victimes juives de la porte de Vincennes.
Jacques Julliard évoque une mutation de l’esprit public, de l’ordre de celle qui s’était produite en Mai 68. La comparaison est intéressante mais je ne vois pas encore la direction qui sera prise après ces journées intenses. J’attends, j’espère une métanoïa, un retournement, dont il faudra d’urgence préciser les coordonnées.
Chronique diffusé sur Radio Notre-Dame le 12 janvier 2015.